Auteurs(trice)
Associée, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Associée, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Associée, Droit de la concurrence et de l'investissement étranger, Calgary
Associé, Litiges, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Key Takeaways
- Depuis que la Loi sur la concurrence a été modifiée, les transactions sont plus étroitement surveillées. Les parties à une fusion doivent se montrer proactives dès le début.
- La nouvelle disposition civile sur les accords commerciaux peut être appliquée par le Bureau ou par des parties privées, mais sa portée demeure floue.
- Peu de demandes ont été présentées par des parties privées au Tribunal de la concurrence, mais ce dernier devrait bientôt rendre sa première décision sur le critère élargi de l’intérêt public pour l’exercice de ce droit d’action.
D’importantes modifications apportées à la Loi sur la concurrence sont en vigueur depuis un peu plus d’un an, et leurs effets se font déjà ressentir à plusieurs égards. Les transactions sont plus étroitement surveillées, et les parties à une fusion doivent être particulièrement proactives. Parallèlement, l’élargissement de la disposition civile sur les accords commerciaux crée un flou qui, on l’espère, sera dissipé dans la version définitive des lignes directrices d’application et au fil des décisions rendues dans les prochaines années. Les répercussions de l’élargissement du droit d’action privé et le sort des nouvelles sanctions administratives pécuniaires (SAP) maximales pouvant être imposées en vertu de certaines dispositions civiles se préciseront au cours de la prochaine année. En effet, une première demande de permission de présenter une demande justifiée par l’intérêt public a été soumise, et un jugement est attendu quant à la contestation de la validité constitutionnelle des SAP.
Examens des fusions plus rigoureux
Parmi les changements les plus notables, notons la création d’une présomption légale réfutable de préjudice dans une fusion. Les répercussions ne font aucun doute : la définition et la structure du marché, les parts de marché et les niveaux de concentration attirent davantage l’attention. Il est plus important que jamais d’investir tôt dans une analyse des effets concurrentiels en ce qui concerne les transactions susceptibles de produire de tels effets à l’horizontale ou à la verticale. Le Bureau de la concurrence (le Bureau) surveille plus attentivement certains secteurs, comme la production d’hydrocarbures en amont, considérés par le passé comme étant moins litigieux sur le plan de la concurrence. Par ailleurs, le Bureau continue de se montrer flexible dans la négociation de règlements et de ne pas exiger la pleine conformité aux périodes d’attente prévues par la loi. À la mi‑novembre, le Bureau a publié, aux fins de consultation, la version révisée de ses lignes directrices pour l’application de la loi en matière de fusions. Les parties prenantes ont jusqu’à la mi‑février pour les commenter.
Dans le cas des transactions qui présentent des chevauchements, même s’ils sont minimes, il faut attendre de plus en plus longtemps avant d’obtenir l’approbation du Bureau sous forme de « lettre de non‑intervention ». Le nombre d’examens de fusions excédant les 45 jours a bondi, tandis que le pourcentage de transactions faisant l’objet d’un certificat de décision préalable (CDP) a diminué. De plus, on a de plus en plus recours au régime d’avis obligatoire de la partie IX pour enclencher les délais prévus par la loi.
Le Bureau se prévaut de plus en plus de l’article 11 pour forcer les parties aux fusions et des tiers comme les clients, les fournisseurs et les concurrents à lui communiquer de l’information. Voici un exemple marquant : en mai 2025, le Bureau a obtenu auprès du Tribunal de la concurrence (le Tribunal) des ordonnances de communication contre Bruce Power, Ontario Power Generation et Framatome Canada dans le cadre de son enquête sur l’acquisition de Kinectrics par BWX Technologies.
Le Bureau a aussi obtenu des ordonnances en vertu de l’article 11 contre six des plus grandes banques au Canada (BMO, CIBC, Banque Nationale, RBC, Banque Scotia, TD) en lien avec son enquête sur l’acquisition de l’entreprise Securities Industry Services de Kyndryl Canada Limited par Broadridge Software Limited. Pour la première fois, ces ordonnances ont aussi été rendues contre les parties à une fusion devant faire l’objet d’un avis (Broadridge et Kyndryl), même si la demande de renseignements supplémentaires prévue dans le processus d’examen à deux étapes n’a pas été présentée. Qui plus est, les ordonnances ont été rendues après la clôture de la transaction.
