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Évolution notable dans le domaine du droit de l’insolvabilité : des outils souples pour des temps difficiles

Auteur(s) : Marc Wasserman, Jacqueline Code, Kathryn Esaw

Le 8 décembre 2020

En plus d’une élection tendue au sud de la frontière, 2020 nous a apporté la COVID-19 avec ses effets dévastateurs en pertes de vies humaines et ses profondes implications économiques, tant positives que négatives. Le monde se tourne maintenant vers 2021 avec une grande incertitude quant à la suite des événements. Certains secteurs de l’économie, en particulier, pourraient subir des dommages irréparables. Nombreux sont ceux qui anticipent que le droit de la restructuration et de l’insolvabilité occupera une place importante à compter de 2021 et que des solutions créatives seront nécessaires pour résoudre la myriade de problèmes auxquels sont confrontées les entreprises en difficulté financière. Nous avons isolé quelques thèmes importants en ce qui a trait au droit de la restructuration qui, selon nous, continueront à s’appliquer et à évoluer à court et à long terme.

Les restructurations de la dette dans le cadre de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) : un outil souple pour faire face aux perturbations du marché

Pour les entreprises surendettées qui cherchent à éviter les délais, les coûts et les conséquences pour leur réputation liés à une procédure d’insolvabilité, une « restructuration du bilan » en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) ou d’une loi provinciale équivalente constitue une solution de rechange intéressante. Les restructurations de la dette en vertu de la LCSA continuent de gagner en popularité en tant qu’outils souples permettant de réduire l’endettement total et de préserver la valeur obtenue grâce à la continuité de l’exploitation, bien qu’elles ne représentent généralement pas le bon choix lorsqu’une entreprise a besoin de procéder à une restructuration opérationnelle (c’est-à-dire pour répondre à des problèmes concernant leurs fournisseurs, clients, employés ou régimes de retraite ou pour des enjeux environnementaux).

Cette année, plusieurs procédures importantes ont entraîné une évolution ou une amélioration du droit applicable aux opérations de restructuration en vertu de la LCSA. Dans les trois exemples présentés ci-dessous, les parties prenantes ont voté sur le plan d’arrangement de l’entreprise avec pour toile de fond l’intention déclarée du débiteur de déposer une demande en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) pour réaliser la même opération de restructuration du capital si la restructuration prévue aux termes de la LCSA échouait. Dans une instance en vertu de la LACC, certaines parties prenantes – principalement les actionnaires et les demandeurs dits « de capitaux propres » dont les réclamations découlent de leur statut d’actionnaire – ne recevraient aucune indemnisation si les créanciers, y compris les détenteurs de titres de créance, n’étaient pas entièrement remboursés. Dans les trois cas ci-dessous, les avantages du plan particulier prévu par la LCSA ont donc été évalués, en partie, en fonction de cette autre issue probable.

Just Energy

En 2020, Just Energy Group Inc. (Just Energy), une entreprise de vente au détail du secteur de l’énergie présente au Canada et aux États-Unis, a conclu une restructuration de sa dette en vertu de la LCSA. Ce dossier constitue un heureux ajout à la série d’affaires dans lesquelles les tribunaux ont adopté une approche souple dans l’application de la LCSA pour aider une société quasi insolvable à restructurer son bilan. Osler a représenté Just Energy.

Le plan de restructuration de Just Energy comportait l’échange par les créanciers de premier rang d’une partie de leur dette contre une combinaison de titres de créance et de participations dans une société nouvellement capitalisée. Les participations existantes des actionnaires ordinaires et privilégiés ont également été échangées contre des participations dans la nouvelle société, bien que ces participations aient été considérablement diluées par les capitaux propres émis aux créanciers. Le plan a été approuvé sans objection de la part de ces parties prenantes.

L’ordonnance finale dans le dossier Just Energy a accordé de larges quittances en faveur de Just Energy, y compris en ce qui concerne tous les détenteurs de « capitaux propres », incluant les personnes ayant intenté un recours contre le débiteur à la suite de pertes subies en raison de leur statut d’actionnaire. Le plan a limité le recouvrement de certaines de ces réclamations « relatives à des capitaux propres » au produit des polices d’assurance de la société qui couvraient les réclamations à l’égard de valeurs mobilières. Ces réclamations étaient issues de plusieurs actions collectives en matière de valeurs mobilières contre Just Energy dans lesquels les demandeurs réclamaient des dommages-intérêts importants pour la perte de la valeur des actions à la suite d’irrégularités financières et de la divulgation ultérieure des corrections apportées par la société.

