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Le ministère des Finances publie des documents de consultation sur un régime privilégié des brevets et la RS&DE

Auteur(s) : Kim Maguire, Jean-Philippe Dionne, Ilana Ludwin

Le 4 mars 2024

Le ministère des Finances a ouvert deux consultations sur un éventuel régime privilégié des brevets et sur le programme actuel de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE) du Canada. Chaque consultation est accompagnée d’un bref document et est ouverte jusqu’au 15 avril 2024. Ces initiatives fiscales ont d’abord été annoncées dans le budget de 2022 et brièvement abordées dans le budget de 2023.

Consultation sur un régime privilégié des brevets

Les régimes privilégiés des brevets visent à encourager financièrement la recherche et le développement au pays, ce qui entraîne la création de certains types de propriété intellectuelle (PI), en offrant un traitement fiscal préférentiel du revenu provenant des actifs de PI admissibles et la disposition de ces actifs. Bien que le document de consultation et de nombreuses administrations utilisent le terme régime « privilégié des brevets », les actifs de PI admissibles ne se limitent pas aux brevets.

Le traitement fiscal préférentiel peut prendre de nombreuses formes, comme l’imposition du revenu de PI admissible à un taux d’imposition effectif plus faible (semblable aux règles actuelles visant les petites entreprises au Canada), ou l’octroi de crédits d’impôt qu’un contribuable utilise pour réduire l’impôt autrement payable ou qui lui donnent effectivement droit à un paiement en espèces (semblable aux règles existantes pour la RS&DE).

De nombreux pays ont déjà instauré des régimes privilégiés des brevets, dont la moitié des États membres de l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Suisse, la Chine et la Corée du Sud. Le Québec a instauré son premier régime privilégié des brevets à compter du 1er janvier 2017, qui vise à promouvoir la fabrication et la commercialisation au Québec d’innovations conçues par les entreprises québécoises. À l’heure actuelle, le taux d’imposition réel du revenu de PI admissible peut être aussi bas que 2 %, comparativement au taux d’imposition général des sociétés du Québec de 11,5 % (ce qui donne un taux d’imposition fédéral-provincial combiné des sociétés de 17 %, comparativement à 26,5 %).

Le document de consultation soulève des préoccupations quant au fait que le Canada accuse un retard par rapport à d’autres pays en ce qui concerne le nombre de brevets détenus et que moins de revenus sont gagnés au Canada pour l’utilisation de la PI à l’échelle internationale que dans d’autres pays. Bien que la moyenne du G7 soit un excédent net, le Canada se trouve historiquement en position déficitaire pour ce qui est des paiements nets liés à la PI, ce qui signifie que plus de paiements quittent le Canada pour l’utilisation de la PI que ce qui est versé au Canada pour cette utilisation. De plus, l’écart entre le déficit du Canada et l’excédent moyen du G7 s’est considérablement creusé au fil du temps.

Le document de consultation mentionne brièvement certaines des initiatives non fiscales prises par le gouvernement fédéral depuis 2015 pour améliorer la situation. Il indique également clairement que tout régime privilégié des brevets mis en œuvre au Canada devra être conforme au Rapport final de 2015 sur l’action 5 du Plan d’action sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), y compris les exigences relatives à l’« approche de lien », qui harmonise l’accès aux avantages fiscaux avec les activités et les dépenses substantielles en recherche et développement dans l’administration qui a donné lieu à ce revenu lié à la PI. Entre autres choses, l’approche de lien du Projet BEPS limite les types d’actifs de PI qui peuvent être inclus dans un régime privilégié des brevets (y compris les brevets et les logiciels protégés par le droit d’auteur – ces derniers ayant été exclus des régimes privilégiés des brevets de certaines administrations). Elle énonce les obligations de déclaration auxquelles les entreprises doivent se conformer pour bénéficier du régime privilégié des brevets.

L’accent mis sur l’« approche de lien » n’est pas surprenant comparativement à l’évolution du régime privilégié des brevets du Québec, qui a été considérablement remanié en 2021 pour le rendre plus conforme à cette approche. Les revenus admissibles du régime du Québec comprennent les revenus tirés de la vente ou de la location de biens et de la prestation de services « intrinsèquement liés » à l’actif de PI, les redevances et même les revenus tirés des litiges relatifs à l’actif de PI. Pour être admissible à cet incitatif, la société doit :

  1. être établie au Québec et y exercer ses activités;
  2. commercialiser la PI admissible à partir d’un établissement au Québec;
  3. avoir engagé des dépenses de recherche et développement au Québec, ce qui est conforme à l’« approche de lien » de l’OCDE.

De plus, bien qu’il y ait eu une exigence souple pour que la PI admissible résulte, en tout ou en partie, de la RS&DE au Québec jusqu’au 31 décembre 2023, il faut maintenant qu’il y ait un lien direct entre les dépenses de RS&DE au Québec et la création, le développement ou l’amélioration de la PI admissible. L’expérience du Québec avec son régime privilégié des brevets en évolution pourrait servir de guide au ministère des Finances pendant le processus de consultation.

Le ministère des Finances n’aborde pas de nombreux détails dans le document de consultation, mais notamment :

  • si les incitatifs prennent la forme d’un taux d’imposition réduit sur tous les revenus liés à la PI admissibles (comme au Québec), de crédits d’impôt ou d’une exonération partielle du revenu liés à la PI admissible de l’impôt sur le revenu, de sorte que le revenu total soit effectivement imposé à un taux inférieur;
  • les types de contribuables qui seront admissibles au régime privilégié des brevets et si les avantages devraient être structurés pour offrir des incitatifs aux entités imposables et aux entités exonérées d’impôt;
  • l’interaction entre le régime canadien privilégié des brevets et le projet de Loi de l’impôt minimum mondial, qui met en œuvre l’impôt minimum mondial du Pilier Deux de l’OCDE. Par exemple, les règles applicables aux grandes multinationales seront-elles structurées de façon à donner un taux d’imposition fédéral-provincial combiné d’au moins 15 %? Ou, si des crédits d’impôt sont offerts, s’agira-t-il de crédits d’impôt remboursables qui bénéficient d’un traitement préférentiel en vertu du Pilier Deux?

