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Placements transfrontaliers de valeurs mobilières : incidence de l’actualité canadienne

Auteur(s) : James R. Brown, Jason Comerford, Rosalind Hunter, Desmond Lee, François Paradis, Trevor R. Scott, Andrea Whyte, c.r.

Le 18 décembre 2018

Le secteur du cannabis ayant monopolisé l’actualité canadienne en 2018, d’autres nouvelles touchant l’évolution des marchés financiers ont pu passer inaperçues. Dans le présent article, nous nous intéressons aux changements importants qui ont eu une incidence sur les placements transfrontaliers de valeurs mobilières, y compris un certain nombre de règles qui, ensemble, facilitent le placement et la revente de titres à l’extérieur du Canada, de façon assez semblable au règlement américain connu sous le nom de Regulation S. Nous soulignons aussi certains aspects des premiers appels publics à l’épargne (les PAPE) d’émetteurs canadiens aux États-Unis uniquement ainsi qu’une disparité importante entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne la pratique qui consiste à déposer confidentiellement une ébauche de prospectus provisoire à l’égard d’un placement.

Dispenses relatives aux placements de valeurs mobilières auprès d’investisseurs hors Canada

Le Canada ne dispose pas d’un règlement d’application générale équivalant au Regulation S des États-Unis, qui permet de placer des valeurs mobilières à l’extérieur des États-Unis sans obligation d’inscription auprès de la Securities and Exchange Commission (la SEC) des États-Unis. Par conséquent, il est difficile de déterminer si un placement de valeurs mobilières canadiennes auprès d’investisseurs étrangers est assujetti à l’obligation de prospectus au Canada. Les obligations de prospectus et les restrictions de revente applicables au Canada sont susceptibles de représenter un fardeau d’obligations de conformité non souhaitable pour les émetteurs ou les porteurs de titres canadiens qui veulent placer ou vendre leurs titres à des investisseurs situés à l’étranger sans déposer de prospectus au Canada. C’est le cas, par exemple, d’un PAPE ou d’un placement de titres de créance à haut rendement, en vertu de la règle 144A, destiné uniquement aux États-Unis.

En Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec, les organismes de réglementation des valeurs mobilières considèrent que la vente de titres par un émetteur ou un porteur de la province à des investisseurs situés hors Québec est assujettie à l’obligation de prospectus. Dans la plupart des cas, les émetteurs dont le siège social est situé dans l’une de ces provinces, ou qui y ont d’autres liens importants, sont tenus de déposer un prospectus dans ces provinces ou d’obtenir une dispense de prospectus, même si eux-mêmes ou les porteurs de titres ont l’intention de placer ou de vendre leurs titres à des investisseurs situés principalement ou entièrement à l’étranger. La situation est traditionnellement moins claire en Ontario (voir notre analyse des raisons de cet état de fait dans le bulletin Actualités Osler intitulé « Projet de règle 72‑503 de la CVMO – Modernisation du cadre des placements de valeurs mobilières à l’extérieur de l’Ontario »).

L’adoption, en mars 2018, de la règle 72‐503 de la CVMO sur les placements à l’extérieur du Canada (la règle ontarienne) est considérée comme un changement juridique ayant une incidence favorable importante sur les opérations boursières, car elle a clarifié l’obligation de prospectus applicable au placement d’actions du capital et celle applicable au reclassement de titres ontariens auprès d’investisseurs situés à l’étranger. La règle ontarienne prévoit quatre dispenses permettant de placer des titres auprès de tels investisseurs sans être tenu de déposer un prospectus en Ontario :

