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Une société de télécommunications a été condamnée à payer une amende de 795 millions de dollars pour corruption en Ouzbékistan, mauvaise tenue de dossiers et contrôles internes défaillants

Auteur(s) : Kaeleigh Kuzma, Devon Robertson

2 mars 2016

Le 18 février 2016, les autorités de réglementation hollandaises, la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») et le ministère de la Justice des États-Unis ont annoncé que VimpelCom Ltd. (VimpelCom), fournisseur mondial de services de télécommunications, devra payer des amendes totalisant plus de 795 millions de dollars aux gouvernements hollandais et américains pour régler ses infractions aux lois contre la corruption étrangère, y compris la loi fédérale américaine intitulée Foreign Corrupt Practices Act (la « FCPA »). Ce règlement coordonné survient après que les organismes d’application de la loi ont découvert que VimpelCom avait versé des paiements illégaux pour obtenir des contrats en Ouzbékistan, avait mal indiqué ces paiements dans ses dossiers et ses états financiers et n’avait pas de système de contrôles internes adéquat.

Contexte

Fondée en Russie et ayant actuellement son siège social à Amsterdam, VimpelCom est un fournisseur de services de télécommunications d’envergure mondiale dont les grands actionnaires sont des entreprises contrôlées par l’oligarque russe Mikhail Fridman et Telenor Group, de Norvège. VimpelCom possède également une catégorie de titres inscrits à la cote du NASDAQ. VimpelCom gère ses activités par l’intermédiaire d’unités d’affaires régionales distinctes, supervisées par un dirigeant de VimpelCom et un membre du groupe de haute direction. Jusqu’à 2014, VimpelCom possédait une participation dans Wind Mobile, fournisseur de services sans fil au Canada.

Plainte de la SEC

La SEC alléguait que VimpelCom avait obtenu à plusieurs reprises un avantage injuste dans le marché des télécommunications uzbek en corrompant un fonctionnaire ayant un lien avec le président du pays.

Avant l’arrivée de VimpelCom sur le marché ouzbek en 2006, des hauts dirigeants de la société ont établi que ce fonctionnaire était prêt à exercer une influence indue sur d’autres fonctionnaires ouzbeks afin d’atteindre les objectifs commerciaux de VimpelCom. En 2006, VimpelCom a conclu une entente de consultation apparente avec la société fictive du fonctionnaire, par l’intermédiaire de laquelle le fonctionnaire a reçu un paiement de 2 millions de dollars. En 2007, la société fictive du fonctionnaire a ensuite acquis une participation de 33,3 % dans une société de portefeuille relative aux activités de télécommunications ouzbèkes de VimpelCom en contrepartie d’une somme de 20 millions de dollars, assortie d’une option de vente permettant à la société fictive de revendre la participation à VimpelCom en 2009 pour au moins 57,5 millions de dollars. Lorsque cette option a été exercée en 2009, le rendement réalisé s’établissait à près de 200 % par rapport au prix de vente initial, en 27 mois environ.

Ces pratiques se sont poursuivies de 2006 à au moins 2012. Pendant cette période, VimpelCom s’est servie de divers contrats et arrangements commerciaux factices pour verser des paiements de plus de 114 millions de dollars à ce fonctionnaire. De plus, des paiements d’au moins 500 000 $ ont été déguisés comme dons à des groupes ayant un lien avec le fonctionnaire. En échange de ces pots-de-vin, VimpelCom a reçu du gouvernement des permis, des fréquences, des canaux et des blocs de numéros. Par exemple, lorsque VimpelCom a voulu établir un réseau 3G en Ouzbékistan en 2007, elle a versé 25 millions de dollars au fonctionnaire afin qu’il exerce une influence répréhensible sur l’autorité de réglementation chargée de la délivrance des permis nécessaires pour le réseau 3G. Aux termes de cet arrangement, l’autorité de réglementation était censée délivrer les permis nécessaires à une filiale de la société fictive du fonctionnaire, qui allait refuser les permis pour qu’ils puissent plutôt être délivrés à une filiale de VimpelCom. En 2011, VimpelCom a répété ce processus pour son réseau 4G. La société fictive du fonctionnaire a présenté de faux rapports techniques pour tenter de justifier le paiement inapproprié de 30 millions de dollars. Au total, la SEC estime que VimpelCom a obtenu des bénéfices de plus de 2,5 milliards de dollars grâce à ses pots-de-vin.

