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Avec la « Liste des marchandises et technologies réglementées », le Canada élargit la gamme de sanctions imposées à la Russie

Auteur(s) : Alan Kenigsberg, Danielle Chu, Chelsea Rubin

Le 1er avril 2022

Face à l’invasion de l’Ukraine qui perdure, la pression sur la Russie s’accentue sur la scène internationale. Comme nous l’avons décrit dans nos bulletins d’actualités Osler précédents (publiés les 23 et 28 février et 10 mars derniers), les sanctions imposées par le Canada à l’encontre de la Russie se multiplient à un rythme soutenu depuis le début du conflit. L’élaboration de la nouvelle « Liste des marchandises et technologies réglementées » et l’adoption d’un règlement y afférent, interdisant de fournir à la Russie les articles qui y sont énumérés, figurent au chapitre des récentes actions canadiennes. Cette vaste liste s’ajoute à celle, déjà en place, des marchandises et technologies d’exportation contrôlée, et pourrait poser problème pour les fournisseurs de biens et services destinés au marché russe. 

Par ailleurs, les sanctions imposées par le Canada à l’encontre de la Russie ont également été élargies sur le plan de la portée des interdictions générales de conclure des opérations avec les personnes désignées, par l’ajout d’une centaine d’entités et de particuliers à la liste des personnes désignées déjà en place et par la mise en place de restrictions propres à certains secteurs, dont le pétrole et le gaz ainsi que le transport. Le présent bulletin d’actualités présente un aperçu général de ces nouvelles mesures.

Adoption de la « Liste des marchandises et technologies réglementées »

Aux termes d’une modification apportée le 24 mars dernier au Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie (ci-après, le Règlement sur la Russie), le nouvel article 3.6 vient élargir la portée des restrictions sur les exportations destinées à la Russie ou aux personnes qui s’y trouvent. L’ensemble des articles figurant à la nouvelle Liste des marchandises et technologies réglementées sont désormais visés par l’interdiction d’approvisionnement. En vertu du nouvel article 3.6, il est interdit aux Canadiens et aux personnes au Canada :

  • d’exporter, de vendre, de fournir ou d’envoyer toute marchandise figurant sur la Liste des marchandises et technologies réglementées, peu importe où elle se trouve, lorsqu’elle est destinée à la Russie ou à toute personne qui s’y trouve; et
  • de fournir à la Russie ou à toute personne qui s’y trouve l’une ou l’autre des technologies décrites à la Liste des marchandises et technologies réglementées.

La Liste des marchandises et technologies réglementées prévoit un large éventail d’équipements électroniques ou liés aux télécommunications ou à la sécurité de l’information, de logiciels de sécurité de l’information, de capteurs optiques, de caméras, de lasers, d’équipements de navigation, d’aéronefs et de moteurs diesel, en plus de leurs composants. Elle inclut également la « technologie » liée à certains des articles énumérés. Cette dernière est définie comme englobant les données techniques et toute forme d’aide technique.

Selon la position adoptée par le gouvernement, ces interdictions ont pour objectif de priver la Russie d’un accès aux marchandises et aux technologies susceptibles de renforcer son armée. 

L’interdiction d’approvisionnement prévue à l’article 3.6 comporte des exceptions. Les articles suivants sont exemptés : les marchandises devant servir dans le cadre de plans d’action multilatéraux (p. ex., celles destinées à la vérification des garanties visant la sûreté nucléaire ou aux activités de la Station spatiale internationale), les dispositifs de communication destinés aux consommateurs et les effets personnels, certaines marchandises entreposées à bord d’un aéronef ou d’un navire, les mises à jour de logiciels dont les utilisateurs finaux sont des entités civiles détenues ou contrôlées par un Canadien ou un ressortissant d’un des pays partenaires et les marchandises exportées en vue d’être utilisées par un représentant des médias d’information canadiens ou ceux d’un pays partenaire. La liste des pays partenaires recense 33 états, y compris les membres de l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud. Il est à noter que l’article 3.6 du Règlement sur la Russie suggère que même les contrats relatifs aux marchandises nouvellement réglementées conclus avant l’entrée en vigueur des récentes modifications sont visés par l’interdiction.

