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Des placements privés contestés aux termes du nouveau régime d’offres publiques d’achat : la décision Dolly Varden

Auteur(s) : Douglas Bryce, James R. Brown, Jeremy Fraiberg, Emmanuel Pressman, Alex Gorka, Robert M. Yalden

28 octobre 2016

Dans une décision importante, la British Columbia Securities Commission (BCSC) et la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) ont confirmé un placement privé contesté par la société cible d’une offre publique d’achat (OPA) non sollicitée, concluant qu’il existait un besoin de financement légitime et que le placement privé n’avait pas été mis en œuvre en tant que tactique de défense à la suite de l’OPA. Les commissions de valeurs mobilières ont fourni d’importantes lignes directrices sur l’analyse réglementaire et sur le traitement des placements privés contestés, à la lumière des limites traditionnelles imposées aux tactiques de défense formulées dans l’Instruction générale 62-202. Cette décision est remarquable, en raison, notamment, de sa reconnaissance explicite de l’importance des responsabilités fiduciaires et de l’appréciation commerciale du conseil d’administration dans ce contexte, et fait sans doute montre d’un degré de déférence rarement exprimé par des organismes de réglementation des valeurs mobilières canadiens.

Le 24 octobre 2016, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et la British Columbia Securities Commission (BCSC) (les Commissions) ont fourni conjointement les motifs de leur décision relative au placement privé proposé par Dolly Varden Silver Corporation, dans le contexte d’une offre publique d’achat non sollicitée déposée par Hecla Mining Company. Hecla contestait le placement privé au motif qu’il s’agissait d’une tactique de défense inappropriée, allant à l’encontre de l’Instruction générale 62-202, Mesure de défense contre une offre publique d’achat, qui se prononce en faveur du choix des actionnaires.

Comme nous l'avons décrit dans un bulletin d'Actualités Osler antérieur, la CVMO et la BCSC ont rendu des ordonnances distinctes le 25 juillet 2016, rejetant la demande d'Hecla visant l'interdiction d'opérations sur valeurs à l’encontre d’un placement privé réalisé par Dolly Varden. L’ordonnance de la CVMO a également interdit les opérations sur valeurs dans le cadre de l’offre publique d’achat de Hecla visant Dolly Varden jusqu’à l’obtention et l’inclusion d’une évaluation officielle, conformément au paragraphe 2.3 du Règlement 61-101 sur les mesures de protection des porteurs minoritaires lors d’opérations particulières. Hecla a retiré son offre publique d’achat visant Dolly Varden plus tard cette journée-là, à la suite du prononcé des ordonnances de la CVMO et de la BCSC.

Depuis des années, les placements privés qui entraînent une dilution importante de l’avoir des actionnaires, ou effectués pendant une offre publique d’achat, font l’objet de discussions, tant de la part de tribunaux que d’organismes de réglementation de valeurs mobilières. Les tribunaux avaient tendance à s’appuyer sur l’appréciation commerciale du conseil d’administration de la cible lorsqu’ils décidaient s’ils allaient autoriser le placement privé, même s’il était manifeste que c’était partiellement destiné à entraver l’intention d’une partie cherchant à obtenir le contrôle de la cible. Par contre, les commissions de valeurs mobilières ont été plus disposées à intervenir dans des situations où elles ont conclu que le placement privé avait été lancé en l’absence d’un besoin réel de financement (voir, par exemple, les événements qui ont entouré la réponse de Fibrek, en 2011, à une offre d'achat non sollicitée de Resolute). La décision dans l’affaire Dolly Varden présente un intérêt particulier, car c’est la première fois que des organismes de réglementation des valeurs mobilières revenaient sur ce terrain depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime canadien d'offres publiques d'achat, plus tôt, cette année. Bien que cette décision apporte un éclairage important sur le cadre qu’utiliseront dorénavant les organismes de réglementation des valeurs mobilières pour examiner et analyser les entraves aux placements privés dans le contexte d’offres publiques d’achat contestées, elle vient également consolider les conclusions tirées dans le cadre de décisions antérieures relatives à des placements privés contestés, selon lesquelles la question repose sur la preuve et sur des faits qui lui sont propres.

