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Le projet de loi modifiant la Loi sur la concurrence est présenté au Parlement

Auteur(s) : Shuli Rodal, Michelle Lally, Kaeleigh Kuzma, Chelsea Rubin, Reba Nauth, Alysha Pannu, Zach Rudge

Le 28 septembre 2023

Le 21 septembre 2023, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, a présenté le projet de loi C-56, la Loi sur le logement et l’épicerie à prix abordable, qui comprend le projet de modification de la Loi sur la concurrence (la Loi) que le gouvernement a annoncé plus tôt ce mois-ci, comme nous l’avons mentionné dans notre précédent bulletin d’actualités Osler.

Modifications proposées

Bien que le projet de loi C-56 soit présenté comme un effort du gouvernement pour s’attaquer au problème des logements inabordables et des prix élevés des produits d’épicerie, les modifications qu’il est proposé d’apporter à la Loi auront de vastes répercussions sur les lois canadiennes en matière de concurrence et ont des conséquences importantes pour les entreprises qui font affaire au Canada. Les modifications proposées — à savoir l’introduction d’un pouvoir d’enquête formel, l’élargissement de la disposition relative aux collaborations civiles et l’abrogation de la défense fondée sur les gains en efficience entraînés par des fusionnements — sont toutes examinées ci-dessous.

Enquête sur un marché ou une industrie

Les modifications permettraient au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le ministre) d’ordonner au commissaire à la concurrence (le commissaire) de mener une enquête sur un marché si le ministre estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire, indépendamment du fait que le commissaire estime ou non qu’un agissement anticoncurrentiel passible de sanctions est en train de se produire ou s’est produit. Une fois l’enquête lancée, le commissaire sera habilité à user des pouvoirs lui permettant d’exiger la production de renseignements, prévus à l’article 11 de la Loi. Ces pouvoirs comprennent des ordonnances autorisées par un juge exigeant des dépositions orales et la production de documents ou de dossiers sous serment.

La procédure que l’on doit suivre pour obtenir une ordonnance en vertu de l’article 11 auprès d’un juge permet de limiter dans une certaine mesure la portée d’une ordonnance exigeant la production de renseignements. Cependant, l’obligation de répondre à une enquête formelle et à une ordonnance exigeant la production de renseignements et une déposition en vertu de l’article 11 de la Loi est lourde et coûteuse pour les répondants, non seulement en termes de ressources, mais aussi en termes de perturbation des activités et d’atteinte à la réputation. Le projet de loi C-56 propose d’atténuer de telles préoccupations en imposant une procédure en plusieurs étapes avant qu’une enquête sur un marché puisse être lancée, qui comprend les freins et les contrepoids suivants :

  • Le ministre doit consulter le commissaire afin de vérifier si l’enquête est réalisable en pratique.
  • Une fois que le ministre lui a ordonné de mener l’enquête, le commissaire doit élaborer un projet de mandat et le publier en ligne pour une période de consultation publique d’au moins 15 jours. Le projet de loi C-56 exige que le commissaire tienne compte des observations du public dans le cadre de l’élaboration du mandat final. Ensuite, le commissaire doit soumettre au ministre le mandat final pour approbation et, s’il est approuvé, le publie en ligne.
  • Une fois le mandat final publié, le commissaire dispose de 18 mois pour mener l’enquête et rédiger un rapport; le ministre peut toutefois prolonger le délai spécifié pour des périodes maximales de trois mois.
  • Avant la publication du rapport, le commissaire doit distribuer une ébauche — complète ou non — du rapport à toutes les personnes qui ont été contraintes de participer à l’enquête. Ces personnes disposent de trois jours ouvrables à compter de la réception de l’ébauche du rapport pour faire part de leurs préoccupations concernant des renseignements inexacts ou confidentiels. Ensuite, le commissaire doit publier le rapport en ligne.

​Extension de l’article 90.1 aux collaborations entre non-concurrents

L’article 90.1 de la Loi est une disposition civile qui se limite actuellement aux accords ou arrangements — conclus ou proposés — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents qui empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence sur un marché, ou auront vraisemblablement cet effet. Le projet de loi C-56 étendrait cette disposition aux accords conclus uniquement entre des parties qui ne se font pas concurrence (les non-concurrents) si l’un des « objectifs importants » de l’accord ou de l’arrangement est d’empêcher ou de diminuer la concurrence.

Le projet de loi C-56 ne propose pas d’apporter à l’article 90.1 d’autres modifications qui élargiraient la portée des recours ou des droits de mise en application. Les recours obligatoires en vertu de l’article 90.1 se limitent aux ordonnances d’interdiction. Une ordonnance exigeant qu’une personne prenne certaines mesures peut également être rendue, mais seulement si cette personne et le commissaire y consentent. Aucune sanction pécuniaire n’est prévue. En outre, cette disposition est appliquée exclusivement par le commissaire; il n’existe pas de droit d’action privé.