Les transactions qui ne sont pas soumises au régime d’avis obligatoire n’échappent pas à l’intervention du Bureau. En septembre 2025, le Bureau a demandé et obtenu des ordonnances de communication contre les parties à une telle transaction, en l’occurrence Mérieux NutriSciences (faisant affaire par l’intermédiaire de Silliker Canada) et Bureau Veritas. Mérieux NutriSciences a fait l’acquisition des activités d’analyse alimentaire de Bureau Veritas le 31 décembre 2024, et le Bureau a amorcé son examen environ quatre mois plus tard, soit en avril 2025.
Nous prévoyons le maintien de cette tendance. La complexité croissante du processus relatif à l’obtention d’une réponse favorable (lettre de non‑intervention ou CDP) et les délais de plus en plus longs qui s’y rattachent pourraient entraîner des changements dans la pratique au Canada. Jusqu’ici, les parties tentaient d’obtenir une telle approbation avant la clôture, mais vu l’inefficacité grandissante du processus, davantage de transactions pourraient être conclues à l’expiration des périodes d’attente prévues par la loi, comme on le voit depuis longtemps dans le régime d’examen antitrust aux États‑Unis.
Incertitude entourant la disposition élargie sur les accords commerciaux anticoncurrentiels
Auparavant, la disposition civile sur les accords commerciaux ne s’appliquait qu’aux accords entre concurrents, et seul le Bureau pouvait s’en prévaloir. Dans sa version modifiée, elle s’applique à des accords entre non‑concurrents dont l’un des objets importants est d’empêcher ou de diminuer la concurrence. De plus, elle peut être mise en application non seulement par le Bureau, mais aussi par des parties privées.
Les préoccupations du Bureau quant aux clauses restrictives et d’exclusivité dans le secteur du détail expliquent en grande partie cette modification. Les premières mises en application concernent surtout des chaînes d’épicerie. Par exemple, à la suite de l’enquête du Bureau sur l’utilisation des contrôles de propriété dans ce secteur, Loblaw s’est publiquement engagée à éliminer les clauses restrictives et à renoncer aux clauses d’exclusivité dans les communautés où elle exploite la seule épicerie. Empire a elle aussi accepté d’éliminer un contrôle de propriété imposé à Crowsnest Pass, en Alberta, pour faciliter la venue d’un nouveau joueur.
Les praticiens et les entreprises se demandent comment la disposition sera appliquée à d’autres secteurs ou à d’autres types d’accords, comme des ententes d’exclusivité pour l’approvisionnement ou des coentreprises entre non‑concurrents. Le fait que des parties privées peuvent se prévaloir de cette disposition crée davantage d’imprévisibilité pour les entreprises, qui pourraient se voir reprocher un accord commercial anticoncurrentiel dans des situations où le Bureau préfère ne pas intervenir ou quand une partie privée préfère obtenir sa propre indemnité pécuniaire. À la fin octobre, le Bureau a publié son projet de lignes directrices sur les comportements et les accords anticoncurrentiels aux fins de consultation auprès des parties prenantes. Celles‑ci exposent l’approche du Bureau quant à la mise en application des dispositions principalement civiles de la nouvelle version de la Loi sur la concurrence, outre celles sur l’examen des fusions. La consultation se termine à la fin du mois de janvier.
Le Bureau a par ailleurs récemment annoncé l’abandon de son enquête sur la tarification algorithmique dans le secteur de l’immobilier, citant notamment le faible taux d’adoption de ces pratiques au Canada. Il continuera toutefois de surveiller leur emploi dans ce secteur et d’autres sous l’angle des dispositions sur les accords anticoncurrentiels et l’abus de position dominante.
Peu de mise en application par des parties privées
Les parties privées peuvent maintenant exercer des recours couvrant un éventail beaucoup plus large de comportements et d’accords en vertu de la Loi sur la concurrence. Cela dit, le tsunami redouté ne s’est toujours pas produit. Seule une demande de permission a été déposée jusqu’ici. Le 20 juin 2025, le jour où la mise en application par les parties privées est devenue possible, une demande de permission de présenter une demande fondée sur l’intérêt public a été déposée contre Google et Apple, accusées d’avoir enfreint les dispositions sur l’abus de position dominante et sur les accords commerciaux de la Loi sur la concurrence. À bien des égards, cette demande s’apparente aux mesures antitrust appliquées aux États‑Unis concernant des ententes que Google a conclues afin d’en faire le moteur de recherche par défaut.
