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La Cour d’appel fédérale rejette l’appel de la Couronne dans Cameco

Auteur(s) : Al Meghji, Peter Macdonald, Andrew Kingissepp, Mark Sheeley

Le 29 juin 2020

Dans une décision unanime, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour de l’impôt selon laquelle les opérations de Cameco avec sa filiale suisse étaient effectuées sans lien de dépendance, et par conséquent, Cameco respectait les règles sur les prix de transfert et leurs politiques sous-jacentes.

Le thème principal de la décision de la Cour est que le but des dispositions sur les prix de transfert du Canada consiste à veiller à ce que les opérations entre des parties liées soient effectuées sans lien de dépendance. Toutes les opérations effectuées entre Cameco et sa filiale ont été effectuées sans lien de dépendance, le « transfert de bénéfices » allégué par le gouvernement n’était pas fondé. Les bénéfices en cause appartenaient bien à la filiale de Cameco. Le ministre ne peut pas s’appuyer sur les dispositions sur les prix de transfert pour réattribuer de façon arbitraire les bénéfices d’une filiale à sa société mère.

La Cour a également souligné que le gouvernement ne contestait pas les conclusions de fait tirées par le juge de première instance en autorisant l’appel de Cameco à l’égard des nouvelles cotisations. La Cour a également constaté que la Couronne n’alléguait plus que les opérations en cause étaient un subterfuge.

Principaux points à retenir

Nos principaux points à retenir de la décision relativement l’interprétation appropriée de l’article 247 sont les suivants :

  • Les règles sur les prix de transfert du Canada servent à garantir que les parties liées effectuent des opérations sans lien de dépendance. Les dispositions ne permettent pas au ministre de soulever le voile de la personnalité juridique et de réaffecter des profits.
  • Le prix de transfert est fondamentalement un exercice concret. La Cour a qualifié de nombreux arguments de la Couronne de remises en cause indirectes des conclusions de fait du juge de première instance, pour lesquelles il n’y avait aucune erreur manifeste et dominante.
  • La partie des règles sur les prix de transfert portant sur la requalification contient un critère objectif : une personne hypothétique sans lien de dépendance aurait-elle conclu l’opération en question? La Cour a rejeté le critère subjectif de la Couronne fondée sur les idiosyncrasies des parties aux opérations.

Contexte

En 1999, Cameco a constitué en société une filiale exploitée en Suisse pour saisir une occasion d’affaires à l’étranger d’achat d’uranium russe de tiers pour sa revente. En outre, Cameco a convenu de vendre une partie importante de sa production d’uranium à sa filiale pour la revente. Des années après ces opérations, le prix de l’uranium a bondi de façon inattendue, de sorte que la filiale a réalisé des profits importants. Le ministre a réattribué tous les profits de la filiale à Cameco au Canada.

Au procès, l’argument principal de la Couronne était que les opérations de Cameco constituaient un subterfuge, et de façon subsidiaire, que les dispositions de l’article 247 sur les prix de transfert s’appliquaient. La Cour de l’impôt a rejeté la suggestion selon laquelle il y avait eu subterfuge et a conclu qu’aucune disposition sur les prix de transfert n’étayait un redressement, puisque les opérations étaient conformes à la logique commerciale et effectuées sans lien de dépendance. La Couronne n’a pas présenté son argument sur le subterfuge à la Cour d’appel fédérale et ne s’est appuyée que sur les arguments sur les prix de transfert, principalement la partie des dispositions sur la requalification.

Pour en savoir plus sur la décision de septembre 2018 de la Cour de l’impôt, voir Le contribuable l’emporte dans un différend historique portant sur les prix de transfert.

La requalification n’est offerte que si les parties sans lien de dépendance n’effectuent pas les opérations selon des modalités.

La Cour d’appel fédérale a soutenu que la condition au sous-alinéa 247(2)b)i) prévoit un critère objectif : des personnes hypothétiques sans lien de dépendance auraient-elles conclu l’opération (ou la série)? Comme la Cour de l’impôt, la Cour d’appel fédérale a rejeté le critère subjectif de la Couronne visant à déterminer si le contribuable en question aurait conclu l’opération (ou la série) avec une partie sans lien de dépendance.

La Cour a commencé par une analyse textuelle du sous-alinéa 247(2)b)i), qui stipule que « l’opération ou la série…n’aurait pas été conclue entre personnes sans lien de dépendance ». Si le parlement avait prévu une condition subjective, il aurait utilisé la phrase « entre les participants s’ils avaient eu des liens de dépendance ». La Cour a également indiqué que le sous-alinéa 247(2)b)i) doit être lu de la même manière que l’alinéa 247(2)d), qui utilise la phrase « personnes sans lien de dépendance » dans les circonstances où il est clair que la disposition ne se rapporte pas aux participants réels.