  • Placements aux termes d’un document relatif à un appel public à l’épargne dans un territoire étranger (article 2.1) – placements aux termes d’un appel public à l’épargne (l’APE) aux États‑Unis ou dans d’autres territoires étrangers précisés
  • Placements concomitants aux termes d’un prospectus définitif déposé en Ontario (article 2.2) – placements à l’égard desquels l’émetteur a déposé un prospectus en Ontario, et l’émetteur ou le porteur vendeur s’est pour l’essentiel conformé aux obligations d’information financière du territoire étranger applicables au placement considéré ou bénéficie d’une dispense à l’égard de ces obligations
  • Placements d’émetteurs assujettis (article 2.3) – placements dont l’émetteur est un émetteur assujetti dans une province ou un territoire du Canada juste avant le placement, et l’émetteur ou le porteur vendeur s’est pour l’essentiel conformé aux obligations d’information financière du territoire étranger applicables au placement considéré ou bénéficie d’une dispense à l’égard de ces obligations
  • Placements d’émetteurs non assujettis (article 2.4) – placements dont l’émetteur n’est pas un émetteur assujetti, et à l’égard desquels l’émetteur s’est pour l’essentiel conformé aux obligations d’information financière du territoire étranger applicables au placement considéré ou bénéficie d’une dispense à l’égard de ces obligations

Fait notable, la période de restriction à la revente de quatre mois en vigueur au Canada ne s’applique pas aux valeurs mobilières placées à l’étranger si l’on obtient l’une de ces dispenses, sauf si l’émetteur n’est pas un émetteur assujetti au Canada. Le tableau ci-dessous présente des exemples de situations dans lesquelles l’une de ces dispenses serait utile.

  Dispense aux termes de la règle ontarienne Période de restriction à la revente de quatre mois applicable au Canada Rapport d’opération requis
(formulaire 72‐503F)
Placements d’actions du capital
PAPE aux États-Unis uniquement – émetteur dont le siège est établi en Ontario, qui lance un PAPE aux États-Unis uniquement dans le cadre d’un placement à l’égard duquel l’émetteur dépose un formulaire F-1 ou S-1 auprès de la SEC, mais ne lance pas d’APE ni ne dépose de prospectus au Canada art. 2.1 Non Non
APE aux États-Unis uniquement – émetteur établi en Ontario, coté à une bourse américaine ou à double cotation, procédant à un APE à l’égard d’actions ordinaires, aux États‑Unis, qui ne dépose pas de prospectus au Canada dans le cadre d’un placement par un émetteur établi bien connu (well‑known seasoned issuer) qui dépose une déclaration d’inscription préalable ou un formulaire F-3 ou S-3, plutôt qu’une déclaration préalable sur formulaire F-10 aux termes du régime d’information multinational (le RIM) art. 2.1 Non Non
Placement privé à l’étranger concomitant avec un APE au Canada – émetteur dont le siège est situé en Ontario, qui est inscrit à une bourse canadienne, qui procède à un placement privé d’actions ordinaires aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni, en Asie ou ailleurs à l’extérieur du Canada de façon concomitante avec un APE au Canada et qui dépose un prospectus en Ontario dans le cadre d’une acquisition type par des preneurs fermes au Canada art. 2.2 Non Non
Placement privé à l’étranger – émetteur dont le siège est situé en Ontario, qui est inscrit à une bourse canadienne et qui procède à un placement privé d’actions ordinaires aux États‑Unis, en Europe, au Royaume-Uni, en Asie ou ailleurs et qui ne dépose pas de prospectus au Canada art. 2.3 Non Oui
Placement de titres de créance aux États-Unis par une société ouverte – émetteur établi en Ontario et inscrit à une bourse canadienne, qui procède à un placement privé de titres de créance convertibles ou à haut rendement aux États-Unis et qui ne dépose pas de prospectus au Canada dans le cadre d’un placement de titres de créance à l’américaine, en vertu de la règle 144A, au moyen d’une notice d’offre art. 2.3 Non Oui
Placement de titres de créance aux États-Unis par une société fermée – société à capital fermé dont le siège est situé en Ontario, qui procède à un placement privé de titres de créance à haut rendement aux États-Unis et qui ne dépose pas de prospectus au Canada, dans le cadre d’un placement de titres de créance à l’américaine, en vertu de la règle 144A, au moyen d’une notice d’offre art. 2.4 Oui Oui
Reclassements de titres
PAPE aux États-Unis uniquement – actionnaire dont le siège est situé en Ontario, qui vend des actions dans le cadre d’un PAPE aux États-Unis uniquement, qui ne lance pas d’APE au Canada ni ne dépose de prospectus au Canada, dans le cadre d’un placement effectué au moyen du formulaire F-1 ou S-1 art. 2.1 Non Non
APE aux États-Unis uniquement – actionnaire dont le siège est situé en Ontario, qui détient des actions ordinaires d’un émetteur coté à une bourse américaine ou à double cotation, qui les vend aux termes d’un APE aux États-Unis et qui ne dépose pas de prospectus au Canada, dans le cadre d’un placement à l’égard duquel l’émetteur dépose une déclaration d’inscription préalable d’émetteur établi bien connu ou un formulaire F-3 ou S-3, plutôt qu’une déclaration préalable aux termes du RIM au moyen d’un formulaire F-10 art. 2.1 Non Non
Placement privé à l’étranger concomitant avec un APE au Canada – actionnaire dont le siège est situé en Ontario, qui vend des actions ordinaires (d’un émetteur coté à une bourse canadienne procédant à un placement privé d’actions ordinaires aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni, en Asie ou ailleurs à l’extérieur du Canada de façon concomitante avec un APE au Canada et ayant déposé un prospectus en Ontario) dans le cadre d’une acquisition type par des preneurs fermes au Canada art. 2.2 Non Non