Autres modifications récentes

Outre l’adoption de la Liste des marchandises et technologies réglementées, les modifications récentes au Règlement sur la Russie sont venues élargir la portée des interdictions générales visant les opérations conclues avec les personnes visées par les sanctions. L’interdiction de conclure de telles opérations, énoncée à l’article 3 du Règlement sur la Russie, constitue l’un des piliers de la réglementation. Cette disposition précise quelles sont les opérations que les Canadiens et les personnes se trouvant au Canada doivent s’abstenir de conclure avec les entités et les particuliers inscrits à l’Annexe 1 du Règlement sur la Russie, soit la grande majorité des personnes visées par les sanctions. L’article 5 est directement lié à ces interdictions et défend aux Canadiens et aux personnes se trouvant au Canada de faire sciemment quoi que ce soit qui occasionne ou facilite la réalisation de toute activité interdite par l’article 3, qui y contribue ou qui vise à le faire. Les modifications apportées au Règlement sur la Russie le 23 mars élargissent la portée de cette interdiction, les opérations prohibées incluant désormais celles portant sur un bien « appartenant à une personne désignée […], détenu ou contrôlé par elle ou pour son compte » (al. 3a)), et l’interdiction de rendre disponibles des marchandises « à une personne désignée » s’étendant maintenant aux « personne[s] agissant pour [le] compte » de cette dernière (al. 3d); les italiques signalent les ajouts aux dispositions préexistantes). Ces changements reflètent les autres règlements récents adoptés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, comme le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la République populaire de Chine.

Les nouvelles sanctions imposées par le Canada prévoient également des restrictions plus sévères en matière d’importation de produits énergétiques russes. Aux restrictions préexistantes en matière d’exportation vers la Russie de biens et services canadiens liés à l’exploration pétrolière et gazière s’ajoute maintenant une interdiction générale d’importer du pétrole brut russe et des produits y afférents. La portée de l’article 5 du Règlement sur la Russie a également été élargie en conséquence pour inclure cette interdiction d’importation. Il est interdit à tout Canadien ou à toute personne au Canada d’importer, d’acheter ou d’acquérir de tels produits de la Russie ou d’une personne qui s’y trouve. Bien qu’une exception soit prévue pour les contrats conclus avant le 10 mars 2022, les autres mesures en place, notamment le retrait de certaines banques russes du réseau SWIFT et les autres restrictions d’ordre financier dont il a été question dans notre bulletin d’actualités précédent, risquent fort de compliquer les paiements aux termes de tels contrats.

Les restrictions applicables aux navires et aux aéronefs russes ont elles aussi été élargies. Depuis le 27 février, il est interdit aux aéronefs russes de pénétrer l’espace aérien du Canada ou d’atterrir sur son territoire. Depuis le 6 mars, s’est ajoutée l’interdiction pour les navires immatriculés en Russie ou utilisés au bénéfice de ce pays de passer au Canada ou de s’y amarrer, sauf dans la mesure où la sauvegarde de vies humaines ou la sûreté de la navigation en dépendent. Selon toute vraisemblance, ces restrictions se répercuteront sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, surtout maintenant que d’autres états ont imposé des sanctions analogues.

Enfin, signalons que la liste des particuliers inscrits que tient le Canada en lien avec le Règlement sur la Russie et la réglementation afférente ne cesse de s’allonger. Au moment de rédiger ce bulletin, le sommaire des sanctions canadiennes imposées en réaction à l’offensive russe en Ukraine fait état de plus d’un millier d’entités et de particuliers désignés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et des règlements y afférents visant la Russie, l’Ukraine et le Bélarus. Les ajouts à la liste au fil des modifications successives visent notamment les entités russes liées aux contrats de défense du gouvernement russe, tous les membres du Conseil de la Fédération russe qui n’y figuraient pas déjà ainsi que de multiples représentants gouvernementaux et agences d’État.

La Liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes recense les personnes physiques et morales qui ont fait l’objet de sanctions en vertu du Règlement sur la Russie et de la réglementation y afférente adoptée en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Les gens d’affaires doivent garder en tête que même les particuliers et les personnes morales qui ne figurent pas sur la liste peuvent être assujettis au Règlement sur la Russie, surtout compte tenu de la portée élargie des opérations prohibées, dont il a été question précédemment.  

Développements futurs prévus

Comme nous l’avons mentionné dans les précédents bulletins d’actualité relatifs aux sanctions annoncées en février et au début mars, les récentes mesures s’inscrivent en continuité avec les sanctions déjà imposées par le Canada en réaction aux actions antérieures de la Russie dans la même région. L’ensemble de ces sanctions, incluant celles mises en place avant 2022 (p. ex., les sanctions infligées en réaction à la campagne russe en Crimée), demeureront vraisemblablement inchangées. Les Canadiens et les personnes se trouvant au Canada qui font des affaires dans cette région du monde doivent faire preuve de vigilance et se montrer soucieux des sanctions en place et de leurs modifications.

Celles-ci sont déployées à un rythme soutenu alors que le Canada continue d’agir de concert avec ses alliés de la scène internationale. Il est à prévoir qu’il en ira de même à l’avenir. Le groupe en droit du commerce international d’Osler suit de près les récents développements sur la scène internationale dans ce domaine du droit en mutation rapide. Si vous avez besoin d’aide ou avez des questions concernant ce sujet ou la conformité au régime de réglementation du commerce et des sanctions du Canada, veuillez communiquer avec un membre de notre équipe, qui se fera un plaisir de vous aider.