La Cour soutient que le critère est respecté seulement lorsque des personnes sans lien de dépendance auraient conclu l’opération (ou la série) en question, selon des modalités. En d’autres mots, si le prix de l’opération (ou la série) peut être fixé (p. ex. présence d’un prix), l’opération devrait être analysée selon les alinéas 247(2)a) et c), et non selon les alinéas 247(2)b) et d).

L’interprétation proposée par la Couronne de la règle de requalification était trop large selon la Cour, puisqu’elle ferait en sorte que l’article s’appliquerait de façon inappropriée chaque fois qu’une société au Canada déciderait d’exploiter une entreprise dans un pays étranger (avec un taux d’imposition inférieur) par l’intermédiaire d’une filiale étrangère. Ce résultat ne serait pas conforme aux règles en matière de filiale étrangère de la Loi qui encourage les multinationales canadiennes à utiliser des filiales étrangères pour prendre de l’expansion dans le monde entier.

La Cour a également soutenu que la demande d’allègement de la Couronne en vertu de l’alinéa 247(2)d), ignorant effectivement l’existence distincte de la filiale et traitant plutôt Cameco comme si elle agissait à la place de la filiale, était sans fondement. La Cour a indiqué que si les conditions de l’alinéa 247(2)b) sont respectées, l’alinéa 247(2)d) prévoit le remplacement des opérations existantes par d’autres opérations, et non par l’absence d’opérations, comme la Couronne le proposait.

La Cour s’est appuyée sur de nombreux facteurs contextuels pour soutenir son interprétation de l’article 247, y compris sur les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert. Les principes préconisent de ne pas tenir compte des opérations actuelles et de les substituer par d’autres opérations seulement dans des circonstances exceptionnelles, comme dans les cas où les opérations empêchent l’administration fiscale de déterminer un prix de transfert approprié. La Cour a soutenu qu’aucune circonstance exceptionnelle de ce genre n’existait et a conclu que rien ne permet de croire que la structure de Cameco empêchait le ministre (ou la Cour de l’impôt) de déterminer si les opérations étaient effectuées à des prix de pleine concurrence.

Dans le même ordre d’idées, la Cour a indiqué que les rubriques sur les prix de transfert et les ajustements de prix de transfert de la Loi et les notes techniques du ministère des Finances suggèrent toutes deux que les dispositions sur les prix de transfert visent à permettre des ajustements de prix et non à soulever le voile de la personnalité juridique pour réaffecter des profits.

La Cour a confirmé que les prix devraient être vérifiés selon les circonstances existant au moment où les ententes ont été conclues, sans utiliser les renseignements obtenus a posteriori, par exemple la montée des prix de l’uranium qui est survenue plusieurs années plus tard.

La Cour a conclu en indiquant qu’« [e]n fait, les profits en question en l’espèce ont découlé de l’achat et de la vente d’uranium »et que rien ne permettait de conclure que les parties n’ayant aucun lien de dépendance n’auraient pas conclu les opérations.

Règles traditionnelles en matière de prix – Aucune raison de nuire aux conclusions de fait du juge qui préside

La décision de la Cour relativement aux règles traditionnelles en matière de prix de transfert prévues aux alinéas 247(2)a) et c) démontre l’importance de faire valoir de façon efficace les preuves, y compris les preuves d’expert au procès.

La Cour a décrit les observations de la Couronne relativement aux alinéas 247(2)a) et c) comme une remise en cause des experts de la partie à privilégier et comme une contestation indirecte des conclusions de fait du juge de première instance. La Cour a réaffirmé qu’il revenait au juge d’apprécier les éléments de preuve, de décider l’expert à privilégier et de tirer des conclusions de fait. S’il n’y a pas d’erreur manifeste et dominante (alléguée par la Couronne), la déférence est de mise quant à la décision d’un juge de première instance.

Par conséquent, la Cour a soutenu qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle intervienne quant à la décision de la Cour de l’impôt.

Conclusion

Le ministre a cherché à faire abstraction de la structure organisationnelle véritable de Cameco et à imposer Cameco sur les profits de sa filiale. Le principal argument à l’appui de ce qui précède était que la structure organisationnelle et virtuellement toutes les opérations intersociétés étaient un subterfuge. Cet argument a été rejeté par le juge de première instance compte tenu des faits, et la loi ne soutenait tout simplement pas cette description. À la Cour d’appel, la Couronne a abandonné les allégations de subterfuge, mais a persisté avec ses arguments sur les prix de transfert pour atteindre le même objectif consistant à soulever le voile de la personnalité juridique et à imposer Cameco sur les profits de sa filiale. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’intervention du ministre et a conclu que conformément aux Principes de l’OCDE et aux déclarations du ministère des Finances, les règles en matière de prix de transfert ont un but : veiller à ce que les opérations soient conclues par des parties liées sans lien de dépendance. La Cour a soutenu que ce but a été respecté dans cette affaire et que pour cette raison, les cotisations en question sont dénuées de tout fondement en droit.