La règle ontarienne s’applique à l’émetteur ou au porteur vendeur qui a son siège en Ontario ou qui, en raison d’autres critères précisés, est régi par les lois de l’Ontario en ce qui concerne le placement ou la vente de valeurs mobilières. Si l’émetteur ou le porteur vendeur a un siège en Colombie-Britannique, en Alberta ou au Québec, ou si d’autres facteurs importants le rattachent à ces provinces, d’autres lois ou textes juridiques s’appliquent, comme le règlement intitulé BC Instrument 72‐503 — Distribution of Securities Outside British Columbia (en anglais seulement) et la règle intitulée Rule 72‐501 — Distributions to Persons Outside Alberta (en anglais seulement). Même si ces règlement et règle ont fait l’objet d’une mise à jour relativement récente dans le but de les harmoniser en partie avec la règle ontarienne, il subsiste d’importantes différences entre eux. Par exemple, en vertu du règlement de la Colombie-Britannique, il peut être nécessaire d’obtenir une déclaration particulière d’un investisseur non canadien participant à un placement privé, selon laquelle il acquiert les titres pour son propre compte. De plus, en vertu de ce règlement, les titres d’un émetteur assujetti qui sont émis à un investisseur non canadien dans le cadre d’un placement privé sont soumis à une période de restriction à la revente de quatre mois. Quant à la règle de l’Alberta, elle prévoit une dispense de la période de restriction à la revente dans le cas des émetteurs non assujettis, de façon comparable aux articles 2.14 et 2.15 de la Norme canadienne 45‐102 sur la revente de titres, qui font l’objet d’une analyse figurant ci-dessous. Les émetteurs et les porteurs de titres plaçant ou vendant des titres, selon le cas, dans le cadre d’un placement à partir de l’Ontario auprès d’investisseurs ou à des investisseurs, selon le cas, se trouvant à l’extérieur du Canada n’ont pas besoin d’obtenir une dispense en vertu de la règle ontarienne. Il n’est pas clair si les obligations de prospectus de l’Ontario s’appliquent à un placement de valeurs mobilières à l’extérieur du Canada, mais il suffit de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les titres ne reviennent pas au Canada. L’instruction complémentaire qui accompagne la règle ontarienne présente quelques exemples de mesures qui peuvent être prises pour prévenir le retour de titres, comme exiger d’abord des investisseurs non canadiens une déclaration et garantie selon laquelle ils achètent les titres à des fins d’investissement et non dans le but de les revendre. Nous estimons qu’il n’y a pas lieu de prendre de telles mesures, comme obtenir une déclaration et garantie propre à l’Ontario, lorsque l’émetteur ou le porteur vendeur a obtenu l’une des dispenses prévues dans la règle ontarienne.

