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Le gouvernement du Canada modifie les processus d’évaluation environnementale

Auteur(s) : Sander Duncanson, Richard J. King, Martin Ignasiak, c.r., Martin Ignasiak, KC

Le 17 juillet 2019

Le 21 juin 2019, le gouvernement du Canada a adopté le projet de loi C-69 qui constitue une réforme importante du régime fédéral d’évaluation environnementale au Canada. L’Office national de l’énergie (l’ONE) est remplacé par la Régie canadienne de l’énergie (RCE), et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (LCEE), par la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact (LEI). Voir notre examen initial des réformes proposées.

Le projet de loi C-69 était assujetti à examen par le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Le 5 juin 2019, après avoir entendu les parties intéressées à l’échelle nationale, y compris des membres du groupe de pratique Droit de l’environnement, de la réglementation et des Autochtones d’Osler, l’ensemble du Sénat a adopté quelque 190 modifications au projet de loi C-69. Le gouvernement du Canada en a accepté environ la moitié, mais a rejeté en grande partie les modifications proposées par les sénateurs conservateurs et plusieurs de celles des sénateurs indépendants (anciens libéraux). Même si la version définitive du projet de loi C-69 est possiblement une amélioration par rapport à sa version initiale, la nouvelle loi suscite une grande incertitude quant aux processus fédéraux d’évaluation environnementale, et les préoccupations soulevées dès le départ par le projet de loi C-69 subsistent.

La version définitive du projet de loi C-69 suscite une grande incertitude quant au processus d’examen

Le projet de loi C-69 ne fera qu’exacerber les problèmes liés à l’incertitude réglementaire et aux longs délais connus sous le régime de la LCEE 2012, qui nuisent considérablement à la capacité du Canada à attirer des investisseurs. Les évaluations environnementales continueront de prendre plus de temps qu’il n’en faut en vertu de la LEI, et permettront au Canada d’« arrêter le chronomètre », ce qui laisse entrevoir le spectre de délais interminables. De plus, le projet de loi C-69 autorise une certaine participation publique du public, ce qui ne constitue pas nécessairement la meilleure preuve pertinente que se verra offrir l’Agence canadienne d’évaluation d’impact (« l’Agence ») ou la RCE. Ainsi, toute personne intéressée, qui n’est pas associée au projet examiné, sera autorisée à se prononcer sur le projet et à s’y opposer en se fondant sur des motifs qui n’ont aucun lien avec le projet à l’examen et sur lesquels le promoteur n’exerce aucun contrôle. Dans l’ensemble, le processus est devenu de plus en plus politisé et s’éloigne du principe selon lequel les prises de décisions relèvent d’un organisme quasi judiciaire spécialisé. De plus, bien que le projet de loi C-69 vise à tenir compte des préoccupations du public telles qu’elles sont perçues à l’égard du régime réglementaire, à notre avis, il rendra le processus moins efficace et n’améliorera en rien les résultats environnementaux.

Sommaire des modifications importantes proposées par le Sénat et adoptées par la Chambre des communes

Voici un sommaire des modifications importantes apportées à la version initiale du projet de loi C-69, lesquelles figurent dans la version définitive du projet de loi, tel qu’il a été adopté, y compris un certain nombre de modifications qui l’améliorent : 

