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Le Canada, la Colombie-Britannique et le Conseil des Leaders des Premières Nations signent un accord sur la conservation et la gestion des terres

Auteur(s) : Richard J. King, Sander Duncanson, Sean Sutherland, Maeve O'Neill Sanger, Lisa Manners

Le 20 novembre 2023

Le 3 novembre 2023, le Canada, la Colombie-Britannique (la C.-B.) et le Conseil des Leaders des Premières Nations (le CLPN) (collectivement, les parties) ont signé l’Accord-cadre tripartite sur la conservation de la nature (l’Accord). Il s’agit d’un accord non contraignant qui établit une approche de collaboration entre les parties en matière de conservation de la nature et de gestion des terres à l’échelle des écosystèmes en C.-B.

L’Accord constitue le dernier d’une série de pas en avant effectués récemment par la C.-B. en vue d’intégrer la représentation des Autochtones dans ses politiques et ses décisions concernant l’utilisation des terres. Pour appuyer la mise en œuvre de l’Accord, les gouvernements fédéral et provincial se sont engagés notamment à financer, à égalité de parts, à hauteur d’au plus 1 milliard de dollars divers fonds de conservation et de restauration de la nature et de solutions climatiques.[1] Les fonds seront distribués pendant la durée de l’Accord, qui expirera le 31 mars 2030, à moins que les parties ne le résilient avant cette date.[2]

Les travaux réalisés dans le cadre de l’Accord ne vaudront pas exécution, par la Couronne, de son obligation de consulter lorsqu’une telle consultation est requise. Néanmoins, l’Accord indique une intention de la part de la C.-B. et du Canada de faire participer de manière préventive les organismes qui représentent les peuples autochtones de la C.-B. dans la planification et la prise de décisions concernant l’utilisation, la mise en valeur et la conservation des terres, et ce dès le début de la phase d’élaboration des politiques. Bien qu’il reste à voir si les travaux réalisés et financés dans le cadre de l’Accord donneront les résultats escomptés, une collaboration accrue entre la C.-B., le Canada et les groupes autochtones sur la planification initiale de l’utilisation des terres pourrait réduire le risque de contestations judiciaires auquel certains projets pourraient faire face à l’avenir.

Une fois mis en pratique, les mandats particuliers établis par l’Accord relativement à la compensation des émissions de carbone et à la compensation de la biodiversité,[3] au financement de la conservation[4] et à la restauration écologique[5] pourraient également être le signal de futures opportunités de collaboration et d’investissement pour l’industrie.

Contexte

L’Accord est l’un des trois récents « accords sur la nature » conclus par le gouvernement fédéral, les autres étant l’Accord Canada-Nouvelle-Écosse sur la nature et l’Accord Canada-Yukon sur la nature. Ces accords ont une structure similaire à celle de l’Accord, mais ne comprennent pas de partie représentant les peuples autochtones de leurs régions respectives. Les accords sur la nature sont des politiques écrites non contraignantes qui définissent des actions et des engagements financiers convenus entre les parties en vue d’atteindre des objectifs communs de conservation. Il s’agit d’un outil relativement nouveau, destiné à guider la formulation des politiques à différents niveaux de gouvernement. Les accords sur la nature et les comités créés aux termes de ceux-ci n’ont pas encore imposé de restrictions contraignantes aux organismes de réglementation ou aux promoteurs industriels.

L’Accord est également le dernier d’une série de pas en avant effectués récemment par la C.-B. dans la structuration de ses processus décisionnels et de ses politiques concernant l’utilisation et la conservation des terres. Ce faisant, la C.-B. a accru la participation des organismes représentant les peuples autochtones et renforcé l’autorité de leur voix dans les processus de planification et d’approbation.

Depuis l’introduction, en 2019, de la loi intitulée Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act (la Loi sur la Déclaration sur les droits des peuples autochtones [LDDPA]), la C.-B. a commencé à adopter le concept de « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » (le Consentement) figurant dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (la DNUDPA) dans ses cadres d’approbation réglementaire. Par exemple, la C.-B. a mis en œuvre ce concept dans ses processus d’évaluation environnementale en exigeant un « consentement » dans certaines circonstances, ou une justification explicite lorsque le consentement n’est pas obtenu.[6]