Au Québec, une dispense de prospectus à l’égard d’un placement devant avoir lieu à l’extérieur de la province peut être obtenue auprès de l’Autorité des marchés financiers – parfois appelée une « dispense en vertu de l’article 12 » [de la Loi sur les valeurs mobilières]. Les émetteurs québécois doivent prévoir un délai de deux semaines (ou plus, selon les circonstances) pour obtenir une telle dispense.

Dispenses pour la revente de titres acquis par des investisseurs canadiens dans le cadre d’un placement international

Les investisseurs qualifiés du Canada ont souvent la possibilité d’acheter des titres à l’occasion de placements essentiellement non canadiens, comme un placement effectué par un émetteur non canadien aux États-Unis ou sur le marché international. Ces types de placements internationaux peuvent être offerts à des investisseurs situés au Canada dans le cadre de placements privés, en se prévalant habituellement de la dispense relative aux « investisseurs qualifiés ». Les investisseurs canadiens de la plupart des provinces et territoires du Canada disposent à présent de deux options pour revendre librement des titres qu’ils ont acquis dans le cadre d’un placement privé, soit en les revendant dans le cadre d’un placement essentiellement non canadien en vertu de l’article 2.14 existant ou du nouvel article 2.15 de la Norme canadienne 45‑102. L’obtention de ces dispenses pour la revente de titres est très importante, car de nombreux investisseurs canadiens ne souscriraient pas de titres dans le cadre de placements internationaux s’ils n’avaient pas la possibilité de les revendre librement en tout temps.

Les investisseurs canadiens qui achètent des valeurs mobilières à l’occasion d’un placement international s’appuyaient traditionnellement sur l’article 2.14 de la Norme canadienne 45‐102, selon lequel une dispense pour la revente de titres à l’étranger peut être obtenue, à condition que l’émetteur ne soit pas un émetteur assujetti canadien et que les actionnaires canadiens de l’émetteur représentent au plus 10 % de l’actionnariat total, calculé à la fois en fonction du nombre total d’actions détenues par des résidents canadiens et en fonction du nombre total de résidents canadiens qui détiennent des actions. Cependant, la dispense de l’article 2.14 n’est pas disponible aux émetteurs inscrits à la cote d’une bourse canadienne ou dont une part importante de l’actionnariat est canadienne, comme c’est le cas de nombreuses sociétés technologiques ou de sociétés à forte croissance qui disposent déjà d’un important actionnariat avant de lancer un PAPE.

Il est difficile de déterminer si un placement de valeurs mobilières canadiennes auprès d’investisseurs étrangers est assujetti à l’obligation de prospectus au Canada.

Les investisseurs canadiens de la plupart des provinces et territoires du pays peuvent désormais se prévaloir du nouvel article 2.15. Ledit article couvre aussi les émetteurs qui ont un faible lien avec le Canada et les détenteurs qui souhaitent revendre des titres d’un « émetteur étranger » qui n’est pas un émetteur assujetti au Canada. Pour qu’un émetteur soit considéré comme un émetteur étranger, son siège social doit être situé à l’extérieur du Canada, et la majorité des membres de sa haute direction et la majorité de ses administrateurs doivent résider à l’extérieur du Canada. Cette dispense de prospectus pour la revente est pratique, car pour l’obtenir, l’investisseur canadien n’est pas tenu de déterminer la part de l’actionnariat canadien de l’émetteur et elle peut être obtenue même si cet actionnariat canadien est supérieur au plafond de 10 %. À l’instar de l’article 2.14 de la Norme canadienne 45‐102, l’article 2.15 ne s’applique pas aux émetteurs inscrits à la cote d’une bourse canadienne ni aux émetteurs autrement considérés comme des émetteurs assujettis, au Canada.

