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Multiplication des litiges dans le domaine minier

Auteur(s) : Laura Fric, Mark Gelowitz, Jennifer Fairfax

4 mars 2013

La tendance récente au Canada et à l’échelle internationale donne à penser qu’il y a de plus en plus de litiges au sein de l’industrie minière et que les entreprises, dirigeants et administrateurs de ce secteur s’exposent à un risque accru en matière de responsabilité. Ces derniers mois, il y a eu d’importants développements dans les domaines des recours collectifs, des poursuites pour corruption d’agents publics étrangers, de la responsabilité légale liée à des gestes posés dans d’autres pays et des évaluations environnementales.

Début de la plus importante procédure de recours collectif de l’histoire de l’Afrique du Sud

En janvier 2013, 17 000 anciens mineurs ont entrepris le plus gros recours collectif de l’histoire de l’Afrique du Sud contre trente des principales sociétés d’exploitation aurifère de la planète, et ont allégué qu’ils avaient contracté la silicose (une maladie respiratoire causée par l’inhalation de poussière de silice) en travaillant dans des mines de l’Afrique du Sud. Parmi les entreprises minières visées, mentionnons AngloGold Ashanti (troisième producteur mondial de métaux précieux), Gold Fields et Harmony Gold. Anglo American a aussi été citée, même si elle ne possède apparemment plus d’actifs aurifères, ni ne produit d’or en Afrique du Sud.

Les recours collectifs sont rares en Afrique du Sud. La Constitution sud-africaine contient des dispositions habilitant les poursuites en recours collectif1, mais les conditions et les procédures afférentes n’ont été énoncées que récemment par la Cour d’appel suprême de l’Afrique du Sud, soit en novembre 20122. Avant que cette décision ne soit rendue, ni les tribunaux ni le Parlement de ce pays n’avaient encore fixé de règles claires applicables à la tenue de procès relatifs à des recours collectifs.

Les sociétés minières canadiennes peuvent tirer des enseignements de l’application de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers(LCAPE)

Tel que rapporté dans un article récent publié par Osler le 5 février 2013, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi S-14 au Sénat, à savoir la Loi modifiant la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers (YB411-14/1-PDF; projet de loi S-14). Du même coup, le gouvernement a annoncé qu’il « intensifiait » sa lutte contre la corruption et qu’il s’attendait à ce que « les entreprises canadiennes respectent les règles du jeu ». Cette annonce fait suite à la deuxième condamnation d’une entreprise canadienne prononcée en vertu de la LCAPE et cette entreprise s’est aussi vu imposer une amende de plusieurs millions de dollars3. Parmi les modifications proposées, citons les suivantes :

  • augmenter la peine maximale d’emprisonnement à 14 ans pour les particuliers4;
  • élargir la compétence découlant de la LCAPE en permettant le dépôt de poursuites contre des entreprises et des particuliers d’origine canadienne, peu importe l’endroit où l’acte de corruption présumé a eu lieu;
  • créer une nouvelle infraction liée aux livres comptables et à la corruption d’agents publics étrangers ou à la dissimulation de cette corruption;
  • éliminer l’exception relative aux paiements de facilitation qui s’applique à cette infraction.

Comme elles sont de plus en plus susceptibles de se faire poursuivre en justice relativement aux activités qu’elles mènent dans des pays en développement à haut risque, les sociétés minières devraient prendre bonne note de ces récents développements. Les déclarations de culpabilité faites aux termes de la LCAPE sont révélatrices quant aux types de mesures que les entreprises minières canadiennes peuvent prendre pour éviter des litiges. Elles auraient intérêt, par exemple, à établir des codes de conduite internes clairs, des politiques en matière de formation et normes et procédures d’application de ces politiques, ainsi que des procédures et mesures disciplinaires qui s’appliqueraient en cas de violation de la LCAPE et d’autres règlements visant à contrer la corruption, y compris des politiques concernant les cadeaux, les frais de représentation, les dépenses d’affaires, les contributions politiques, les dons caritatifs, les commandites, la sollicitation et l’extorsion. Il pourrait aussi être indiqué de mettre au point un processus interne rigoureux pour enquêter au sujet de toute violation éventuelle des dispositions de la LCAPE5, et de déléguer à un cadre supérieur la responsabilité de soumettre au comité de vérification ou au conseil d’administration des rapports trimestriels sur l’application des règlements anticorruption de l’entreprise.

