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La Cour d’appel fédérale confirme que les Métis relèvent de la compétence fédérale en vertu de la Constitution

Auteur(s) : Richard J. King, Thomas Isaac, Patrick G. Welsh

23 avril 2014

Le 17 avril 2014, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel, en partie, d’une décision rendue par la Cour fédérale en janvier 2013 qui étendait la compétence fédérale aux Métis et aux Indiens non inscrits, en modifiant le jugement déclaratoire de la Cour fédérale de sorte qu’il s’applique uniquement aux Métis, et pas aux Indiens non inscrits (pour connaître le contexte de la décision de première instance, consultez le Bulletin d'Actualités Osler du 14 janvier 2013).

Contexte

Les demandeurs dans Daniels c. Canada étaient des individus qui s'identifiaient comme étant un Métis, une Indienne non inscrite de l’Ontario (qui préférait le titre d’« Anishinabe non inscrite »), un Indien non inscrit mi’kmaq originaire de la Nouvelle-Écosse, ainsi que le Congrès des peuples autochtones. Les demandeurs cherchaient à obtenir les jugements déclaratoires suivants : 1) que les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Constitution canadienne; 2) que la Couronne fédérale a une obligation fiduciaire envers les Métis et les Indiens non inscrits, en tant que peuples autochtones, et 3) que les Métis et les Indiens non inscrits ont droit à des consultations et des négociations avec le gouvernement fédéral. En première instance, le premier jugement déclaratoire a été accordé et les autres ont été rejetés.

En appel, la Couronne fédérale et le procureur général de l’Alberta (qui agissait comme intervenant), ont demandé l’annulation du jugement déclaratoire prononcé en première instance selon lequel les Métis et les Indiens non inscrits sont des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Constitution canadienne. Dans le cadre de l’appel incident, les demandeurs initiaux ont demandé à la Cour d’appel fédérale de prononcer les deuxième et troisième jugements déclaratoires.

La Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement déclaratoire prononcé en première instance en ce qui concerne les Métis, mais a infirmé la décision en ce qui concerne les Indiens non inscrits. La Cour d’appel fédérale a reformulé le jugement déclaratoire de la façon suivante : « La Cour déclare que les Métis sont considérés comme des “Indiens” au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. »

Motifs

La Cour d’appel a considéré les conclusions de fait du juge de première instance, notamment sa conclusion que les Métis et les Indiens non inscrits étaient apparentés à la catégorie raciale des « Indiens » selon le paragraphe 91(24) par la voie du mariage, de la filiation et du mariage entre Indiens et non-Indiens, de même que de leur « quiddité indienne » (plutôt que d’autres facteurs comme leur langue, leur religion ou leur lien avec leur patrimoine européen).

Les appelants ont tenté de contester les conclusions du juge de première instance en prétendant que le jugement déclaratoire était dépourvu d’utilité pratique. La Cour d’appel a rejeté cet argument, du moins en ce qui concerne les Métis, parce que le juge de première instance a tiré les conclusions de fait que le gouvernement fédéral avait largement accepté sa compétence constitutionnelle à l’égard des Métis jusqu’au milieu des années 1980, lorsque des questions d’ordre politique et financier l’avaient fait revenir sur sa position. De plus, la Cour d’appel a jugé que les querelles entre le gouvernement fédéral et les provinces sur la question de la compétence avaient privé les Métis de services et de programmes avantageux, et que le règlement de cette question était susceptible de clarifier les responsabilités des différents paliers de gouvernement.

En revanche, la Cour d’appel a exclu les Indiens non inscrits du jugement déclaratoire en faisant valoir que ce jugement déclaratoire serait dépourvu d’utilité pratique. La Cour a indiqué que, comme les Indiens non inscrits sont déjà admissiblesau statut d’Indien au titre du paragraphe 91(24) aux fins de cette disposition, un jugement déclarant que sont Indiens les Indiens non inscrits admissibles au statut d’Indien serait redondant et dépourvu d’utilité pratique. La Cour d’appel a également fait remarquer que les raisons pour lesquelles des personnes sont privées du statut d’Indien sont complexes et variées (p. ex. les problèmes de consignation des noms au cours de la négociation des traités, la perte de statut de femmes autochtones qui ont épousé un homme non autochtone, etc.) et que, par conséquent, il ne convenait pas de tracer de façon générale les contours du terme « Indien » en ce qui a trait aux Indiens non inscrits. Il faut plutôt analyser chaque situation au cas par cas.