La décision

La décision Dolly Varden établit soigneusement le cadre analytique de l’évaluation d’un placement privé en tant que tactique de défense inappropriée dans le contexte courant, y compris le besoin d’interpréter maintenant l’IG 62-202 à la lumière des modifications apportées au régime canadien d’offres publiques d’achat entré en vigueur cette année. À cet égard, les Commissions ont souligné qu’étant donné que les modifications récentes représentent « un rajustement important dans la dynamique des offres publiques d’achat, accordant aux conseils d’administration cibles davantage de temps pour répondre aux offres publiques d’achat hostiles, et permettant l’approbation des offres par les actionnaires majoritaires », elles s’attendent à ce que des moyens de défense autres que des régimes de droits des actionnaires deviennent plus courants et suscitent « un examen minutieux de la part des autorités réglementaires ». Par ailleurs, les Commissions citent avec approbation les décisions Re Red Eagle et Re ARC Equity Management (Fund 4) Ltd. de la BCSC et de l’Alberta Securities Commission, soulignant que les organismes de réglementation des valeurs mobilières devraient « procéder avec prudence dans ce domaine », et que les placements privés devraient généralement être interdits par ces organismes uniquement lorsqu’il y a « abus manifeste » des actionnaires cibles ou des marchés financiers.

Plus particulièrement, cette décision reconnaît que les opérations visant des placements privés, contrairement aux régimes de droits des actionnaires, peuvent servir de multiples objectifs d’entreprise. Ainsi, lors de l’évaluation des placements privés dans le contexte de l’IG 62-202, on reconnaît explicitement la nécessité que les organismes de réglementations des valeurs mobilières mettent en équilibre : « (1) la mesure dans laquelle le placement privé sert véritablement les objectifs de l’entreprise, le droit des sociétés accordant beaucoup de déférence au conseil d’administration dans l’exercice de son appréciation commerciale; (2) les principes du droit des valeurs mobilières visant à faciliter le choix des actionnaires en matière d’opérations de contrôle de sociétés et à promouvoir un contexte d’offre publique d’achat ouvert et impartial ». La décision reconnaît également le chevauchement des rôles des tribunaux, des organismes de réglementation des valeurs mobilières et des marchés boursiers, en ce qui concerne la surveillance des placements privés dans le contexte d’une offre publique d’achat.

Les Commissions établissent ensuite un cadre en deux volets visant l’évaluation d’un placement privé dans le contexte d’une offre publique d’achat :

  1. La preuve établit-elle clairement que le placement privé n’est pas, en fait, un moyen de défense conçu, en totalité ou en partie, pour modifier la dynamique du processus d’offre publique d’achat ?
  2. Si le placement privé est, ou peut être, une tactique de défense, les organismes de réglementation des valeurs mobilières chercheraient alors à trouver l’équilibre entre les principes de protection des actionnaires prévus dans l’IG 62-202 et le respect de l’appréciation commerciale du conseil d’administration. La décision présente une liste « non exhaustive » de facteurs pertinents à prendre en compte lorsqu’on détermine s’il faut faire obstacle à un placement privé.

Les deux volets de ce cadre de travail sont abordés plus en détail ci-dessous.

Le placement privé constitue-t-il une tactique de défense ?

En déterminant si un placement privé est une tactique de défense, la décision confirme le fait que s’il est établi que le placement privé aura une forte incidence sur une offre publique d’achat existante, la cible aura le fardeau d’établir que le placement privé n’a pas été utilisé en tant que défense tactique. Les commissions de valeurs mobilières tiennent compte de divers facteurs lorsqu’elles déterminent la validité d’un placement privé, notamment :

  • si la cible avait un besoin grave et immédiat de financement;
  • si des éléments de preuve indiquent qu’une stratégie commerciale véritable et non défensive a été adoptée par la cible;
  • si le placement privé a été planifié ou modifié à la suite d’une offre publique d’achat ou en prévision de celle-ci.

Si la preuve démontre que le placement privé n’est manifestement pas une tactique de défense, alors les principes énoncés dans l’IG 62-202 ne s’appliqueront pas, et les organismes de réglementation des valeurs mobilières n’auront qu’à déterminer si elles ont d’autres motifs d’interdire le placement privé relevant de leur compétence relative à l’intérêt public.