La restructuration du capital de Just Energy s’est déroulée sur une période de trois mois seulement, entre la date à laquelle l’ordonnance provisoire préliminaire (juillet 2020) a été accordée par la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la date de clôture de l’opération (28 septembre 2020). Cette période accélérée démontre l’efficacité potentielle d’une restructuration de la dette en vertu de la LCSA dans des circonstances appropriées, par rapport à une demande déposée en vertu de la LACC ou de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI).

Calfrac

Alors que la restructuration en vertu de la LCSA de Calfrac Well Services Ltd. (Calfrac) est toujours en cours au moment où nous écrivons ces lignes, nous avons déjà tiré d’importantes leçons de cette procédure.

Comme dans le cas de Just Energy, la restructuration du capital de Calfrac a fait intervenir un échange de titres de créance de premier rang non garantis contre des capitaux propres. Les actionnaires ordinaires existants avaient le droit de choisir de recevoir des espèces plus des bons de souscription pour leurs actions ordinaires, ou de conserver leurs actions et de recevoir des bons de souscription. Ce recouvrement pour les actionnaires était plus favorable que celui qui serait disponible dans le cadre d’une demande déposée en vertu de la LACC. L’arrangement n’a pas eu d’incidence sur les créances garanties de premier rang.

Calfrac a également effectué un nouveau placement de billets pour restructurer partiellement la dette active dans le cadre des facilités de crédit de la société, pour satisfaire la composante en espèces du recouvrement pour les actionnaires, ainsi que pour fournir un fonds de roulement.

Contrairement à l’affaire Just Energy, le caractère équitable et raisonnable de l’ordonnance définitive a été contesté. La société avait reçu une offre de rachat de ses actions de la part de Wilks Brothers LLC, un rival potentiel qui détenait déjà environ 20 % des actions de Calfrac et qui avait cherché à établir un partenariat stratégique avant le dépôt de la demande en vertu de la LCSA. La société Wilks Brothers s’est opposée à cette offre lors de l’audience sur l’ordonnance définitive. Elle avait auparavant tenté, sans succès, de faire modifier l’ordonnance provisoire et n’avait pas obtenu gain de cause dans son appel de cette décision.

Le conseil d’administration, sur avis du comité spécial, n’a pas recommandé l’acceptation de l’offre de Wilks Brothers par les actionnaires au motif que l’opération d’arrangement constituait la meilleure proposition. En revanche, l’offre d’achat exigeait la renonciation à la condition minimale légale pour les offres publiques d’achat et ne contenait aucune disposition en ce qui a trait aux obligations de la société au titre de ses billets de premier rang non garantis ayant priorité sur les participations des actionnaires. Il a été établi que ces deux facteurs constituaient des obstacles sérieux à la conclusion du marché. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a approuvé le plan aux termes de la LCSA le 30 octobre 2020 au motif qu’il était équitable et raisonnable, conformément au critère applicable.

Wilks Brothers a fait appel de l’ordonnance définitive, contestant la conclusion du caractère équitable et raisonnable, ainsi que la disposition de renonciation contenue dans le plan. L’appel a été entendu par la Cour d’appel de l’Alberta le 25 novembre 2020. La Cour d’appel a rejeté l’appel et a publié les motifs de sa décision le 1er décembre 2020. Ses motifs soulignaient entre autres que les tribunaux apprécient grandement le rôle de facilitation de la LCSA et que les avocats devraient garder à l’esprit l’objectif de la LCSA lorsqu’ils structurent ces opérations.

iAnthus

Une affaire qui semble aller à l’encontre des tendances facilitantes dans les affaires de restructuration en vertu de la LCSA est l’arrangement intéressant iAnthus Capital Holdings Inc. (iAnthus). La Cour suprême de Colombie-Britannique a initialement refusé d’accorder une ordonnance définitive approuvant la proposition de restructuration du capital d’iAnthus. La principale objection de la Cour concernait la portée des quittances accordées aux tiers que contenait le plan d’arrangement. À cet égard, la Cour suprême de Colombie-Britannique a adopté, quant à la portée autorisée de ces quittances, une approche plus étroite que les tribunaux dans d’autres affaires semblables de restructuration en vertu de la LCSA. Une distinction importante dans cette affaire est que le plan a été proposé en vertu des dispositions de la Business Corporations Act de la Colombie-Britannique (BCBCA), qui est moins couramment utilisée pour de telles restructurations que la LCSA.

