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Les plans d’arrangement de l’article 192 de la LCSA – Observations récentes concernant les assemblées virtuelles des détenteurs de titres et l’exigence de solvabilité

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Sophie Courville, Jack M. Little

Le 16 janvier 2024

L’article 192 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) constitue un outil flexible qui permet aux sociétés de réaliser des changements importants et d’effectuer diverses opérations de structure, sous réserve de l’approbation et de la surveillance des tribunaux. Le présent article vise à faire le point sur la façon dont les tribunaux québécois traitent la question des assemblées virtuelles des détenteurs de titres ainsi que l’exigence de solvabilité.

Aperçu du processus d’arrangement

Les sociétés peuvent conclure des plans d’arrangement pour effectuer diverses opérations, telles que des fusions, des acquisitions, des regroupements ou des réorganisations. Les principales étapes d’un plan d’arrangement intervenu en vertu de l’article 192 sont les suivantes :

  • Évaluation des objectifs de l’entreprise, rédaction du plan d’arrangement et obtention de l’approbation du conseil d’administration.
  • Envoi de la documentation pertinente au directeur nommé en vertu de la LCSA, qui examinera le projet d’arrangement.
  • Dépôt d’une requête auprès du tribunal en vue de la délivrance de l’ordonnance provisoire autorisant la société à convoquer une assemblée extraordinaire des détenteurs de titres afin que ceux-ci votent sur le plan proposé. L’ordonnance provisoire prévoit également la date, l’heure et le format de l’assemblée, ainsi que le droit à la dissidence qui est accordé aux détenteurs de titres dissidents.
  • Rédaction d’une circulaire d’information et distribution de celle-ci.
  • Tenue de l’assemblée des détenteurs de titres et vote des détenteurs de titres sur le plan d’arrangement, assemblée qui peut être tenue en personne ou virtuellement, comme discuté ci-après.
  • Dépôt d’une requête auprès du tribunal en vue de la délivrance de l’ordonnance finale approuvant le plan d’arrangement. Avant de rendre l’ordonnance finale, le tribunal s’assurera notamment que le plan est juste et raisonnable, qu’il ne cause pas un préjudice injustifié aux parties intéressées et que l’exigence de solvabilité est remplie. (Plus de détails à cet égard ci-dessous.)
  • Mise en œuvre du plan d’arrangement et dépôt de tous les documents requis auprès des autorités gouvernementales compétentes.

Assemblées virtuelles de détenteurs de titres

Les sociétés tiennent généralement l’assemblée extraordinaire portant sur le plan d’arrangement conformément à leurs règlements administratifs régissant les assemblées des détenteurs de titres. Les paragraphes 132(4) et (5) de la LCSA prévoient qu’une société peut tenir une assemblée virtuelle de détenteurs de titres si ses règlements administratifs l’autorisent expressément et si la plateforme qu’elle utilise permet à tous les participants de communiquer adéquatement entre eux.

Toutefois, depuis la pandémie de COVID-19, les assemblées virtuelles d’actionnaires ont gagné en popularité, en grande partie en raison de leur convenance et de leur rapport coût-efficacité. De nombreuses sociétés cotées en bourse ont désormais recours à des formats virtuels pour tenir leurs assemblées générales annuelles. Les assemblées extraordinaires de détenteurs de titres portant sur les plans d’arrangement n’ont pas échappé à cette tendance.

De manière générale, les tribunaux québécois se sont montrés favorables à l’utilisation de moyens technologiques pour la tenue de ces assemblées, car ils permettent une participation accrue des détenteurs de titres, ce qui est particulièrement important lorsque les droits des détenteurs de titres font l’objet d’un arrangement. Dans la dernière année, par exemple, la Cour supérieure du Québec a approuvé la tenue d’assemblées exclusivement virtuelles dans le cadre des plans d’arrangement relatifs à Velan Inc.,[1] à Dialogue Technologies de la Santé inc.[2] et à LeddarTech inc.,[3] ainsi que dans le cadre de l’arrangement relatif à IOU Financial Inc. pris en application de l’article 414 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec.[4] Ainsi, nous nous attendons à ce que les sociétés continuent de recourir régulièrement aux assemblées virtuelles de détenteurs de titres dans les années à venir, bien que le format « par défaut » reste les assemblées en personne suivant les dispositions de la LCSA.

Exigence de solvabilité

En vertu de la LCSA, une société peut demander au tribunal d’approuver un plan d’arrangement s’il lui est pratiquement impossible d’opérer autrement une modification de structure à son capital, à condition qu’elle ne soit pas insolvable. Une société est insolvable si : a) elle ne peut acquitter son passif à échéance ou b) la valeur de réalisation de son actif est inférieure à la somme de son passif et de son capital déclaré.[5] En pratique, une société démontrera généralement sa solvabilité au tribunal en fournissant des états financiers récents, des projections de flux de trésorerie, des avis d’experts ou une déclaration sous serment d’un membre de la haute direction qui atteste de la solvabilité de l’entreprise au sens du paragraphe 192 (2) de la LCSA.