Déterminer si des placements privés sont des tactiques de défense

La décision présente une liste supplémentaire de facteurs non exhaustifs pertinents dans l’exercice de pondération consistant à déterminer si les organismes de réglementation des valeurs mobilières devraient faire obstacle à un placement privé qui est, ou peut être, une tactique de défense :

  • Le placement privé serait-il autrement au profit des actionnaires, par exemple, en permettant à la cible de poursuivre ses activités pendant la durée de l’offre publique d’achat, ou en permettant au conseil d’administration d’entreprendre un processus d’enchères sans porter atteinte indûment à l’offre publique d’achat ?
  • Dans quelle mesure le placement privé modifie-t-il la dynamique de l’offre publique d’achat déjà existante, par exemple en privant les actionnaires de la capacité de répondre à l’offre ?
  • Les investisseurs dans le placement privé sont-ils apparentés à la cible, ou existe-t-il d’autres éléments de preuve indiquant que certains ou la totalité d’entre eux agiront de façon à permettre au conseil d’administration de la cible de « simplement refuser » l’offre publique d’achat ou une offre concurrente ?
  • Existe-t-il des renseignements précisant l’opinion des actionnaires de la cible sur l’offre publique d’achat ou sur le placement privé ?
  • Dans les cas où une offre publique d’achat est en cours, pendant la mise en œuvre d’un placement privé, le conseil d’administration de la cible a-t-il pris en compte de façon appropriée l’interaction entre le placement privé et l’offre publique d’achat, y compris l’effet de la dilution subséquente sur l’offre et sur les besoins de financement ?

Le dénouement dans Dolly Varden

En appliquant ces éléments aux faits dans l’affaire Dolly Varden, la CVMO et la BCSC ont déterminé, d’une manière factuelle, que la preuve démontrait que le placement privé en question avait été réalisé à des fins commerciales non défensives, c.-à-d. que la contestation a été réglée aux premières étapes du cadre de travail. Pour tirer cette conclusion, les Commissions ont examiné en détail les éléments de preuve présentés concernant le choix du moment, les délibérations et les négociations relativement au placement privé et à la situation financière de l’émetteur ainsi que le besoin des produits du financement. La CVMO et la BCSC ont également souligné qu’aucune preuve n’a été présentée du fait que le placement privé a été modifié à la suite de l’offre publique d’achat, de façon que celle-ci acquière une nature défensive.

Ayant déterminé qu’il n’existait pas d’éléments, aux termes de l’IG 62-202, faisant obstacle au placement privé, les Commissions ont également considéré qu’il n’y avait pas de raisons de faire obstacle au placement privé de Dolly Varden, dans le cadre de leur mandat d’intérêt public.

Conclusion

La décision Dolly Varden confirme la viabilité continue de placements privés dans des situations de contestation de fusions et acquisitions aux termes du nouveau régime d’offres publiques d’achat, et présente un nouveau cadre, permettant aux organismes de réglementation des valeurs mobilières d’évaluer leur examen, et comportant un respect certain de l’appréciation commerciale des conseils d’administration. Étant donné la période considérablement plus longue pendant laquelle les offres publiques d’achat hostiles doivent demeurer ouvertes aux termes du nouveau régime d’offres publiques d’achat (105 jours, par rapport aux 35 jours du régime antérieur [même si les régimes de droits faisaient en sorte que la période finissait plutôt par atteindre les 55 à 65 jours]), il n’est pas déraisonnable de présumer que certains émetteurs pourraient bien avoir des besoins financiers légitimes à combler pendant qu’une offre hostile est en cours. Le cadre établi par les Commissions permettra d’examiner soigneusement les raisons de procéder au financement, d’une manière respectueuse à l’égard de l’appréciation commerciale d’un conseil d’administration. Cela dit, étant donné le fondement sur lequel les Commissions se sont appuyées pour rendre leur décision dans Dolly Varden, on ignore encore la manière dont les commissions de valeurs mobilières appliqueront les facteurs énoncés dans Dolly Varden aux situations dans lesquelles un placement privé constitue manifestement, en tout ou en partie, une tactique de défense. Selon une interprétation littérale, un placement privé qui n’est pas réalisé en tant que tactique de défense ne sera pas entravé, quelles que soient les répercussions nuisibles qu’il peut avoir sur une offre publique d’achat, à moins qu’il ne suscite des préoccupations relatives à l’intérêt public. Cela soulève la question de savoir s’il existe des circonstances dans lesquelles un placement privé réalisé de bonne foi susciterait des préoccupations relatives à l’intérêt public et, le cas échéant, si et en quoi l’analyse de l’intérêt public différerait en pratique du dénouement de l’analyse de la tactique de défense.