Le plan proposé aux termes de la BCBCA, dans sa version initiale, contenait une quittance générale qui aurait protégé iAnthus et d’autres entités contre, entre autres, les réclamations présentées dans le cadre de certaines actions collectives en matière de valeurs mobilières antérieures à l’examen stratégique et à la procédure aux termes de la BCBCA. Cependant, il n’y avait aucune disposition pour transférer dans des polices d’assurance appropriées les sommes recouvrées dans le cadre de ces réclamations.

Dans des motifs (en anglais) très étoffés, la Cour a conclu que l’arrangement était équitable et raisonnable, à l’exception de la portée de la quittance, qui aurait fait obstacle aux réclamations d’actionnaires d’origine précédant le plan d’arrangement. La Cour a estimé que la BCBCA n’autorisait pas une quittance qui protégerait la société contre les réclamations de tiers non liés au plan.

À la suite de ce revers, la société a révisé le plan pour réduire la portée de la quittance et est retournée devant la Cour pour demander l’approbation du plan modifié. Malgré les objections persistantes de deux parties prenantes, la Cour a néanmoins approuvé le plan révisé.

La Cour a rejeté l’argument selon lequel le plan révisé devait être soumis à nouveau aux actionnaires pour leur approbation. La Cour a également clarifié ses motifs antérieurs, indiquant qu’elle n’avait pas conclu que toutes les dispositions affectant les droits des tiers n’étaient pas autorisées par la BCBCA. Conformément à la jurisprudence antérieure de la BCBCA, la Cour a indiqué qu’une ordonnance en vertu de la BCBCA affectant des tiers peut être approuvée lorsqu’elle est accessoire et nécessaire à la mise en œuvre du plan d’arrangement. Cet assouplissement de la position initiale devrait contribuer à préserver la flexibilité dans les futures restructurations de la dette en vertu des lois sur les sociétés.

La Cour a estimé que les modalités de la quittance révisée étaient suffisamment reliées et accessoires au plan en ce sens que les personnes liées par la quittance tiraient toutes avantage du plan. Le plan révisé a donc été approuvé. Au moment où nous écrivons ces lignes, nous comprenons que certains des opposants pourraient envisager d’interjeter appel.

Il reste à voir si l’approche plus étroite adoptée par la Cour concernant les pouvoirs conférés par la BCBCA pour accorder une large quittance aux tiers sera pertinente en dehors de la Colombie-Britannique ou dans des circonstances où les sommes recouvrées par des tiers sont transférées dans une police d’assurance. Il est à espérer que les tribunaux, en vertu de la LCSA, continueront à adopter une approche plus pragmatique, en particulier lorsque l’échec d’un arrangement d’une entreprise ne servira qu’à pousser celle-ci vers un dépôt de procédure d’insolvabilité qui s’avérera plus coûteux et plus long, au détriment de toutes les parties prenantes, et des actionnaires en particulier.

Contourner la règle anti-privation

Les entreprises se demandent de plus en plus comment elles peuvent se protéger contre les retombées de l’insolvabilité de leurs contreparties contractuelles. La pandémie de COVID-19 a exacerbé les préoccupations découlant de l’incertitude croissante concernant de nombreuses entreprises. Parallèlement, la Cour suprême du Canada (CSC) a réduit encore davantage un ensemble déjà limité de protections pour la contrepartie contractuelle non insolvable.

Dans la décision Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc. publiée en octobre 2020, la CSC a confirmé que la règle anti-privation de la common law s’applique au Canada. Cette règle invalide les dispositions contractuelles qui, sur la base d’un élément déclencheur de l’insolvabilité comme une déclaration de faillite ou une mise sous séquestre, ont pour effet de soustraire de l’actif de la partie insolvable une valeur qui serait autrement disponible pour les créanciers. Cela comprend, par exemple, une clause qui oblige une partie à payer un montant à l’autre partie en raison de l’insolvabilité de cette dernière. L’application de cette règle exige désormais une plus grande créativité de la part des parties contractantes qui subissaient déjà des pressions pour se protéger contre l’insolvabilité d’une contrepartie dans l’environnement incertain créé par la pandémie de COVID-19.

