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Une décision très attendue de la Cour suprême du Canada dans trois recours collectifs en matière de valeurs mobilières change finalement peu les choses

Auteur(s) : Groupe de pratique en litige en matière de gouvernance d'entreprise et de valeurs mobilières

4 décembre 2015

Ce matin, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très attendue dans trois recours collectifs proposés dans le domaine des valeurs mobilières en Ontario contre CIBC, IMAX et Celestica. La principale question que devait trancher la Cour était de déterminer si le délai de prescription de trois ans prévu par la loi pour intenter une action avait expiré ou s’il avait été suspendu en vertu de l’article 28 de la Loi sur les recours collectifs. Sur cette question, les juges majoritaires de la Cour se sont déclarés en désaccord avec la Cour d’appel de l’Ontario et ont conclu que l’article 28 n'avait pas pour effet de suspendre le délai de prescription jusqu’à ce que l'autorisation soit obtenue. Toutefois, comme l’un de ces juges a également établi que l’on pouvait autoriser une requête nunc pro tunc (c.-à-d. avec effet rétroactif avant l’expiration du délai de prescription) dans deux de ces causes, il était approprié d’autoriser les poursuites dans les affaires CIBC et IMAX, mais pas Celestica.

Même si ces appels lui ont donné l’occasion d’examiner d’autres questions ayant une application potentiellement plus large pour les recours collectifs dans le domaine des valeurs mobilières, la Cour n’a fait que confirmer la loi en vigueur en Ontario concernant le critère de l’autorisation pour intenter un recours et le fait que des réclamations en common law pour déclaration inexacte faite par négligence se prêtent à la certification.

La décision de la Cour d’appel

Il importe de savoir que, dans ces trois affaires, le délai de prescription de trois ans prévu à l'article 138.14 de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) de l’Ontario avait expiré sans que les demandeurs n’aient obtenu l’autorisation d’intenter une action contre les défendeurs.

En février 2014, une formation de cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario spécialement convoquée avait conclu que les trois procédures pouvaient être intentées, prolongeant ainsi le délai de prescription dans les trois cas. La Cour d’appel a indiqué que le délai de prescription pour les recours collectifs sera suspendu une fois que le demandeur : 1) invoque une cause d’action fondée sur la partie XXIII.1 de la LVM; et 2) indique son intention de demander l’autorisation d'intenter un recours. Nous avons traité de cette décision dans un bulletin d'Actualités Osler précédent.

La décision de la Cour suprême du Canada

A.  Délai de prescription

Une majorité de juges de la Cour suprême a exprimé son désaccord avec le raisonnement de la Cour d’appel et établi que l’article 28 de la Loi sur les recours collectifs ne pouvait suspendre le délai de prescription jusqu’à ce que la poursuite soit autorisée.

Bien que le raisonnement et les conclusions de la Cour présentent un intérêt particulier pour les parties à ces procédures, ils auront une application limitée dans les causes futures en Ontario. À la suite de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, l’Assemblée législative a modifié la LVM afin que le délai de prescription soit suspendu à la date où le demandeur dépose une requête en autorisation devant la Cour. Le raisonnement de la Cour suprême pourrait toutefois s’appliquer dans d’autres provinces qui n’ont pas adopté de modifications semblables à leurs lois.

Le raisonnement de la Cour soulève des questions pratiques intéressantes dans les causes où le demandeur cherche à exercer un recours en vertu de la loi et en common law. La juge Côté a indiqué que les recours exercés en vertu de la partie XXIII.1 de la LVM ne pouvaient être intentés de manière valide sans autorisation de la Cour, et donc qu’une poursuite en vertu de la loi intentée sans avoir d’abord obtenu l’autorisation de la Cour était nulle. Cela pourrait avoir un effet sur le fait que les demandeurs choisissent de procéder : 1) en demandant une autorisation d’intenter une poursuite à l’égard des recours statutaires et en déposant une déclaration distincte à l’égard des réclamations en common law, ou 2) en déposant des réclamations en common law  dans une déclaration et en produisant une requête dans le cadre de ces procédures pour faire autoriser les recours statutaires et, une fois l'autorisation obtenue, en modifiant la déclaration existante.

Les motifs de la Cour suprême comprennent également un commentaire détaillé sur l’équilibre à trouver entre la partie XXIII.1 de la LVM et la Loi sur les recours collectifs. Un aspect positif de cette décision pour les émetteurs, les administrateurs, les dirigeants et les autres acteurs du marché est que la Cour suprême a plusieurs fois reconnu « l’équilibre législatif rigoureux et exhaustif établi par la partie XXIII.1 de la LVM » :

Bref, la partie XXIII.1 de la LVM instaure un équilibre délicat entre les différents acteurs du marché. Les intérêts des demandeurs et des défendeurs éventuels, ainsi que des actionnaires à long terme touchés, ont été soupesés consciencieusement et délibérément dans l’optique d’un équilibre précis et voulu entre la dissuasion et l’indemnisation. L’historique législatif révèle que cet équilibre est le résultat d’un exercice long et méticuleux, équilibre exprimé dans toutes les limites intégrées au régime.

B.  Autorisation d’intenter une action en vertu de la partie XXIII.1

La Cour suprême a confirmé que le critère de l’autorisation énoncé dans sa décision Theratechnologies plus tôt cette année s’appliquait au critère de l’autorisation en vertu de la LVM.

C.  Certification des réclamations en common law

La Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d’appel sur la certification des réclamations en common law pour déclaration inexacte faite par négligence, en concluant essentiellement que, dans certaines circonstances où les recours statutaires sont certifiés, les questions communes liées aux réclamations en common law pour déclaration inexacte (à l’exception des questions de causalité et de fiabilité) sont susceptibles d'être certifiées avec les recours statutaires. Toutefois, il n'est toujours pas clair comment les questions individuelles de causalité et de fiabilité pourraient être effectivement ou efficacement résolues pour les nombreux membres d’un groupe participant à un recours, même si l’on réussissait à faire la preuve des questions communes.

La Cour suprême ne s'est pas penchée sur la question de savoir si les réclamations en common law pourraient être certifiées dans des circonstances où l’autorisation d’intenter les recours statutaires a été refusée. Ainsi, les principales causes dans ces circonstances demeurent Bayens c. Kinross Gold Corp. et Coffin c. Atlantic Power. Dans ces causes, la Cour a indiqué que dans de telles circonstances, un recours collectif ne serait pas la procédure à privilégier pour régler les réclamations en common law.

Conclusion

Même si le raisonnement de la Cour suprême du Canada était favorable aux émetteurs et aux autres parties qui pouvaient être visées par les recours statutaires, en raison des modifications subséquentes à la LVM, il aura vraisemblablement peu d'application pratique à l’avenir (même pour les parties à ces causes, il n’a été favorable qu’à Celestica).