  • À maints endroits, « l’appréciation du ministre » a été remplacée par « l’appréciation de l’Agence » (soit l’Agence canadienne d’évaluation d’impact remplaçant l’Agence canadienne d’évaluation environnementale). Ces modifications font suite aux préoccupations selon lesquelles le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique détenait de trop de pouvoir en vertu de la LEI. Toutefois, le fait de remplacer « l’appréciation du ministre » par « l’appréciation de l’Agence » ne fait que susciter de nouvelles préoccupations. Par exemple, l’Agence a maintenant le pouvoir de suspendre les délais prescrits par la LEI, lesquels délais ont été adoptés par souci d’efficacité de l’Agence. À notre avis, une suspension des délais qui ferait en sorte que les travaux de l’Agence ne soient pas réalisés dans les délais prescrits ne ferait que saper le but initial de l’établissement des délais.
  • L’Agence déterminera dorénavant, dans l’avis de début de l’év€aluation d’impact, l’étendue des facteurs devant être examinés dans le cadre d’une évaluation environnementale, cet avis étant donné au commencement du processus. Cela devrait permettre au promoteur d’avoir une certaine certitude quant à la portée de l’évaluation avant de réaliser ses études aux fins d’évaluation, et d’axer ses études en fonction des questions propres au projet.
  • En ce qui concerne les évaluations régionales et stratégiques, la LEI autorise dorénavant expressément l’Agence ou la commission à évaluer l’importance d’une telle évaluation, y compris sa pertinence par rapport au projet et la qualité de la preuve sous-jacente. Cette modification atténue le risque que des évaluations régionales ou stratégiques soient finalisées et que l’Agence et la commission les considèrent alors comme contraignantes, peu importe la qualité de la preuve sous-jacente.
  • Le seuil « d’importance » a été incorporé à la LEI, comme cela avait été le cas pour la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), en tant que seuil clé d’évaluation des effets négatifs aux fins des rapports d’évaluation. À notre avis, ce seuil permet d’orienter l’évaluation et établit une distinction entre les impacts importants et les impacts négligeables. Cependant, le critère d’approbation du projet demeure « l’intérêt public », y compris la « contribution du projet à la durabilité », conformément à la première version du projet de loi C-69.
  • L’Agence est maintenant chargée d’examiner les rapports publiés par la commission et de présenter des recommandations au ministre sur les conditions qui devraient être imposées à l’égard du projet. Cette modification inquiète pour trois raisons. Premièrement, on ignore pourquoi l’Agence a été chargée de cette fonction, sans compter qu’il y aura probablement dédoublement des efforts et des coûts. Deuxièmement, aucun délai ne s’applique à l’Agence pour formuler ses recommandations, de sorte que le délai de 90 jours suivant la réception des recommandations de l’Agence, applicable au gouverneur en conseil pour rendre une décision définitive, en est tributaire. Par conséquent, le rôle de l’Agence, dans ce processus, entraînera probablement des retards. Troisièmement, et fait peut-être le plus important, l’Agence ne prendra pas nécessairement part aux audiences de la commission, elle devra se fier à sa compréhension des intentions de la commission et n’aura pas elle-même entendu la preuve. Cela suscite des préoccupations quant à l’équité procédurale, dans le cas où l’Agence recommanderait l’imposition de conditions alors que le promoteur n’aurait pas eu l’occasion de les examiner et de s’y opposer.

La Liste des projets et les dispositions transitoires créent de l’incertitude

Le projet de loi C-69 entrera en vigueur à une date qui sera proclamée par le gouvernement, mais que l’on ignore pour le moment. Cependant, avant que le projet de loi n’entre en vigueur, il faudra probablement mettre au point le règlement clé pris en vertu de la LEI (le règlement désignant les activités concrètes, ou la « Liste de projets », qui établit les types de projets qui seront assujettis à la LEI). Le gouvernement du Canada a publié un Document de consultation sur l’approche relative à la modification de la liste des projets sollicitant les commentaires du public sur la révision de la Liste de projets courante.

Fait à noter pour le secteur d’activité, une fois que le projet de loi C-69 entrera en vigueur, ce ne sont pas tous les projets actuellement sous évaluation en vertu de la LCEE 2012 qui bénéficieront de droits acquis en vertu de la nouvelle loi. Par exemple, les évaluations environnementales actuellement effectuées par l’ONE ou par la Commission canadienne de sûreté nucléaire, et pour lesquelles l’Agence considère que le promoteur n’a pas recueilli les renseignements demandés ou réalisé les études requises, pourraient être assujetties au nouveau processus après l’entrée en vigueur de la LEI. Les dispositions transitoires de la LEI créent une grande incertitude à cet égard pour les projets en cours.

L’incidence du projet de loi C-69 sur les évaluations environnementales au Canada dépend du libellé de la réglementation à venir, des personnes qui sont nommées pour diriger l’Agence et qui agissent en tant que commissaires de la RCE et de la façon dont ces personnes appliquent cette nouvelle loi. Jusqu’à ce que les détails du nouveau régime soient bien compris et mis à l’épreuve dans le cadre d’évaluations de projets et de litiges, nous nous attendons à ce que l’incertitude réglementaire demeure un obstacle majeur à l’investissement au Canada.