La possibilité d’avoir recours à ces dispenses relatives à la revente demeurera un facteur important dans la décision des investisseurs canadiens d’investir ou non dans des placements internationaux d’émetteurs non canadiens. Ces dispenses sont susceptibles d’être utilisées à l’égard des titres d’émetteurs canadiens dont l’actionnariat canadien est égal ou inférieur au plafond de 10 % ou qui répondent à la définition d’« émetteur étranger », pour autant qu’ils ne soient pas inscrits à la cote d’une bourse canadienne ou autrement considérés comme des émetteurs assujettis au Canada.

Considérations relatives aux PAPE effectués aux États-Unis uniquement, par des émetteurs canadiens

Certains émetteurs canadiens peuvent décider de lancer un PAPE aux États-Unis uniquement, ce qui implique un appel public à l’épargne aux États-Unis et l’inscription à la cote d’une bourse américaine, sans effectuer d’APE au Canada ni s’inscrire a la cote d’une bourse canadienne. Ces émetteurs considèrent probablement que les avantages de l’inscription à une bourse canadienne sont négligeables par rapport aux exigences additionnelles imposées aux sociétés ouvertes canadiennes. Nous sommes d’avis que les obligations de conformité supplémentaires canadiennes ne devraient pas dissuader les émetteurs canadiens d’entrer en bourse et de faire appel public à l’épargne au Canada, car les PAPE effectués aux États-Unis uniquement s’accompagnent toutefois d’un certain nombre de problèmes qui méritent d’être examinés.

En premier lieu, comme nous l’avons vu, les obligations de prospectus du Canada peuvent s’appliquer au placement de valeurs mobilières auprès d’investisseurs non canadiens dans le cadre du PAPE, même s’il n’est pas envisagé de faire appel public à l’épargne au Canada. C’est notamment le cas si le siège de l’émetteur se trouve en Colombie-Britannique, en Alberta, au Québec ou en Ontario. S’il est tenu à des obligations de prospectus au Canada, l’émetteur doit déposer un prospectus dans la province ou se prévaloir d’une dispense, le cas échéant, comme celles susmentionnées.

En second lieu, mais plus important encore, l’émetteur doit déterminer si les actionnaires canadiens antérieurs au PAPE aussi bien que les nouveaux investisseurs canadiens qui acquièrent des actions dans le cadre du PAPE pourront librement revendre leurs titres. Ce qui revient à se demander si l’une ou l’autre des dispenses relatives à la revente prévues aux articles 2.14 et 2.15 est applicable. En l’absence de l’une de ces dispenses, tant les actionnaires canadiens antérieurs au PAPE que les investisseurs canadiens achetant des actions dans le cadre du PAPE par le biais d’un placement privé seraient, en règle générale, coincés avec des actions soumises à des périodes de conservation permanentes.

C’est pourquoi certains émetteurs canadiens dont l’actionnariat canadien est important ont dû déposer au Canada un prospectus d’admissibilité à titre d’émetteur assujetti à l’égard de leur PAPE, afin de faciliter la libre revente des actions de leurs actionnaires canadiens antérieurs au PAPE. Bien que l’article 2.15 du Règlement 45‑102 puisse maintenant servir de solution de rechange à l’article 2.14, nous sommes d’avis que de nombreux émetteurs canadiens ne pourront s’en prévaloir, car ils ne remplissent pas la condition d’avoir un siège social à l’étranger ou celle selon laquelle la majorité des membres de leur haute direction et de leur conseil d’administration ne doit pas résider au Canada. Dès lors, le dépôt d’un prospectus d’admissibilité à titre d’émetteur assujetti pourrait demeurer le seul moyen de permettre aux actionnaires canadiens antérieurs au PAPE de revendre librement leurs actions. Le dépôt d’un tel prospectus n’éliminera toutefois pas la période de conservation de quatre mois s’appliquant aux actions acquises par des investisseurs canadiens dans le cadre d’un PAPE si ces actions sont offertes uniquement à des investisseurs canadiens dans le cadre d’un placement privé. Par conséquent, s’il est nécessaire de déposer un prospectus d’admissibilité à titre d’émetteur assujetti au Canada pour faciliter la revente des actions des actionnaires canadiens antérieurs au PAPE ou si l’on souhaite encourager les investisseurs canadiens à participer au PAPE, il peut être judicieux d’envisager un PAPE transfrontalier accompagné du dépôt d’un prospectus normal au Canada et d’une inscription à la cote d’une bourse canadienne.