Ces détails seront essentiels pour déterminer l’efficacité de tout régime privilégié des brevets et pour évaluer les perspectives d’atteinte des objectifs du gouvernement d’améliorer la compétitivité du Canada pour attirer, développer et conserver la PI.

Le ministère des Finances pose sept questions dans le document de consultation auxquelles les intervenants doivent répondre :

  1. Pourquoi le Canada affiche un déficit croissant pour l’utilisation de la PI comparativement à l’excédent croissant des autres pays du G7.
  2. Si un régime privilégié des brevets améliorait la compétitivité du Canada pour « développer, commercialiser et conserver la propriété intellectuelle ».
  3. L’importance des considérations fiscales pour les entreprises lorsqu’il s’agit de décider où commercialiser et localiser la PI, y compris si des facteurs autres que les taux d’imposition sont pris en compte, et la façon dont ces facteurs peuvent avoir une incidence sur les réactions des entreprises à l’introduction d’un régime privilégié des brevets.
  4. Quel taux d’imposition total (fédéral plus provincial ou territorial) rendrait le régime privilégié des brevets canadien concurrentiel.
  5. Si tous les actifs de PI identifiés dans le Rapport final de 2015 sur l’action 5 du Projet BEPS comme étant conformes à l’approche de lien doivent être inclus dans tout régime privilégié des brevets canadien.
  6. Les leçons tirées des régimes privilégiés des brevets existants qui sont conformes à l’approche de lien du projet BEPS pour aborder les importantes obligations de déclaration imposées aux entreprises.
  7. Les méthodes possibles pour réduire les coûts fiscaux d’un régime privilégié des brevets pour le gouvernement.

 Consultation sur la RS&DE

Le document de consultation sur la RS&DE traite brièvement des mesures fiscales et non fiscales existantes qui sont en place pour promouvoir la recherche et le développement au Canada, notamment de la déduction du programme de RS&DE sur les crédits d’impôt à l’investissement (CII). Les règles existantes offrent des avantages fiscaux accrus aux sociétés qui sont admissibles à titre de « sociétés privées sous contrôle canadien » (SPCC), notamment la possibilité de demander des CII remboursables, qui peuvent être une importante source de financement pour les entreprises en démarrage.

Le document de consultation sur la RS&DE indique qu’en 2021, les CII liés à la RS&DE « ont fourni environ 3,9 milliards de dollars à plus de 22 000 entreprises au Canada » dans le but d’appuyer les activités de recherche et développement. Malgré les mesures existantes, les dépenses au titre de la RS&DE ont diminué au Canada depuis 2011 et sont inférieures à celles d’autres pays comparables.

Le but de la consultation sur la RS&DE est d’aider le gouvernement fédéral à évaluer si le programme actuel de RS&DE est efficace pour encourager la recherche et le développement au Canada et s’il peut être modernisé et simplifié (en plus de certaines améliorations déjà apportées ou en cours par l’ARC).

Le document de consultation sur la RS&DE sollicite des présentations sur les sept questions suivantes :

  1. Comment maintenir l’efficacité des incitatifs aux investissements en recherche et développement et promouvoir la croissance et le succès des entreprises grâce à des activités de recherche et développement intenses dans le cadre du programme de RS&DE.
  2. Comment améliorer la définition de la RS&DE, les critères d’admissibilité et l’architecture globale du programme.
  3. Comment le programme de RS&DE complète d’autres programmes de soutien à la recherche et au développement, et comment améliorer leur interaction.
  4. Comment mieux cibler l’aide dans le cadre du programme de RS&DE sans augmenter le coût global.
  5. Comment accroître la conservation de la PI au Canada grâce au programme de la RS&DE.
  6. Comment l’accès des entrepreneurs au soutien de la RS&DE peut être amélioré et simplifié.
  7. Comment s’assurer que les changements proposés sont neutres sur le plan des coûts et axés sur les avantages pour le Canada et les Canadiens.

Le document de consultation sur la RS&DE précise que toute amélioration proposée au programme de RS&DE ne devrait pas avoir d’incidence sur les coûts et que les présentations devraient porter sur la façon dont cet objectif sera atteint.

L’efficacité du programme de RS&DE pourrait être améliorée si le ministère des Finances réexaminait le statut de SPCC comme exigence pour demander des CII remboursables et d’autres avantages améliorés en matière de RS&DE. Une société canadienne peut ne pas être admissible à titre de SPCC si la majorité des actions avec droit de vote de la société sont détenues par une ou plusieurs sociétés publiques ou des non-résidents. Comme de nombreuses sociétés au Canada dépendent du financement de non-résidents (en particulier du capital de risque et des fonds de capital-investissement américains) ou de plus en plus de grandes sociétés, souvent cotées en bourse, qui cherchent à faire des investissements stratégiques, il peut être difficile et souvent peu pratique pour les entreprises basées au Canada de maintenir leur statut de SPCC (et, par conséquent, leurs avantages en matière de RS&DE), même là où les activités de base, les actifs et les employés sont principalement situés au Canada.

Pour en savoir plus sur les répercussions des deux documents de consultation, ou si vous intéressé à soumettre ou à contribuer à une présentation sur l’un ou l’autre des documents de consultation, veuillez communiquer avec tout membre de notre Groupe national de droit fiscal