Responsabilité légale de sociétés minières canadiennes à l’égard d’abus présumés à l’étranger

La semaine dernière, on a appris que HudBay Minerals Inc. et ses codéfendeurs ont volontairement retiré leurs contestations d'ordre juridictionnel de trois poursuites liées (Choc v. HudBay Minerals Inc.,HMI Nickel Inc. and Compañía Guatemalteca de Níquel S.A.) déposées contre eux devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La poursuite réclamait environ 55 millions $ pour des violations des droits de la personne commises par des employés des services de sécurité d’une mine guatémaltèque. Ce pourrait donc être la première fois que des poursuites intentées contre une société minière canadienne relativement à sa responsabilité à l’égard de gestes posés à l’étranger fassent l’objet d’une audience sur le fond devant un tribunal canadien, à condition que les demandeurs parviennent à faire échouer les requêtes déposées par les défendeurs pour faire annuler ces poursuites qu’ils jugent dénuées de tout fondement raisonnable. L’audition de ces requêtes est prévue pour les 4 et 5 mars 2013, et Amnistie internationale a récemment réussi à obtenir le droit d’agir comme intervenant aux fins de leur examen6.

Par le passé, on a tenté en vain de faire le nécessaire pour que des jugements soient prononcés contre des sociétés minières canadiennes qui avaient supposément commis des abus à l’étranger. Aucune de ces poursuites n’a été entendue sur le fond et chaque cause a été rejetée d’entrée de jeu. En novembre 2012, par exemple, la Cour suprême du Canada a refusé d’accueillir une requête en autorisation d’appel à l’encontre de la décision rendue par la Cour d’appel du Québec relativement à l’affaire Association canadienne contre l'impunité c. Anvil Mining Limited; dans cette affaire, on avait refusé la requête déposée par l’Association pour obtenir l’autorisation d’instituer un recours collectif contre Anvil Mining Limited pour sa complicité présumée dans la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans la République démocratique du Congo (RDC) en 2004. La Cour d’appel du Québec a refusé d’accorder cette autorisation pour des motifs d’ordre procédural. Ce tribunal n’avait pas compétence pour juger ce différend, étant donné qu’en 2004 (lorsque les événements en cause s’étaient produits), Anvil Mining n’avait pas (encore) d’établissement d’affaires au Québec et ne poursuivait aucune activité dans cette province7. La Cour d’appel de l’Ontario a elle aussi refusé d’entendre un appel relatif à la décision Piedra v. Copper Mesa Mining Corporation pour des raisons d’ordre procédural. La réclamation, qui visait à obtenir des dommages-intérêts d’un montant de 1,5 million $ à l’égard d’une série d’actes violents supposément commis par Copper Mesa (ou pour le compte de celle‑ci) en réaction à un projet d’exploitation minière dans une région éloignée de l’Équateur, ne s’appuyait sur aucun motif de poursuite raisonnable. La Cour a refusé d’accorder une autorisation de modifier la déclaration relative à la réclamation.  

On a tenté par le passé de légiférer dans ce domaine et cela n’a pas encore donné de résultats. En octobre 2011, un simple député a présenté au Parlement le projet de loi C-323, soit la Loi modifiant la Loi sur les Cours fédérales (promotion et protection des droits de la personne à l'échelle internationale), qui vise à modifier la Loi sur les Cours fédérales afin d’y autoriser expressément les personnes qui ne sont pas des citoyens canadiens à intenter des actions en matière de responsabilité civile délictuelle fondées sur la violation du droit international ou des traités auxquels le Canada est partie, si les actes reprochés sont posés à l'étranger; et à établir la façon dont la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale peuvent exercer leur compétence pour entendre et juger ces affaires. Mais ce projet de loi tourne en rond depuis octobre 2011 et aucun progrès n’a été accompli quant à son éventuelle promulgation8.