La LCSA ne précise pas si l’exigence de solvabilité doit être remplie à la fois au moment de rendre l’ordonnance provisoire et au moment de rendre l’ordonnance finale, ni si toutes les sociétés demanderesses, en cas de pluralité, doivent être solvables pour que l’exigence en question soit remplie. Toutefois, la jurisprudence suggère qu’il suffit que la société ne soit pas insolvable au moment de l’ordonnance finale, même si elle l’est à l’étape de l’ordonnance provisoire. Par exemple, dans l’affaire Arrangement relatif à Pétrolia inc., puisque la demanderesse ne remplissait pas l’exigence de solvabilité lors de l’audience portant sur l’ordonnance provisoire, elle a plaidé qu’elle adopterait une résolution réduisant son capital déclaré avant que l’ordonnance finale ne soit rendue afin de se conformer à l’exigence de solvabilité de la LCSA à l’étape de l’ordonnance finale.[6] La Cour supérieure a été d’avis que cela était suffisant pour satisfaire l’exigence de solvabilité.

Les tribunaux semblent également être d’avis qu’en cas de pluralité de sociétés demanderesses, l’exigence de solvabilité est remplie si au moins une d’entre elles est solvable au sens du paragraphe 192 (2) de la LCSA.[7] Une société pourrait donc envisager la constitution d’une société fictive afin que celle-ci agisse en tant que demanderesse et remplisse l’exigence de solvabilité au stade de l’ordonnance provisoire, suivie d’une fusion de celle-ci et de la société principale à une étape ultérieure dans le cadre de l’arrangement.

Toujours au niveau de l’exigence de solvabilité, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a toutefois estimé en 2015 que des demanderesses devaient également démontrer la solvabilité de l’entité devant émerger après la mise en œuvre du plan pour se conformer à l’exigence de solvabilité.[8] En 2020, la Cour d’appel de l’Alberta a en outre déterminé que l’exigence de solvabilité après la mise en œuvre du plan est remplie si la société principale est solvable pendant une période raisonnable à la suite de la mise en œuvre du plan d’arrangement.[9] Bien que la Cour n’ait pas précisé quelle durée correspond à constitue une période raisonnable à la suite de la mise en œuvre du plan d’arrangement, la Cour a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel il fallait considérer que l’exigence de solvabilité n’était pas remplie alors qu’il était possible, selon l’appelant, que l’entité émergente devienne insolvable dans les dix mois à la suite de l’émission de l’ordonnance finale approuvant le plan d’arrangement.

En date des présentes, les tribunaux québécois ne se sont pas prononcés sur ces décisions qui émanent de l’Alberta. Les sociétés qui envisagent de mettre en œuvre un plan d’arrangement devraient tout de même garder à l’esprit qu’il est possible qu’on leur demande de démontrer la solvabilité de l’entreprise qui émergera à la suite de la mise en œuvre de l’arrangement, à ce moment et pendant une période raisonnable par la suite, conformément à la jurisprudence albertaine. Selon notre expérience, avant de fournir la lettre de non-comparution, soit la lettre émise par le directeur nommé en vertu de la LCSA qui sert à confirmer qu’il ne comparaîtra pas à l’audience portant sur l’ordonnance finale pour contester le plan d’arrangement, ce dernier exigera au minimum que la société principale établisse clairement comment l’exigence de solvabilité sera remplie au moment de la mise en œuvre du plan d’arrangement.

Conclusion

Dans l’ensemble, l’article 192 de la LCSA offre aux sociétés un mécanisme flexible leur permettant d’effectuer des opérations de structure, sous réserve de l’approbation des tribunaux. Ces opérations font appel aussi bien à la surveillance des tribunaux qu’à l’approbation des détenteurs de titres afin de garantir l’équité du processus. Au cours des dernières années, les tribunaux québécois se sont montrés favorables aux assemblées virtuelles des détenteurs de titres, qui permettent de maximiser la participation tout en étant très commodes, et nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive à l’avenir.

En ce qui concerne l’exigence de solvabilité, la jurisprudence canadienne récente suggère que les sociétés doivent démontrer la solvabilité de l’entreprise qui émergera de la mise en œuvre de l’arrangement, à ce moment et pendant une période raisonnable par la suite. Une société demanderesse qui n’est pas en mesure de remplir l’exigence de solvabilité de la LCSA pourrait être mieux à même de restructurer sa dette en vertu d’une loi d’insolvabilité, comme la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.


[1] Arrangement relatif à Velan inc., 2023 QCCS 1623.

[2] Arrangement relatif à Dialogue Health Technologies inc., 2023 QCCS 3213.

[3] Arrangement relatif à Leddartech inc., 8 novembre 2023, 200-11-028823-238.

[4] Arrangement relatif à Iou Financial inc., 2023 QCCS 3632.

[5] Selon le paragraphe 192 (2) de la LCSA.

[6] Arrangement relatif à Pétrolia inc., 2017 QCCS 2785, par. 31 à 35.

[7] Voir notamment, au Québec, 45133541 Canada inc. (Arrangement relatif à), 2009 QCCS 6444, par. 75 à 78.

[8] 9171665 Canada Ltd. (Re), 2015 ABQB 633.

[9] 12178711 Canada Inc v. Wilks Brothers, LLC, 2020 ABCA 430, par. 51 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée le 27 mai 2021, no 39560).