L’affaire Chandos portait sur une clause d’un contrat de sous-traitance de construction à forfait qui prévoyait la renonciation par le sous-traitant, Capital Steel, de 10 % du prix du contrat de sous-traitance en faveur de l’entrepreneur, Chandos, en cas d’insolvabilité, de faillite, de mise sous séquestre, de liquidation ou de toute autre distribution des actifs de Capital Steel. Ce montant a été décrit comme étant des frais « pour les dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens ou pour la surveillance des travaux durant la période de garantie ». Le syndic autorisé en insolvabilité de Capital Steel a fait valoir que la renonciation n’était pas valable en vertu de la règle anti-privation ou de la règle interdisant les pénalités contractuelles. Les juges majoritaires de la CSC se sont déclarés en accord avec le syndic, en se fondant uniquement sur la règle anti-privation.

Le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, a estimé qu’il y a infraction à la règle anti-privation lorsque (a) l’application d’une clause contractuelle est déclenchée par une insolvabilité ou une faillite et (b) la clause a pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable. Les juges ont rejeté, à la majorité, l’idée qu’un objectif commercial véritable permettrait de maintenir en vigueur des clauses qui seraient autrement frappées de nullité comme, compte tenu de ces faits, la préoccupation potentiellement réelle sur le plan commercial que les coûts accrus pourraient être engagés par Chandos en raison de l’insolvabilité de Capital Steel.

À la lumière de l’affaire Chandos, que peuvent faire les parties contractantes pour se protéger contre l’insolvabilité d’une contrepartie? Selon le juge Rowe, certains types de clauses de protection pourraient ne pas enfreindre la règle, à savoir les clauses qui retirent certains biens de l’actif, sans pour autant réduire la valeur de ce dernier, ou qui s’appliquent dans les cas où l’effet est déclenché par autre chose qu’une insolvabilité ou une faillite. De même, il n’y a pas d’infraction à la règle dans les protections contractuelles qui permettent d’obtenir ou de réaliser une sûreté ou qui exigent une assurance ou une garantie d’un tiers. Toutefois, la décision ne fournit que peu d’indications sur la portée de ces exceptions. Les types de mesures de protection qui peuvent être adoptées pour faire face à l’insolvabilité d’une contrepartie sans violer la règle anti-privation doivent encore être négociés par les parties contractantes et (peut-être) examinés plus avant par les tribunaux.

L’autorisation d’interjeter appel d’une décision aux termes de la LACC est difficile à obtenir

Dans le cadre de la restructuration de Delphi Energy Corp. (Delphi) en vertu de la LACC, la Cour d’appel de l’Alberta a donné une confirmation utile et récente du critère très élevé qu’un plaignant doit respecter pour demander l’autorisation de faire appel d’une ordonnance rendue par le juge surveillant approuvant un plan d’arrangement en vertu de la LACC comme étant équitable et raisonnable. Les audiences de contestations de l’homologation d’un plan d’arrangement en vertu de la LACC ne sont pas monnaie courante et les cours d’appel ont donc rarement l’occasion de fournir des lignes directrices significatives à propos des questions soulevées à ce stade final d’une instance en vertu de la LACC. Osler a représenté Delphi.

Dans l’affaire de Delphi Energy Corp. and Delphi Energy (Alberta) Limited, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a approuvé un plan de compromis et d’arrangement qui avait reçu les niveaux d’approbation requis par la loi de la part des créanciers concernés. La Cour d’appel de l’Alberta a par la suite refusé l’autorisation de faire appel de cette ordonnance dans le cadre de demandes distinctes émanant de deux parties prenantes. La Cour d’appel a confirmé le droit antérieur qui prévoit qu’une cour d’appel ne perturbera pas à la légère la détermination qu’un plan de compromis et d’arrangement est équitable et raisonnable, compte tenu de l’exercice délicat auquel il faut s’adonner pour soupeser les intérêts en jeu et parvenir à cette conclusion. La Cour d’appel a également noté que tout retard entraîné par l’appel envisagé mettrait presque certainement en péril la restructuration visant à assurer la pérennité de Delphi.