L’Accord intervient également à la suite d’une période importante de changement du paysage réglementaire dans le nord-est de la C.-B., stimulée par la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Yahey c. Colombie-Britannique. En réponse à l’arrêt Yahey, la C.-B. et les Blueberry River First Nations (les Premières Nations de la rivière Blueberry [PNRB]) ont conclu l’Accord de mise en œuvre des Premières Nations de la rivière Blueberry (l’Accord de la rivière Blueberry) au début de 2023. L’Accord de la rivière Blueberry établit de nouveaux paramètres pour la gestion des ressources sur le territoire de la PNRB, grâce à des mesures telles que la restauration et la protection des terres et le plafonnement des nouvelles perturbations. La C.-B. a depuis signé des accords similaires avec quatre autres Premières Nations signataires du Traité n° 8 et est en pourparlers avec plusieurs autres.[7]

L’Accord

Le Comité tripartite sur la nature

L’Accord établit un Comité tripartite provisoire sur la nature (le Comité), dont le rôle sera de coordonner les activités visées par l’Accord.[8] Le Comité est composé de représentants du Canada, de la C.-B. et du CLPN.[9]

Le CLPN est une organisation représentative composée de membres exécutifs de l’Assemblée des Premières Nations de la C.-B., du Sommet des Premières Nations et de l’Union des Chefs Indiens de la C.-B.[10] Ses membres relèvent de leurs assemblées de chefs respectives, et l’Accord stipule que les assemblées de chefs ont chargé le CLPN de plaider pour la protection des terres et de la nature ainsi que de protéger les droits des Premières Nations par l’intermédiaire de l’Accord.[11]

Il est à noter que le CLPN n’est pas titulaire de titres ou de droits ancestraux, ni de droits issus de traités, et il ne peut pas mener de consultations au nom de chaque Première Nation.[12] Cela signifie que, même si les membres du CLPN peuvent participer à l’élaboration des politiques avec les gouvernements fédéral et provincial dans le cadre du Comité, leur participation au Comité ne peut en soi valoir exécution, par la Couronne, de son obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones.

Au-delà de la coordination générale des activités menées dans le cadre de l’Accord, le travail du Comité doit encore être défini par un mandat qui devrait être établi au cours de l’année prochaine.[13] L’Accord prévoit que la C.-B. et le Canada concluront avec les Premières Nations des accords complémentaires au rôle du Comité, afin d’assurer la participation des Premières Nations à la mise en œuvre de l’Accord et d’en voir les avantages sur leurs territoires respectifs.[14] La C.-B. et le Canada sont également chargés d’explorer des mécanismes complémentaires devant permettre aux gouvernements locaux, aux intervenants et aux citoyens de participer.[15]

But et objectifs

Selon ses propres termes, l’Accord vise à « établir un cadre afin de mettre en place une approche plus intégrée et collaborative axée sur le paysage pour la santé des écosystèmes et la conservation de la biodiversité, grâce à des mesures ambitieuses et soutenues de la part des Parties en matière d’intendance, de protection, de restauration et de rétablissement des divers écosystèmes, habitats et espèces dans la province de la [C.-B.] ».[16] À cette fin, l’Accord définit des objectifs très précis dans quatre domaines clés :

  1. conservation et protection des habitats et des écosystèmes[17]
  2. amélioration et restauration de l’habitat[18]
  3. protection et rétablissement des espèces en péril[19]
  4. connaissances fondamentales et partage d’information[20]

Ces objectifs doivent être atteints, entre autres, par les moyens suivants :

  • la détermination de nouvelles zones à conserver et à protéger
  • la création de nouveaux fonds de conservation et de mesures de restauration
  • le financement de la planification de l’utilisation des terres dirigée par les Premières Nations
  • l’établissement d’un nouveau cadre de restauration en consultation avec l’industrie
  • l’avancement des approches des mesures de protection et de rétablissement des espèces en péril
  • le lancement de nouveaux projets pilotes pour élaborer des plans d’action pour la conservation des espèces en péril
  • la révision des outils juridiques et stratégiques pour accorder la priorité à la santé des écosystèmes et au rétablissement des espèces
  • l’élaboration d’un plan commun de collecte de données et d’information pour rendre compte des progrès réalisés dans le cadre de l’Accord

L’Accord vise également à faciliter la coopération entre les parties pour atteindre les objectifs de conservation définis dans divers accords internationaux et engagements nationaux, y compris la DNUDPA, le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal et l’Accord de Paris.[21]

La DNUDPA et ses principes sous-jacents figurent en bonne place dans l’Accord.[22] En particulier, les mesures de consultation et de coopération prévues par l’Accord visent à « obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des Premières Nations », tout en reconnaissant les pouvoirs et les compétences de chacune des parties. La prise de décisions par toutes les parties doit se faire d’une manière qui reconnaît le droit des Premières Nations à participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits ou toucher leurs territoires ancestraux.

