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Le point sur les contrats juridiquement contraignants avec les Premières Nations

Auteur(s) : Maureen Killoran, c.r., Sander Duncanson, Sean Sutherland, John McCammon, Lisa Manners

Le 3 novembre 2022

Dans sa récente décision Kehewin Cree Nation v Kehew Construction Ltd, la Cour d’appel de l’Alberta (la Cour) a statué qu’une résolution écrite donnée du conseil de bande approuvant un contrat n’est pas strictement nécessaire pour que ce contrat soit juridiquement exécutoire contre une Première Nation en vertu de la Loi sur les Indiens (la Loi). La Cour a précisé que le conseil de bande dispose de nombreux moyens par lesquels il peut exercer son pouvoir de conclure un contrat qui lie la bande, dont une résolution approuvant les modalités de l’entente. Néanmoins, les résolutions du conseil de bande demeurent le moyen le plus prudent de préciser les engagements ayant force obligatoire d’une bande et un outil important pour conclure des ententes avec les Premières Nations.

Exécution d’un contrat en vertu de la Loi sur les Indiens

Le paragraphe 2(3) de la Loi prévoit, en partie, qu’« un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée ». Un conseil de bande a plusieurs pouvoirs qui lui sont conférés par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi, y compris le pouvoir de prendre et d’appliquer des règlements administratifs pour la bande, de construire des infrastructures, de diviser la réserve en zones et de répartir les terres, de lever des taxes et d’octroyer des permis aux entreprises sur la réserve (se reporter aux articles 81 à 86 de la Loi). Bien que le pouvoir de passer des contrats ne soit pas explicitement énoncé dans la Loi, la Cour a affirmé qu’il fait partie de l’ensemble des pouvoirs implicites détenus par une bande.

Des décisions rendues dans plusieurs territoires du Canada soutiennent qu’une résolution écrite du conseil de bande est nécessaire pour valider un contrat juridiquement contraignant avec une Première Nation. Par exemple, dans l’affaire Heron Seismic Services Ltd. v Peepeekisis Indian Band, la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan a conclu qu’une entente verbale pour forer des puits d’eau dans la réserve n’était pas susceptible d’exécution parce qu’elle n’avait pas été ratifiée par une résolution du conseil de bande.

En revanche, d’autres tribunaux ont trouvé qu’un pouvoir apparent et manifeste pouvait lier une Première Nation en l’absence d’une résolution du conseil de bande. Par exemple, dans l’affaire Maloney v Eskanosi First Nation, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a statué qu’un contrat d’emploi signé par le chef sans l’approbation du conseil de bande était juridiquement contraignant parce que le chef avait le pouvoir apparent et manifeste d’agir au nom du conseil.

Résolution du conseil de bande non requise

Dans l’arrêt Kehewin, la Cour a souligné que les résolutions du conseil de bande ne sont pas le seul moyen par lequel une bande peut démontrer le (traduction libre) « consentement donné par une majorité des conseillers de la bande ». La Cour a plutôt conclu que le paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens englobe des pouvoirs explicites et implicites, c’est-à-dire qu’une bande peut exercer un pouvoir que lui confère la loi non seulement en vertu d’une résolution du conseil de bande à une réunion, mais aussi en autorisant un membre du conseil à négocier une entente en son nom ou à déléguer ce pouvoir à une autre personne. La Cour a conclu qu’il n’y a aucune « exigence formaliste » (« formalistic requirement ») quant à la façon dont une bande donne son consentement en vertu du paragraphe 2(3). Ce raisonnement est étayé par des décisions rendues au Nouveau-Brunswick, en Ontario et au Québec, où les tribunaux ont conclu qu’un contrat peut être exécutoire sans résolution du conseil de bande si ce dernier, par son comportement, l’avalise ou le considère par la suite comme valide.[1]

Toutefois, la Cour a prévenu que des éléments de preuve seraient nécessaires pour déterminer si une telle autorisation avait été accordée, de sorte que le fait de s’appuyer sur une entente contractuelle avec un fondé de pouvoir dans le cadre d’un différend demeure sujet à l’interprétation de ces éléments de preuve par la Cour.