En ce qui concerne les types d’accords qui seraient visés par l’article 90.1 élargi, dans le rapport de l’étude de marché sur l’épicerie de détail qu’il a publié en juin 2023, le Bureau de la concurrence (le Bureau) aborde la pratique des détaillants de produits d’épicerie qui exigent l’inclusion, dans les accords qu’ils concluent avec les propriétaires, de clauses restrictives les empêchant de louer des locaux à des concurrents. Le projet de loi C-56 est vraisemblablement destiné à s’appliquer à de tels accords par le biais de sa nouvelle application aux non-concurrents, mais il s’appliquerait également à d’autres accords entre non-concurrents qui contiennent des clauses restrictives et d’autres formes de clauses de non-concurrence qui ont nécessairement, dans une certaine mesure, pour but de limiter la concurrence.

On ne sait pas avec certitude quelle sera l'évaluation analytique qui sera appliquée en vertu de la disposition élargie. Dans de nombreux cas, les raisons commerciales justifiant l’insertion de clauses restrictives et autres clauses touchant la concurrence seront claires et appuieront la concurrence (par exemple, encourager de nouveaux investissements ou protéger un investissement existant). Toutefois, le libellé de la nouvelle disposition ne prévoit pas expressément d’examiner si l’intention de restreindre la concurrence était justifiée sur le plan commercial dans les circonstances. Les arguments pro-concurrence doivent donc être examinés dans le cadre d’une évaluation complexe visant à déterminer si l’accord ou l’arrangement empêche ou diminue sensiblement la concurrence ou aura vraisemblablement cet effet, ce qui requiert l’analyse de nombreux facteurs, y compris la définition du marché, les parts de marché, la probabilité d’entrée et d’expansion et d’autres forces dynamiques du marché. La modification proposée introduit donc une incertitude commerciale pour les parties qui envisagent de prendre des mesures de protection ordinaires sur le plan commercial à l’égard des investissements qu’elles pourraient souhaiter réaliser.

La modification proposée entrera en vigueur un an après que le projet de loi C-56 aura reçu la sanction royale. Si la modification est adoptée, il incombera au Bureau de fournir des directives à jour sur l’application prévue de l’article 90.1 avant que la nouvelle disposition n’entre en vigueur. À l’heure actuelle, l’application de l’article 90.1 est abordée dans les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents du Bureau, qui ne couvrent que les accords et arrangements entre concurrents.

Abrogation de la défense fondée sur les gains en efficience entraînés par des fusionnements

Le projet de loi C-56 abroge entièrement la défense fondée sur les gains en efficience. Unique au Canada, la défense fondée sur les gains en efficience permet aux parties à une opération qui, selon le Tribunal de la concurrence, empêche ou diminue sensiblement la concurrence de la conclure si les gains en efficience qui seraient perdus si le Tribunal de la concurrence prononçait une ordonnance l’emportent sur les effets anticoncurrentiels. Sa suppression, demandée depuis fort longtemps par le Bureau, ferait en sorte que le régime d’examen des fusionnements du Canada cadre avec ceux qui sont en vigueur dans le monde entier.

Une fois la modification entrée en vigueur, la défense fondée sur les gains en efficience continuera à s’appliquer à tout projet d’opération qui a fait l’objet d’un avis auprès du Bureau avant la date d’entrée en vigueur des modifications, ainsi qu’à tout fusionnement réalisé avant cette date.

Prochaines étapes du projet de loi C-56 et de la Loi sur la concurrence

Le projet de loi C-56 a fait l’objet d’une première lecture à la Chambre des communes le 21 septembre 2023 et il fait actuellement l’objet d’une deuxième lecture. Une fois la deuxième lecture terminée, il sera renvoyé à un comité (le Comité permanent de l’industrie et de la technologie) pour examen et production d’un rapport, étape qui permet aux députés de proposer des modifications au contenu du projet de loi. Le projet de loi C-56 fera ensuite l’objet d’une troisième lecture à la Chambre des communes et, s’il est adopté par la Chambre des communes, sera transmis au Sénat. Après réception de la sanction royale, les modifications apportées à la Loi entreront immédiatement en vigueur, à l’exception de la modification apportée à l’article 90.1, qui entrera en vigueur un an plus tard.

Le projet de loi C-56 a été présenté dans le cadre de l’examen et de la réforme en cours de la Loi par le gouvernement, qui a débuté en 2022. Ce projet de loi reflète certaines des modifications discutées dans le cadre du processus de consultation du Bureau, mais pas toutes. Le gouvernement a promis d’autres réformes dans les mois à venir, alors restez à l’écoute. Le résumé des conclusions de la consultation publique du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique sur la Loi, qui pourrait servir de base aux modifications à venir, a été publié le 20 septembre 2023.

Pour toute question concernant les modifications apportées à la Loi ou toute autre question relative au droit de la concurrence au Canada, veuillez communiquer avec les membres du groupe Droit de la concurrence et investissement étranger d’Osler.