Dans l’affaire Trican Well Service Ltd. c. Delphi Energy Corp. (en anglais), la Cour d’appel a rejeté une demande d’autorisation d’appel introduite par certains fournisseurs créanciers. Ces créanciers alléguaient que leurs créances ordinaires avaient été indûment classées, à des fins de vote, dans la même catégorie que les créanciers de la catégorie dite « convenience », ce qui a eu pour effet d’anéantir leur pouvoir de vote. Ils ont également fait valoir que la classification subordonnait indûment les droits de privilège de leurs constructeurs aux intérêts des autres créanciers. Les créanciers de la catégorie « convenience » avaient des créances ordinaires évaluées à 5 000 dollars ou moins, comparativement aux fournisseurs créanciers à qui plusieurs millions de dollars étaient dus. Dans le cadre du plan d’arrangement, les créances de la catégorie « convenience » ont été entièrement payées et ces créanciers ont été réputés voter en faveur du plan. Les créanciers qui s’opposaient au plan auraient pu demander d’être inclus dans la catégorie « convenience », mais ont choisi de ne pas le faire au motif qu’ils cherchaient à recouvrer un montant supérieur à la limite de 5 000 dollars.

Bien que les catégories « convenience » aient été fréquemment utilisées dans les plans d’arrangement en vertu de la LACC, il existe très peu d’exemples, voire aucun, de cas où la pertinence d’un tel mécanisme a été soulevée devant une cour d’appel. En concluant que ce motif d’appel n’avait aucune chance de succès, la Cour d’appel a estimé que, si l’autorisation d’appel était accordée, il faudrait faire preuve d’un degré de retenue élevé à l’égard de la conclusion du juge surveillant de la LACC selon laquelle la classification des créanciers dans le cadre du plan d’arrangement était appropriée. La Cour d’appel a confirmé le principe selon lequel la classification doit être fondée sur le caractère commun des intérêts, et non sur leur nature, et que la fragmentation des catégories ne doit pas être utilisée pour conférer un pouvoir de veto à un groupe de parties prenantes.

La Cour d’appel a également conclu qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable pour les créanciers s’opposant au plan de démontrer que le plan compromettait indûment leurs réclamations à l’encontre des administrateurs de Delphi. Le paragraphe 5.1(2) de la LACC interdit à un débiteur de compromettre certains types de réclamations contre les administrateurs – principalement celles qui sont fondées sur des allégations de fausse représentation ou de conduite injustifiée ou abusive. La Cour d’appel a jugé que le mécanisme du plan selon lequel les réclamations contre les administrateurs de Delphi étaient limitées au produit des polices d’assurance du débiteur ne constituait pas du tout un compromis à l’égard des réclamations contre les administrateurs. Les garanties au titre de l’assurance étaient plus que suffisantes pour couvrir ces réclamations, même si les demandeurs avaient complètement gain de cause. Ce motif d’appel n’avait donc pas non plus de chance de succès.

La deuxième demande, Repsol Canada Energy Partnership c. Delphi Energy Corp. (en anglais), concernait une requête d’autorisation d’appel d’un créancier titulaire de certaines réclamations d’indemnisation à l’encontre du débiteur. En refusant l’autorisation de faire appel, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé que les réclamations qui ont pour origine des obligations antérieures au dépôt du bilan, mais qui arrivent à échéance pendant la période postérieure au dépôt du bilan peuvent être compromises dans le cadre d’un plan d’arrangement en vertu de la LACC.

Les ordonnances de dévolution « inversée » constituent un mécanisme de restructuration viable

Les ordonnances de dévolution inversée sont l’un des développements les plus récents et les plus passionnants du droit de la restructuration cette année, car elles ne sont utilisées que depuis peu de temps et leur adoption prend rapidement de l’essor. Nous n’avons connaissance que d’une demi-douzaine d’affaires comportant des ordonnances de dévolution inversée. La plupart ont été prononcées au cours des 18 derniers mois. La popularité de ce nouvel outil ne cesse de croître, en particulier dans les secteurs hautement réglementés comme l’industrie minière et l’industrie du cannabis.

Une ordonnance de dévolution traditionnelle transfère à un acheteur les actifs de la société débitrice qui, pour sa part, conserve le passif. Une ordonnance de dévolution « inversée » (ODI) transfère le passif du débiteur à une nouvelle « société résiduelle », tandis que l’actif et tout passif pris en charge sont conservés par la société débitrice. Le débiteur continue généralement à fonctionner comme une entreprise en activité, avec le soutien de nouveaux investisseurs ou investissements. La nouvelle société résiduelle peut, le cas échéant, élaborer un plan en vertu de la LACC afin d’établir un concordat pour le passif restant.

