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Un directeur de projet de Metron Construction est condamné à une peine d'emprisonnement de 3 ans et demi

Auteur(s) : Richard Wong, Allan Wells, Lauren Harper, , Daniel Wong

1er mars 2016

En décembre 2009, Metron Construction Corporation (Metron) réparait des balcons au 14e étage d'une tour d'habitation de Toronto. La veille de Noël, un échafaudage suspendu (type de plateforme suspendue) surchargé supportant six travailleurs, dont le contremaître et Vadim Kazenelson, le directeur de projet, s'est effondré et a causé la mort de quatre travailleurs en plus de blesser grièvement un cinquième travailleur. Il n'y avait que deux cordages de sécurité sur l'échafaudage suspendu au moment de l'accident.

Metron et le fabricant de l'échafaudage suspendu ainsi que leurs administrateurs respectifs ont reçu diverses condamnations et des amendes en vertu du Code criminel (le « Code ») et de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Ontario (la « LSSTO »). Le 11 janvier 2016, M. Kazenelson a été condamné à une peine d'emprisonnement de 3 ans et demi après avoir été trouvé coupable de quatre accusations de négligence criminelle causant la mort et d'une accusation de négligence criminelle causant des blessures corporelles à la suite de l'effondrement d'un échafaudage suspendu. M. Kazenelson est ainsi devenu le premier particulier déclaré coupable et condamné à l'emprisonnement pour négligence criminelle causant la mort parce qu'il n'avait pas pris des mesures raisonnables pour éviter des blessures corporelles en vertu de l'article 217.1 du Code.

L'article 217.1 du Code affirme qu'il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. Cet article a été ajouté au Code par le projet de loi C-45, aussi connu sous le nom de « loi Westray », à la suite de la tragédie survenue à la mine de charbon Westray en Nouvelle-Écosse en 1992 où 26 mineurs ont été tués.

La cour a reconnu que la peine de M. Kazenelson devait être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au caractère gravement répréhensible de sa conduite. La défense affirmait pour sa part que la gravité de sa conduite était atténuée par deux facteurs indépendants qui ont eu un rôle dans cet incident. Le premier était que les travailleurs savaient qu'il n'y avait pas assez de cordages de sécurité et qu'ils ont tout de même choisi de travailler et le deuxième était que l'échafaudage suspendu, un modèle récemment modifié par le fabricant n'avait pas encore fait l'objet d'essais en charge, ce qui était un facteur important de l'accident. Cependant, la cour a refusé d’interrompre le lien causal et a jugé en fin de compte que M. Kazenelson avait fait preuve de suffisamment d'insouciance déréglée et téméraire pour qu'on puisse affirmer qu'il ne s'agissait pas de la conduite d'une personne raisonnable dans les circonstances. Par le fait même, la cour a noté, entre autres, que les exigences de la LSSTO et du règlement de l’Ontario intitulé Construction Projects Regulation pris en application de cette loi sont claires, que M. Kazenelson avait été formé par l'Association ontarienne de la sécurité dans la construction sur la procédure à suivre pour la prévention des chutes et qu'il avait pour fonction de former les travailleurs, qu'il savait ce jour-là qu'il n'y avait pas assez de cordages de sécurité pour le nombre de travailleurs et leurs outils et qu'il n'avait pas d'information au sujet de la capacité de chargement de l'échafaudage suspendu. 

Par conséquent, la cour a jugé que M. Kazenelson avait omis de tenir compte du risque grave et évident de cette situation et d'agir en conséquence et qu'il ne s'agissait pas d'une simple erreur de jugement momentanée :

[TRADUCTION] Après examen de toutes les circonstances, on ne peut conclure qu'une lourde peine d'emprisonnement est nécessaire eu égard aux terribles conséquences des infractions et pour indiquer clairement que les personnes en situation d'autorité dans des milieux de travail potentiellement dangereux ont l'obligation importante de prendre toutes les mesures raisonnables pour veiller à ce que les personnes qui arrivent au travail le matin puissent retourner à leur domicile et à leur famille à la fin de la journée en toute sécurité.

On a finalement jugé qu'une peine d'emprisonnement de trois ans et demi était appropriée pour dénoncer sa conduite et dissuader d'autres personnes de commettre des infractions semblables. La condamnation et la peine de M. Kazenelson font actuellement l'objet d'un appel.

Accusations et condamnations d'autres personnes

Afin de bien comprendre toutes les conséquences qu’entraînent le décès et les blessures des travailleurs survenus le 24 décembre 2009, il est important de rappeler que des accusations en vertu du Code et de la LSSTO ont aussi été portées contre l'entreprise de construction, le fournisseur de l'échafaudage suspendu et leurs administrateurs respectifs et que les dispositions du Code et de la LSSTO sont appliquées séparément et fonctionnent indépendamment. Les accusations en vertu du Code ont été portées par la police de Toronto, tandis que les accusations en vertu de la LSSTO ont été portées par le ministère du Travail.