En plus du caractère illicite des paiements, la SEC a découvert que ces paiements étaient indûment indiqués comme dépenses légitimes dans les livres comptables des filiales de VimpelCom et consolidés dans les états financiers que VimpelCom avait déposés auprès de la SEC pendant la période pertinente. VimpelCom a également omis de concevoir et de maintenir en place un système adéquat de contrôles internes contre la corruption.

Sanction

Dans le cadre du règlement d’envergure mondiale, VimpelCom versera 167,5 millions de dollars à la SEC, 230,1 millions de dollars au ministère de la Justice américain (soit 397,6 millions de dollars au total) ainsi que 397,5 millions de dollars au service des poursuites pénales hollandais. Ces amendes sont parmi les plus élevées imposées par la SEC et le ministère de la Justice en vertu de la FCPA et servent d’exemple de l’application de la loi de façon multilatérale et coordonnée entre plusieurs organismes. En plus des amendes, VimpelCom doit embaucher un surveillant indépendant de certains aspects de ses activités à l’étranger pour une période d’au moins trois ans.

Le ministère de la Justice cherche également à obtenir une somme de 850 millions de dollars supplémentaires, en vertu du droit de confiscation du produit de la corruption, répartie dans divers comptes de banques européennes contrôlés par le fonctionnaire ouzbek corrompu. Bien que ces comptes se trouvent en Suisse, en Irlande, en Belgique et au Luxembourg, les fonds auraient été transférés par l’intermédiaire d’institutions financières américaines avant leur dépôt dans ces pays, ce qui confère au ministère de la Justice le droit de faire valoir sa compétence.

Incidences pour les sociétés canadiennes

Cette affaire illustre une fois de plus qu’on aura recours à l’application intergouvernementale de la loi lorsque les circonstances le justifient, particulièrement dans le cas des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») puisque les efforts peuvent être coordonnés par l’intermédiaire de cet organisme. Dans les cas antérieurs d’application de la loi contre la corruption, les autorités américaines ont collaboré avec les autorités du Royaume-Uni et de l’Allemagne, entre autres. Dans cette affaire, les États-Unis ont travaillé étroitement avec les autorités hollandaises et d’autres organismes. Pour les sociétés canadiennes, particulièrement celles qui ont un lien commercial avec les États-Unis ou qui sont inscrites à la cote d’une bourse américaine, le risque d’une enquête tant de la part de la GRC et que des autorités américaines est très élevé. Il n’y a pas encore eu de cas de sanctions imposées conjointement par les autorités canadiennes et américaines, mais cela ne saurait tarder.

En plus du risque d’enquêtes multiples, les sociétés canadiennes exerçant des activités à l’étranger peuvent tirer de cette affaire les leçons suivantes :

  1. le fait de travailler avec des personnes qui ont la réputation d’entremetteur ou de personne ayant de l’influence auprès des autorités de réglementation de pays étrangers comporte le risque de faire l’objet d’un examen minutieux de la part des autorités d’application de la loi contre la corruption;
  2. si une société a recours à des pots-de-vin pour atteindre des objectifs commerciaux et entrer sur un nouveau marché, il est presque impossible par la suite d’exercer des activités de façon complètement légale; il est beaucoup plus difficile de renverser la vapeur après avoir commis un acte frauduleux dans des pays où la corruption est monnaie courante que de refuser de commettre un tel acte dès le départ;
  3. les autorités d’application de la loi sont capables de reconnaître les contrats factices et les paiements déguisés sous forme de dons. Ces activités sont non seulement des actes de corruption, mais elles entraînent des accusations de mauvaise tenue de dossiers et de contrôles internes défaillants;
  4. les actions coercitives contre la corruption sont de plus en plus courantes dans tous les pays de l’OCDE et dans d’autres économies en croissance, comme celles du Brésil, de l’Inde et de la Chine. Les amendes importantes imposées contre VimpelCom sont les mesures les plus récentes prises par la SEC et d’autres autorités d’application de la loi pour la lutte contre la corruption d’agents étrangers. Pour en savoir davantage, veuillez consulter les ressources suivantes d’Osler :

Pour un supplément d’information concernant le présent bulletin Actualités Osler ou sur la façon d’élaborer un programme de conformité contre la corruption pour votre entreprise, veuillez communiquer avec un membre du groupe de pratique d’Osler contre la corruption.