Le gouvernement de la C.-B. fait face à des poursuites pour avoir refusé un certificat d’évaluation environnementale

 

En octobre 2012, le ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique a refusé de délivrer un certificat d’évaluation environnementale pour un projet d’établissement d’une mine de cuivre et d’or à ciel ouvert sur les rives du lac Morrison à l’intérieur de la Colombie‑Britannique (projet envisagé). Le 13 février 2013, la proposante, Pacific Booker Minerals Inc., a annoncé qu’elle avait retenu les services d’un avocat pour « faire progresser ce litige qui l’oppose à la province de la Colombie-Britannique » en raison du refus de cette dernière de délivrer le certificat d’évaluation environnementale. Pacific Booker a engagé des dépenses de l’ordre de 30 millions de dollars pour faire des études de faisabilité et pour réaliser le processus d’évaluation environnementale, qui dure trois ans. 

Le refus du gouvernement fait suite à la recommandation du directeur général du Bureau de l’évaluation environnementale selon laquelle le ministère de l’Environnement devrait rejeter ce projet, malgré que le Bureau ait fait une déclaration voulant que ledit projet envisagé « n’aurait pas de répercussions défavorables marquées [sur l’environnement] si on met en œuvre des mesures d’atténuation et que l’on crée des conditions appropriées à cette fin ». Divers facteurs expliquent ce rejet : le lac Morrison est un écosystème important pour une population de saumons à la génétique unique; le secteur visé fait l’objet d’une revendication territoriale recevable a priori et défendue avec conviction par une Première nation qui s’oppose au projet envisagé; et les préjudices éventuels recensés sur le plan environnemental subsisteraient « à perpétuité », étant donné que l’eau contaminée de la mine devrait être récupérée et traitée durant une période de 100 ans et plus afin d’éviter qu’elle ait des effets néfastes sur le lac Morrison. Le ministère de l’Énergie et des Mines a effectué une analyse préliminaire de ces affirmations, solutions et préjudices et leur a associé un coût de plus de 300 millions $, ce qui représente un risque énorme pour la province en matière de responsabilité. 

Le fondement juridique de la réclamation que Pacific Booker projette de faire contre le gouvernement de la Colombie-Britannique n’est pas encore clair, mais il s’agit d’une affaire qui sera suivie avec intérêt par les intervenants de l’industrie minière. 


1  L’alinéa 38c) de la Constitution sud-africaine prévoit que [traduction] « quiconque agit comme membre d’un groupe ou d’une catégorie de personnes, ou dans l’intérêt de ce groupe ou de cette catégorie de personnes, » a le droit d’approcher un tribunal afin de déclarer devant ce tribunal qu’un droit prévu dans la Charte a été violé ou menacé.

2  Trustees for the Time Being for the Children (050/2012) [2012] ZASCA 182; 2013 (2) SA 213 (SCA).

3  Griffiths Energy International Inc., une entreprise canadienne engagée dans l’exploration et l’exploitation pétrolière au niveau international et qui est active dans la république du Tchad, a écopé d’une amende de 10,35 millions $ en janvier 2013, et Niko ressources Ltd., une entreprise de Calgary œuvrant dans le secteur gazier et pétrolier mondial et poursuivant des activités outre-mer, s’est quant à elle vu imposer une amende de 9,5 millions $, plus trois années de probation, en 2011. Voir un article de Riyaz Dattu dans l’édition d’Actualités Osler du 29 janvier 2013.

4  Les amendes continueront d’être déterminées à la discrétion du juge sans égard à un montant maximal prescrit.

5  Afin de déterminer la peine qu’il imposerait à Griffiths Energy International Inc., le ministère public a tenu compte de facteurs atténuants, dont les efforts déployés par cette entreprise pour réaliser une enquête élaborée et crédible à l’interne, et à titre indépendant, sur le contexte lié aux ententes et aux paiements en cause. 

7  Anvil Mining est une entreprise canadienne ayant été constituée en société dans les Territoires du Nord-Ouest en 2004. Son siège social se trouve à Perth, en Australie. Son activité principale consiste à exploiter une mine de cuivre et d’argent située dans la RDC. Depuis 2005, elle loue des locaux à bureaux à Montréal, où deux employés travaillent pour l’entreprise.

8  De plus, en octobre 2010, le projet de loi C-300 visant la Loi sur la responsabilisation des sociétés à l'égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement a été rejeté en troisième lecture à la Chambre des communes (à 140 voix contre 134). Voir « Droits humains et conformité législative : cadre juridique en matière de responsabilité sociale des entreprises pour les sociétés canadiennes opérant à l’étranger », un article de Riyaz Dattu paru dans un bulletin d’Osler publié en décembre 2010 et consacré au droit minier.