Enfin, l’Accord fixe des objectifs en matière de compensation des émissions de carbone, de compensation de la biodiversité, de financement de la conservation et de restauration écologique. En particulier, l’Accord prévoit l’établissement de l’Old Growth Nature Fund, fonds de protection des forêts anciennes de 100 millions de dollars, le partage d’information sur les possibilités d’amélioration et de restauration de l’habitat, un cadre de restauration à long terme et un programme de restauration permanent, qui pourraient permettre la participation d’autres intervenants intéressés.

Conséquences

Bien que ses répercussions sur l’utilisation des terres en C.-B. reste à voir, l’Accord indique que les gouvernements fédéral et provincial prennent des mesures pour atteindre leurs objectifs de conservation, tels que la protection de 30 % des terres d’ici 2030[23] et la protection et le rétablissement des espèces en péril.[24] Les mesures stratégiques prises pour atteindre ces objectifs aux termes de l’Accord pourraient avoir des répercussions sur les processus d’approbation réglementaire des projets de développement industriel en C.-B., mais leur ampleur n’est pas encore connue.

L’approche tripartite de l’Accord en matière de coopération entre les organismes fédéraux, provinciaux et autochtones s’inscrit dans la tendance récente de la C.-B. à intégrer des organismes représentant les peuples autochtones dans la prise de décisions concernant la gestion des terres, tendance qui devrait se poursuivre dans les années à venir. L’Accord représente une occasion pour les décideurs politiques de s’engager dans une collaboration avec les représentants des peuples autochtones et de répondre de manière préventive à des préoccupations qui seraient autrement soulevées au cours du processus de consultation lié à un projet en particulier. Cependant, l’engagement pris par la C.-B., le Canada et le CLPN aux termes de l’Accord ne restreindra pas l’autonomie de chacune des Premières Nations de la C.-B., qui peuvent avoir des préoccupations et des points de vue indépendants au sujet des questions liées à l’utilisation et à la conservation des terres abordées par le Comité.

Bien que l’Accord vise à coordonner les efforts du Canada, de la C.-B. et des Premières Nations de la C.-B. en vue d’atteindre des objectifs de conservation communs, le document manque de détails sur la façon dont le Comité atteindra ce but et sur les mesures auxquelles on accordera la priorité parmi les nombreux objectifs de l’Accord. Les résultats dépendront expressément de l’engagement continu de toutes les parties et des détails fournis dans le mandat du Comité qui verra éventuellement le jour.


[1] Accord, par. 11.1.

[2] Accord, par. 13.1.

[3] Accord, alinéa 2.1 f).

[4] Accord, par. 11.5 et 11.7.

[5] Accord, art. 7.0.

[6] Se reporter à la loi de la C.-B. intitulée Environmental Assessment Act, SBC 2018, c. 51, art. 7, 16, 17 et 29.

[8] Accord, par. 10.1.

[9] Accord, art.10.0.

[10] Accord, préambule (K.).

[11] Accord, préambule (L., M.).

[12] Accord, préambule (N.).

[13] Accord, par. 10.1.

[14] Accord, par. 10.2.

[15] Accord, par. 10.3.

[16] Accord, par. 1.1.

[17] Accord, art. 6.0.

[18] Accord, art. 7.0.

[19] Accord, art. 8.0.

[20] Accord, art. 9.0.

[21] Dans le préambule, l’Accord fait référence au Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (D.), à l’Accord de Paris (E.), à la DNUDPA (F., H., J.), à la stratégie « Together for Wildlife » (Ensemble pour la faune) (Q.), à l’Approche pancanadienne pour la transformation de la conservation des espèces en péril au Canada (T.) et au document intitulé Unis avec la nature : Une approche renouvelée de la conservation des terres et de l’eau douce au Canada (U.).

[22] La DNUDPA ou les principes qui la sous-tendent sont mentionnés dans l’Accord aux paragraphes 2.1, 3.2, 4.1, 6.3 et 8.4.6.

[23] Accord, alinéa 4.1b) et par. 6.4.1.

[24] Accord, art. 8.0.