Les ordonnances de dévolution traditionnelle et les ODI sont souvent mises en œuvre à la fin d’un processus de vente et de sollicitation d’investisseurs approuvé par le tribunal. Les ODI comportent généralement deux avantages. Les actifs complexes – par exemple, les permis, les approbations ou les accords clés, comme les accords avec les peuples autochtones – peuvent être difficiles à transférer avec succès à un tiers acheteur en raison de restrictions réglementaires ou d’exigences relatives au consentement. En outre, une ODI peut préserver des attributs fiscaux qui seraient perdus dans une vente d’actifs plus traditionnelle. L’ODI constitue donc un mécanisme potentiellement moins lourd pour permettre à une entreprise débitrice de préserver la continuité de ses activités, notamment au profit de ses employés et d’autres parties prenantes vulnérables. En particulier, les ODI comportent des complexités de structuration supplémentaires qui peuvent les rendre moins attrayantes lorsque ces facteurs sont absents.

Les ODI ont été utilisées dans un certain nombre de restructurations récentes en vertu de la LACC, notamment dans les procédures de Comark Holdings Inc. et al (Ontario, 2020), Wayland Group Corp et al (Ontario, 2020) et Stornoway Diamond Corporation et al (Québec, 2019). Osler a représenté les débiteurs dans les affaires Comark et Wayland, et le contrôleur dans l’affaire Stornoway.

Jusqu’à la décision de la Cour supérieure du Québec concernant l’Arrangement relatif à Nemaska Lithium inc., ces opérations avaient été réalisées sur consentement. Dans l’affaire Nemaska, la Cour a approuvé une opération d’ODI structurée comme une offre de crédit par les créanciers garantis des débiteurs, malgré les objections énergiques d’une partie prenante.

La Cour a reconnu que l’opération envisagée était à la fois complexe et innovante, estimant qu’il faut faire preuve de souplesse pour trouver des solutions aux problèmes auxquels est confronté un débiteur insolvable. La Cour a estimé qu’une procédure équitable avait été suivie et que des efforts suffisants avaient été faits pour obtenir la meilleure offre. La seule solution de rechange à l’ODI proposée était la liquidation qui serait catastrophique pour toutes les parties prenantes.

La partie prenante ayant fait opposition (un actionnaire et créancier de Nemaska) a fait valoir que l’article 36 de la LACC n’autorise une ordonnance de dévolution que pour « se départir » de restrictions sur les actifs du débiteur dans le cadre d’une vente ou d’une cession d’actifs à un tiers acquéreur. La Cour a rejeté cet argument, estimant qu’une telle limitation n’existe pas. Puisque l’opération envisagée était bénéfique pour les parties prenantes du débiteur, il n’y avait aucune raison pour que la Cour ne puisse pas appliquer le paragraphe 36(6) de la LACC pour purger les charges ou les autres restrictions qui pourraient autrement se rattacher aux actifs du débiteur en vertu de l’ODI.

L’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel du Québec a par la suite été refusée. Bien que la Cour d’appel ait considéré que le motif d’octroi de l’ODI et les objections potentielles pouvaient être d’intérêt pour les professionnels de l’insolvabilité, la Cour a refusé d’autoriser l’appel concernant l’ODI. La demande de la partie prenante ayant fait opposition semblait motivée principalement par des facteurs tactiques. En outre, tout retard résultant de l’appel risquait de mettre en péril la restructuration.

Les décisions rendues dans l’affaire Nemaska permettent de rassurer les débiteurs, en particulier ceux qui opèrent dans des secteurs très réglementés, qui cherchent à tirer parti des avantages qu’offre cette structure. Les avantages particuliers d’une ODI étaient importants pour Nemaska, en tant que société minière de lithium faisant des affaires dans le nord du Québec en vertu de nombreux permis et autorisations, ainsi que d’accords négociés avec la Première Nation crie de la collectivité avoisinante.

Conclusion

Les tribunaux sont manifestement confrontés à la nécessité de veiller à ce que les entreprises en difficulté financière disposent des outils souples nécessaires pour se restructurer avec succès, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. Parallèlement, les principes d’équité doivent être respectés, malgré l’extrême pression exercée sur les entreprises insolvables afin qu’elles préservent la valeur pour toutes les parties concernées et les tentatives de certaines parties prenantes cherchant à protéger leurs intérêts. Comme les conséquences économiques de la COVID-19 continuent à se faire sentir, nous nous attendons à ce que l’ingéniosité des parties, de leurs avocats, des tribunaux et peut-être des législateurs soit mise à l’épreuve.