En l’espèce, le défendeur, la Nation crie de Kehewin, a embauché le demandeur, Kehew Construction Ltd. (Kehew), pour construire deux projets, soit un ensemble d’habitation en 2002 (avec une reconnaissance de dette ultérieure pour la partie impayée de ce projet conclue en 2009) et un pavillon des aînés en 2007 (également payé seulement en partie par la bande). Aucun des deux projets n’avait été approuvé par une résolution écrite spécifique du conseil de bande, mais la Cour a conclu qu’ils avaient néanmoins tous deux étés dûment autorisés. La Cour s’est appuyée sur les faits suivants pour en arriver à cette conclusion :

  • Le chef et le conseil ont approuvé Kehew comme entrepreneur pour les projets de construction et ont reçu des rapports réguliers sur les prix, les plans de projet et la capacité de la bande d’obtenir du financement.
  • La bande a utilisé des résolutions écrites du conseil de bande uniquement pour les transactions avec le gouvernement et des sociétés pétrogazières.
  • La loi coutumière d’administration financière de la bande précisait que l’administrateur de la bande était autorisé à négocier des ententes, des contrats et des prêts (sous la supervision directe du chef et du conseil) et ne mentionnait pas qu’il fallait une résolution écrite du conseil de bande.
  • Le chef avait le pouvoir de signer et de négocier des contrats au nom de la Nation et pouvait déléguer ce pouvoir à quelqu’un d’autre (en l’occurrence, un conseiller).
  • Lorsque le budget du projet de pavillon des aînés a été majoré et que la bande a pris du retard dans les paiements en 2007, le chef et un conseiller ont signé une lettre d’intention et assuré Kehew que les paiements seraient effectués.
  • Le conseiller qui a signé la lettre d’intention, ayant reçu la responsabilité du portefeuille de logements sociaux de Kehewin, était le signataire autorisé pour les activités de construction de Kehew et le règlement des comptes.
  • La lettre d’intention de 2007 a été présentée au conseil de bande lors d’une réunion subséquente et le conseil a passé en revue l’historique de l’entente.
  • Aucun membre du Conseil n’est intervenu pour remettre en question ce qui se faisait ou pour empêcher la poursuite des travaux de construction.

Pratiques exemplaires pour conclure une entente avec les Premières Nations

Bien qu’elles ne soient peut-être pas légalement nécessaires dans toutes les circonstances, les résolutions du conseil de bande précisent et garantissent néanmoins qu’un pouvoir détenu par le conseil de bande (comme le pouvoir de conclure un contrat) a été dûment exercé. Cette caution peut être importante en cas de litige contractuel, notamment dans le contexte de l’obligation de consulter. En effet, même dans les cas simples de recouvrement de créance, l’exécution sera plus difficile et plus coûteuse en l’absence d’une résolution du conseil de bande approuvant le contrat.

Pour obtenir une résolution du conseil de bande, il est important de préciser le contrat en question (et non une vague référence) et la réunion à laquelle l’approbation a été signée.

Lorsqu’elle négocie avec un représentant qui se dit investi du pouvoir de conclure un contrat au nom du conseil, la contrepartie doit demander la preuve de la tenue d’une réunion où ce pouvoir a en fait été accordé, preuve clé pour assurer l’application du contrat. Au fur et à mesure que les bandes s’éloignent du pouvoir conféré par la Loi sur les Indiens pour acquérir une plus grande autonomie au moyen de règlements administratifs et de traités modernes, il faut également tenir compte des lois de chaque groupe au moment de déterminer le signataire autorisé de chaque accord.


[1]  Voir Basque v Woodstock Indian Band, Sands v Walpole Island First Nations Band et Conseil de la Première Nation malécite de Viger c. Crevette du Nord Atlantique inc.