Plusieurs questions importantes restent sans réponse quant à ce régime de mise en application par des parties privées. Dans la prochaine année, nous prévoyons en savoir plus sur la teneur du critère élargi pour la permission de présenter une demande en vertu de l’intérêt public, notamment à la lumière des conclusions dans l’affaire intentée contre Google (et potentiellement dans d’autres). Une autre question clé concerne la façon de quantifier et de distribuer les indemnités pécuniaires. Il faudra peut‑être attendre des années – à l’issue d’une action privée où une telle indemnité aura été accordée – avant d’avoir des précisions sur ce point.
Évolution des approches quant aux déclarations environnementales
L’ajout d’un droit d’action privé suscite également des questions sur l’application des nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment aux déclarations environnementales faites dans les documents déposés auprès des autorités en valeurs mobilières. Le Bureau précise dans ses lignes directrices qu’il n’a pas l’intention de se concentrer sur les déclarations faites par les émetteurs aux investisseurs. Fait intéressant à noter, la première plainte privée en écoblanchiment depuis l’entrée en vigueur des modifications n’a pas été présentée au Tribunal en vertu de la Loi sur la concurrence, mais auprès de la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta. Pour en savoir plus, consultez cet autre article des Perspectives juridiques Osler (en anglais seulement).
Autre fait intéressant : dans son budget publié au début novembre 2025, le gouvernement dit vouloir apporter des modifications aux dispositions de la Loi sur la concurrence relatives à l’écoblanchiment. Les parties privées ne pourraient plus présenter de demandes au Tribunal en lien avec des plaintes d’écoblanchiment, et les entreprises n’auraient plus à étayer leurs déclarations sur les avantages environnementaux à l’aide d’une « méthode reconnue à l’échelle internationale ».
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En savoir plusContestation constitutionnelle de la nouvelle SAP maximale
Dans un ordre d’idée connexe, Google a contesté la validité constitutionnelle de la nouvelle SAP maximale pour abus de position dominante. Soumis dans le contexte des procédures du Bureau contre Google, l’avis de question constitutionnelle avance plusieurs motifs selon lesquels le nouveau régime de SAP serait contraire aux principes constitutionnels. Rogers a récemment soulevé des arguments semblables en réponse aux allégations de pratiques commerciales trompeuses présentées contre elle par le Bureau.
Ce n’est pas la première fois que les SAP sont contestées devant les tribunaux. Dans une affaire de 2013 opposant le Bureau à Chatr Wireless, le Tribunal a confirmé la validité de ces sanctions, qui ne représentaient selon lui pas de véritables conséquences pénales. Toutefois, les enjeux sont à présent beaucoup plus élevés. Depuis 2013, la SAP maximale a fait un bond spectaculaire : elle correspond maintenant au montant le plus élevé entre 25 millions de dollars, trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement anticoncurrentiel, ou 3 % des recettes globales brutes annuelles de la société. En ce qui concerne Google, vu ses recettes globales en 2024, cela pourrait représenter une sanction de 10,5 milliards de dollars.
L’audience sur la contestation constitutionnelle de Google s’est terminée le 3 octobre 2025, et on attend la décision du Tribunal. Si celui‑ci confirme le nouveau régime de SAP, il pourrait créer un précédent pour l’imposition d’imposantes sanctions financières à des entreprises dominantes. Si au contraire il l’invalide, le pouvoir de dissuasion des SAP relativement aux comportements anticoncurrentiels pourrait s’en trouver considérablement affaibli.
Droit de la concurrence et mise en application : à surveiller l’année prochaine
Les modifications apportées à la Loi sur la concurrence ont changé la donne dans le droit de la concurrence au Canada. Au cours de la prochaine année, le Bureau devrait continuer de mettre à jour ses lignes directrices pour préciser la portée des modifications et leurs conséquences. Par ailleurs, le Bureau et les parties privées testeront inévitablement les limites des nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence devant les tribunaux. Les entreprises du Canada doivent être au fait de ces développements, qui pourraient grandement influencer l’issue de leurs dossiers.