Dépôt confidentiel d’ébauches de prospectus provisoires au Canada

Les émetteurs canadiens ont pris l’habitude de pouvoir soumettre de façon confidentielle une ébauche de prospectus canadien à leur organisme de réglementation principal, aux fins d’examen, lorsqu’il s’agit d’un PAPE transfrontalier. Cette faculté n’existe que si l’émetteur peut déposer confidentiellement une déclaration d’inscription américaine auprès de la SEC des États-Unis. Cette faculté est limitée aux PAPE transfrontaliers, car elle n’existe pas de façon générale à l’égard des prospectus.

En juillet 2017, la SEC a élargi la portée de son processus confidentiel d’examen des inscriptions, entre autres en permettant aux émetteurs de toutes tailles d’y accéder, plutôt que de le réserver aux sociétés émergentes à fort potentiel de croissance au sens de la loi des États-Unis intitulée Jobs Act et à certains émetteurs à capital fermé étrangers. Parallèlement à cela, la SEC a aussi permis aux émetteurs de déposer confidentiellement des ébauches de déclaration d’inscription aux fins d’examen, à l’égard du placement subséquent et du reclassement de titres effectués dans l’année suivant leur inscription initiale. Auparavant, seuls les émetteurs d’un PAPE pouvaient demander un examen confidentiel aux États-Unis. Depuis ce changement, les émetteurs américains se prévalent aujourd’hui fréquemment de cette possibilité (au terme de la période d’un an, de nombreux émetteurs américains deviennent admissibles au régime du prospectus préalable de base, de sorte qu’ils perdent l’avantage du dépôt et de l’examen confidentiels). Ceci s’est traduit par une importante différence entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne la pratique en matière de placements de valeurs mobilières et nous sommes d’avis que les autorités canadiennes en valeurs mobilières ont choisi de ne pas permettre le dépôt et l’examen confidentiels des prospectus canadiens, sauf dans le cas des PAPE transfrontaliers.

Prenons l’exemple d’un émetteur canadien à double cotation qui envisage un reclassement de titres par un actionnaire vendeur dans l’année suivant l’inscription initiale de ces titres. Depuis juillet 2017, la démarche habituelle aux États-Unis pour effectuer un placement d’actions inscrites consiste à déposer confidentiellement une ébauche de la déclaration d’inscription auprès de la SEC au moyen d’un formulaire S-1 ou F-1, préalablement au placement d’actions, dans le but d’obtenir de cette dernière un avis selon lequel aucun examen ne sera exigé. Une fois qu’un tel avis a été obtenu, la déclaration d’inscription est publiée, le placement d’actions est lancé, et la fixation du prix a ensuite lieu dès que possible (au moins 48 heures après la publication). Comme il n’est pas possible de procéder ainsi au Canada, dans le cas d’un placement subséquent ou d’un reclassement de titres transfrontalier, l’émetteur pourrait alors se retrouver dans une situation où le prix du placement serait sur le point d’être fixé, alors qu’il n’aurait pas encore réagi aux commentaires des organismes de réglementation canadiens quant à son prospectus simplifié provisoire – ce qui est inacceptable du point de vue de l’exécution de l’opération.

Ce problème peut être résolu si l’émetteur dispose d’un prospectus préalable de base canadien. Toutefois, un émetteur à double cotation choisira souvent de ne pas déposer un prospectus préalable de base au Canada avant d’en déposer un aux États-Unis. L’autre solution, pour l’émetteur, est de court-circuiter le Canada en effectuant un placement aux États-Unis uniquement, en misant sur les dispenses de prospectus mentionnées précédemment. Même si cela peut faciliter la réalisation du placement, nous y voyons le résultat malheureux de la divergence entre les pratiques canadiennes et américaines.