Autres conclusions

  1. Lien avec d’autres arrêts en ce qui concerne la définition de « Métis » : Les appelants ont soutenu que la décision Daniels était incompatible avec les arrêts Powley, Blais, Cunningham et Manitoba Métis Federation de la Cour suprême portant sur la définition de Métis. La Cour d’appel a convenu que la définition de Métis proposée par le juge de première instance, plus particulièrement l’utilisation de l’expression « patrimoine indien », posait problème (le juge décrivait les Métis comme « un groupe d’Autochtones ayant maintenu une forte affinité avec leur patrimoine indien, sans toutefois être des Indiens inscrits. Leur “quiddité indienne” reposait sur l’auto-identification et la reconnaissance par le groupe »). La Cour d’appel a toutefois situé Daniels dans le contexte des définitions formulées dans les arrêts Powley, Cunningh am et Manitoba Métis Federation et conclu qu’en employant l’expression « patrimoine indien », le juge avait voulu parler de quiddité ou de « patrimoine autochtone ». 




  2.  
  3.  
  4. La Cour d’appel a accepté la distinction établie par le juge de première instance entre cette cause et l’arrêt Blais de la Cour suprême selon laquelle, dans l’arrêt Blais, la Cour suprême avait laissé en suspens la question de savoir si les Métis étaient visés par le paragraphe 91(24), et a estimé que le juge avait accordé suffisamment d’importance à tous les éléments pertinents avant de conclure que le terme « Indiens » comprenait les Métis aux fins du paragraphe 91(24).
  1. Une relation fiduciaire ne donne pas forcément naissance à une obligation fiduciaire : La Cour d’appel a approuvé la décision du juge de première instance de ne pas déclarer que le gouvernement fédéral avait une obligation fiduciaire envers les Métis, tout en reconnaissant l’existence d’une relation fiduciaire entre la Couronne et les Autochtones. La Cour d’appel a signalé la confirmation donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Manitoba Métis Federation comme quoi les Métis sont dans une relation fiduciaire avec la Couronne et le fait qu’un jugement déclaratoire rendu dans l'abstrait établissant l’existence d’une obligation fiduciaire ne serait d’aucune utilité.
  2. Aucune obligation globale de consulter : La Cour d’appel s’est dit en accord avec la conclusion du juge de première instance selon laquelle un jugement déclaratoire voulant que les Métis ont droit à des consultations et négociations avec le gouvernement fédéral serait sans utilité, parce que l’obligation de consulter dépend de la question devant faire l’objet d’une consultation ou d’une négociation, de la solidité de la revendication et d’autres facteurs dont la Cour n’a pas été saisie.

Discussion

Cette décision est importante en ceci qu’elle confirme la compétence du parlement du Canada à l’égard des « Métis » en vertu du paragraphe 91(24). La véritable question consiste maintenant à définir les obligations précises, le cas échéant, du gouvernement fédéral envers les Métis en vertu du paragraphe 91(24) et à déterminer dans quelle mesure cette analyse s’applique aux Indiens et aux Inuits en vertu du paragraphe 91(24), à savoir, est-il possible que les provinces aient aussi une responsabilité vis-à-vis des Indiens lorsqu’il y a un vide juridique au sujet de l’exercice de la compétence fédérale, comme cela a été le cas pour les Métis? Pour les professionnels qui traitent d’affaires liées à l’obligation de consulter de la Couronne, cette décision aura vraisemblablement peu d’incidence sur l’analyse et les risques pratiques et juridiques.

 

Authored by Thomas Isaac, Richard J. King, Patrick Welsh