Metron a plaidé coupable à une accusation de négligence criminelle causant la mort fondée sur les actions ou omissions du contremaître du chantier, qui a été considéré comme « cadre supérieur » pour l'application du Code. À l'audience de détermination de la peine, Metron a été condamné à une amende de 200 000 $. Toutefois, la Couronne a porté ce montant en appel sous prétexte qu'il n'était pas approprié dans les circonstances et la Cour d'appel de l'Ontario a haussé l'amende à 750 000 $. Joel Swartz, administrateur de Metron, a plaidé coupable à quatre accusations en vertu de la LSSTO pour avoir omis à titre d'administrateur de prendre des mesures raisonnables pour veiller au respect de diverses dispositions du Construction Projects Regulation (comme l'obligation de donner des instructions écrites au sujet des mécanismes de protection contre les chutes dans la langue maternelle des personnes qui ne lisent pas l'anglais, de consigner les noms des travailleurs et la date à laquelle ils ont reçu la formation et les instructions contre les chutes et d'éviter d'utiliser des échafaudages défectueux et de les surcharger) et a été condamné à une amende de 90 000 $ avec une majoration de 25 % pour les victimes. M. Swartz a aussi été accusé en vertu du Code, mais ces accusations ont été retirées par la suite.

Swing N’Scaff Inc., le fournisseur de l'échafaudage suspendu défectueux, a plaidé coupable en vertu de la LSSTO d'avoir omis de s’assurer que la plateforme était en bon état et a été condamné à une amende de 350 000 $. Entre autres défaillances, l'échafaudage ne portait pas d'indication de la capacité de chargement maximale. Patrick Deschamps, administrateur de Swing N’Scaff, a plaidé coupable d'avoir omis de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer que la plateforme était en bon état et qu’elle avait été conçue par un ingénieur conformément aux règles de l’art. M. Deschamps a été condamné à une amende de 50 000 $ en vertu de la LSSTO. Swing N’Scaff avait aussi été accusée en vertu du Code, mais ces accusations ont été retirées par la suite.

Évolution du secteur depuis l'accident de Metron

Après l'accident, le ministère du Travail de l'Ontario a mis sur pied le Comité consultatif d’experts de la santé et de la sécurité au travail présidé par Tony Dean, ancien secrétaire du Conseil des ministres, pour qu'il procède à un examen complet du système de santé et de sécurité au travail de l'Ontario. Le comité a recommandé 46 modifications à la législation en matière de santé et de sécurité en Ontario, qui ont mené au projet de loi 160, la Loi de 2011 modifiant des lois en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail. Présenté comme étant « les plus importants changements apportés en 30 ans au système ontarien de prévention des blessures et maladies professionnelles », il est entré en vigueur le 1er juin 2011. Il comprenait entre autres la création du rôle du directeur général de la prévention chargé de diriger les améliorations à la santé et à la sécurité des travailleurs et la création de nombreux programmes en matière de sécurité et de nombreuses initiatives de prévention des accidents comme ceux de Metron. Il conférait aussi au ministère du Travail de l'Ontario la direction de la prévention des blessures et des maladies professionnelles en Ontario, responsabilité qui relevait auparavant de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail.

Aux termes de son programme Sécurité au travail Ontario, le ministère du Travail a élaboré une procédure détaillée axée sur la conformité et les activités de vérification en matière de santé et de sécurité, notamment l'élaboration de plans annuels propres à chaque secteur, soit pour les secteurs de la construction, des soins de santé, des industries et des mines, il a haussé le nombre d'inspections éclair dans toute la province et il a examiné certains problèmes potentiellement préoccupants comme la santé et la sécurité des nouveaux et des jeunes travailleurs. De plus, le ministère du Travail a récemment modifié à nouveau le Construction Projects Regulation en ce qui concerne (entre autres) la protection contre les chutes en vertu du O. Reg. 345/15 publié le 12 décembre 2015, qui tient compte des recommandations du Comité provincial syndical-patronal de la santé et de la sécurité.

En outre, certaines organisations ont commencé à exiger la certification en matière de sécurité de tous les entrepreneurs travaillant à leurs projets afin de veiller à ce que leurs politiques et procédures répondent aux normes provinciales en matière de santé et de sécurité. Par exemple, la Toronto Transit Commission (la « TTC ») a récemment annoncé la mise en œuvre par étapes du programme de Certification de reconnaissance (COR™) en matière de sécurité de l'Association de santé et sécurité dans les infrastructures qui s’ajoute à ses exigences actuelles pour ses projets de construction. Elle a aussi annoncé qu'elle allait exiger que tous les entrepreneurs qui soumissionnent sur des projets de la TTC soient titulaires de cette certification et qu'elle soit en vigueur pendant toute la durée du contrat.

Ces efforts et d'autres mesures du gouvernement et des secteurs industriels ont relevé la barre afin de prévenir collectivement les blessures et les décès au travail. Néanmoins, les décisions connexes à l'affaire Metron sont un rappel brutal de la responsabilité éventuelle des sociétés, de leurs administrateurs et des personnes qui dirigent les travaux effectués par d'autres personnes en vertu du Code et de la législation en matière de santé et de sécurité au travail.