Passer au contenu

Action pour violation de droits issus de traités pour effets cumulatifs déposée en Alberta

Auteur(s) : Maureen Killoran, c.r., Sander Duncanson, Sean Sutherland, Martin Ignasiak, c.r., Martin Ignasiak, KC

Le 30 août 2022

En juillet, la Première Nation de Duncan (PND) au nord de l’Alberta a déposé une action contre la province pour atteinte injustifiée à ses droits issus du traité no 8 au motif des effets cumulatifs du développement sur ses territoires traditionnels. Cette action fait écho à une action ayant eu gain de cause déposée par les Premières Nations de Blueberry River (PNBR) en Colombie-Britannique l’an dernier, laquelle a établi un précédent et, si elle a gain de cause en Alberta, elle pourrait avoir une incidence importante sur l’avenir de l’octroi de licences et de permis pour le développement des ressources dans cette province.

Contexte : Action intentée par les Premières Nations de Blueberry River et accord

En juillet dernier, nous avons publié un bulletin sur la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CSCB) dans l’affaire Yahey c. Colombie-Britannique, une cause charnière qui a modifié la démonstration de l’atteinte aux droits issus de traités en Colombie-Britannique. Dans l’affaire Yahey, les PNBR ont fait valoir avec succès une action contre la province de la Colombie-Britannique pour atteinte injustifiée de leurs droits issus du traité no 8 au motif des effets cumulatifs du développement des ressources dans leurs territoires traditionnels. La Cour a jugé que la province n’avait pas examiné ni réglé adéquatement les préoccupations des PNBR concernant les effets cumulatifs du développement sur leur capacité d’exercer réellement leurs droits issus de traités sur leurs territoires traditionnels.

L’affaire PNBR a créé un précédent parce qu’il s’agissait de la première affaire depuis que la Cour suprême du Canada (CSC) avait établi la démonstration de l’atteinte aux droits issus de traités dans Mikisew Cree First Nation c. Canada (ministre du Patrimoine canadien) en vue d’examiner la question des cas où il ne reste aucun « droit réel de chasse » sur des territoires traditionnels d’une Première Nation. Dans Yahey, la Cour a jugé qu’un droit issu d’un traité est enfreint lorsqu’il y a une « atteinte importante ou significative des droits » causée par les effets cumulatifs de l’ensemble du développement passé et actuel sur les territoires traditionnels de la Première Nation (par. 529). La Cour a interdit à la province de continuer d’autoriser des activités qui enfreignent les droits issus de traités des PNBR, sous réserve d’une suspension de six mois afin de donner aux parties la possibilité de négocier des modifications au régime de réglementation qui reconnaissent et respectent les droits issus de traités des PNBR.

La province de la Colombie-Britannique n’a pas interjeté appel de la décision de la CSCB dans Yahey et, par conséquent, les demandes de permis dans le nord-est de la Colombie-Britannique ont été en grande partie suspendues depuis que la décision a été rendue l’été dernier. La province de la Colombie-Britannique, les PNBR et d’autres Premières Nations signataires du traité no 8 dans le nord-est de la Colombie-Britannique négocient activement un nouveau cadre réglementaire qui répondra aux conclusions de la Cour dans Yahey, bien que le moment où un accord définitif sera rendu demeure incertain.

L’action de la Première Nation de Duncan

L’action de la PND reprend les termes utilisés par la juge Burke dans Yahey pour alléguer que la province de l’Alberta a, en approuvant successivement des activités de développement des ressources, d’agriculture, de transport et de peuplement dans les territoires traditionnels de la PND, « réduit considérablement » les droits de la PND issus de traités d’une manière qui porte indûment atteinte à ces droits. L’action de la PND décrit les droits issus de traités touchés comme incluant les droits de chasse, de pêche et de piégeage dans son territoire, ainsi que de préservation de ses pratiques culturelles et de son mode de vie fondés sur la terre, une description des droits issus de traités semblable à celle utilisée par la CSBC pour évaluer les effets cumulatifs du développement dans Yahey (par. 540) et une description plus complète que la définition des droits issus de traités utilisée par la CSC dans Mikisew, qui portait plus strictement sur les droits de chasse, de pêche et de piégeage (par. 42 à 44 et 48).

L’action de la PND exige également une réparation semblable à celle exigée par les PBBR dans Yahey, dont des ordonnances de la cour déclarant que les mécanismes réglementaires de l’Alberta sont inefficaces pour évaluer les effets cumulatifs, ordonnant à la province d’établir de nouveaux mécanismes pour l’évaluation des effets cumulatifs du développement et interdisant à la province d’autoriser d’autres activités qui enfreignent davantage les droits issus de traités de la PND.

Incidences de l’action de la PND sur le droit réglementaire en Alberta

L’action de la PND vise à apporter la vision plus vaste des droits issus de traités adoptée dans Yahey en Alberta en donnant un sens plus large aux activités de chasse, de pêche et de piégeage généralement soulevées dans les actions pour atteinte aux droits issus de traités en y incluant la pratique plus générale d’un mode de vie culturel. Si cette définition était adoptée en Alberta, elle pourrait accroître considérablement les risques d’actions pour atteinte aux droits issus de traités ayant gain de cause contre la province, ce qui aurait une incidence sur les projets éventuels, les modifications de projets proposées et d’autres activités réglementaires en Alberta.

L’adoption de Yahey en Alberta pourrait également modifier considérablement la capacité de la province d’entreprendre de façon générale l’aménagement général de l’utilisation des terres sans d’abord obtenir le consentement des Premières Nations touchées. Plus particulièrement, dans Yahey, la Cour a conclu que la réticence de la province à négocier et à adopter un tel cadre prouvait qu’elle n’avait pas réglé les effets cumulatifs du développement dans le territoire des PNBR (par. 1748, 1749 et 1808). Dans cette affaire, la Cour a ordonné des négociations bilatérales entre la province et les PNBR en vue de l’établissement d’un nouveau cadre réglementaire, négociations qui, comme il a été mentionné, sont toujours en cours. Ainsi, Yahey annonce l’adoption éventuelle d’un processus décisionnel partagé sur la gestion du territoire afin d’aborder les effets cumulatifs du développement sur les droits permanents issus de traités.

Cependant, la disposition des tribunaux de l’Alberta à adopter la démonstration de l’atteinte aux droits issus de traités établie dans Yahey ne sera connue qu’au moment où une décision sera rendue quant à l’action de la PND. La cour a rendu sa décision dans Yahey en se fondant sur des preuves historiques, anthropologiques, anthropiques et orales exhaustives propres au territoire revendiqué, sur l’utilisation historique et contemporaine des terres dans la région par les PNBR, les développements précis approuvés par la province et les processus d’octroi de permis et de licences de la province, que la Cour a qualifiés d’inefficaces pour régler les effets cumulatifs du développement sur les droits issus de traités. Les mêmes constats factuels ne peuvent être faits en ce qui concerne la revendication de la PND.

Peu importe le résultat, la revendication de la PND pourrait avoir des incidences établissant un précédent sur le développement des ressources et le cadre réglementaire de l’évaluation ainsi que l’approbation des projets en Alberta, et devrait être suivie de près par les promoteurs et les exploitants de projets.