Auteurs(trice)
Associé directeur du bureau d'Ottawa, Ottawa
Associé, Propriété Intellectuelle, Toronto
Sociétaire, Propriété intellectuelle, Ottawa
Depuis longtemps, les Canadiens sont fiers de leur système de santé universel, et à juste titre, même si la confiance dans le fonctionnement et la viabilité du système s’est érodée ces dernières années, exacerbée par les faiblesses révélées lors de la pandémie de COVID-19. Cependant, le coût élevé des médicaments d’ordonnance demeure un irritant et un élément de réforme du système. Les dépenses liées aux médicaments dépassent rapidement les autres coûts des soins de santé et constituent le deuxième coût en importance dans le système de santé, dépassant même la rémunération des médecins, tout juste derrière les hôpitaux. Le coût élevé des médicaments et la limitation de l’accès restreint à des produits pharmaceutiques ont été les principaux facteurs à l’origine du programme national d’assurance-médicaments proposé par le gouvernement fédéral.
La nécessité de parvenir à un équilibre entre, d’une part, le soutien des activités de recherche et développement de médicaments par la protection des brevets et, d’autre part, la nécessité d’offrir l’accès à des médicaments génériques et biosimilaires abordables est un sujet de tension constant dans les débats sur l’industrie pharmaceutique au Canada et dans le monde. Au cours de la dernière année, le droit des brevets a connu certains progrès notables qui ont fait pencher la balance en faveur de l’application du droit des brevets.
Ces développements améliorent la capacité des détenteurs de brevets à faire valoir des brevets liés aux schémas posologiques de médicaments déjà connus pour des utilisations médicales déjà connues. Cela a pour conséquence d’empêcher ou de retarder la concurrence pour des médicaments génériques et biosimilaires. Ces développements sont susceptibles d’avoir des conséquences significatives sur la capacité des fabricants de médicaments génériques et biosimilaires à commercialiser leurs produits. Ces derniers devront donc évaluer avec soin si les monographies de leurs produits sont susceptibles d’entraîner des violations de brevets et explorer des stratégies réglementaires innovantes pour atténuer ce risque.
L’équilibre entre les produits de marque et leurs équivalents génériques ou biosimilaires
Depuis des décennies, le recours aux médicaments génériques constitue une stratégie éprouvée pour réduire les coûts globaux des médicaments sur ordonnance. Toutefois, les fabricants de médicaments de marque peuvent retarder ou empêcher l’introduction de médicaments génériques et biosimilaires sur le marché canadien, notamment en obtenant de multiples brevets qui étendent la protection à des composants autres que le principe actif du médicament. Ces brevets complémentaires s’étendent souvent à des utilisations nouvelles ou plus spécifiques, comme le traitement de maladies ou des schémas posologiques différents, ou encore à de nouvelles catégories de patients. Étant donné que chaque brevet confère une période d’exclusivité de 20 ans, ces brevets portant sur l’utilisation peuvent effectivement retarder l’accès à des solutions de remplacement plus abordables pendant très longtemps. Cette entrée retardée sur le marché des produits de remplacement maintient nécessairement les prix des médicaments à la hausse pour une période correspondante et peut empêcher de réaliser des économies.
La politique canadienne en matière de brevets pharmaceutiques vise à juste titre à soutenir une application efficace des brevets, tout en permettant un accès rapide à des médicaments génériques et biosimilaires abordables. Il s’agit d’un équilibre fragile, destiné à récompenser correctement l’innovation médicale tout en gérant les coûts des soins de santé. Lorsque la balance penche trop d’un côté ou de l’autre, ce sont les Canadiens qui en font les frais.
Brevets sur les schémas posologiques : un nouvel outil pour les fabricants de médicaments de marque
Chacun sait que les ingrédients médicamenteux peuvent faire l’objet de brevets. Autrefois sujet à controverse, il est désormais bien établi que de nouveaux brevets sont expressément accordés au Canada pour de nouvelles utilisations d’ingrédients médicamenteux connus. Par exemple, si un médicament était connu pour son utilité dans le traitement du cancer et a été breveté à ce titre, un brevet peut encore être délivré si l’on découvre de manière inattendue que le médicament est également utile dans le traitement du diabète.
Quoique cela soit moins bien compris, il est également possible d’obtenir un brevet sur un schéma posologique pour un médicament connu destiné à une utilisation connue. Il est possible d’obtenir un tel brevet, par exemple, lorsqu’un nouveau schéma posologique prescrit du médicament — comme la révision des quantités, de la fréquence et de la durée du dosage — permet d’obtenir de meilleurs résultats pour le patient. Une efficacité accrue ou des effets secondaires moins nombreux ou moins graves pourraient attester de ces avantages. Ces derniers brevets sont particulièrement précieux pour les entreprises pharmaceutiques, car leur date d’expiration est souvent beaucoup plus tardive que celle des brevets sur un ingrédient médicamenteux ou une nouvelle utilisation.
On voit que la jurisprudence récente risque fort d’avoir modifié l’équilibre entre la protection des brevets et l’accessibilité des médicaments d’une façon qui compromettra considérablement la possibilité d’accéder rapidement à des solutions de remplacement abordables.
Au Canada, le fabricant de médicaments qui souhaite lancer un produit générique ou biosimilaire est tenu d’en informer le fabricant du produit d’origine, qui a alors la possibilité de faire valoir, dans un délai de 45 jours, certains brevets en intentant une action en justice afin d’empêcher ou de retarder l’approbation du produit générique pendant 24 mois ou jusqu’à ce que l’action en justice soit résolue. Au cours de cette période, les brevets sur les schémas posologiques font partie de ceux qui peuvent être invoqués et, s’ils sont reconnus, ils peuvent retarder l’entrée sur le marché des médicaments génériques ou biosimilaires pendant de nombreuses années.
Pour éviter que la mise en marché de leurs produits soit bloquée par des brevets sur le schéma posologique, les fabricants de médicaments génériques et biosimilaires ont longtemps considéré que, tant qu’ils ne demandaient pas aux médecins d’appliquer un schéma posologique breveté (c’est-à-dire dans leur monographie approuvée), ils ne portaient pas atteinte à un brevet sur le schéma posologique et devaient donc être autorisés à commercialiser leur produit. Depuis toujours, le droit canadien souscrit à ce point de vue, exigeant que les atteintes aux brevets soient si fortement influencées par les actes du fabricant du médicament générique ou biosimilaire que, sans cette influence, il n’y aurait pas eu d’atteinte directe. Il est difficile pour les fabricants de produits de marque de satisfaire à cette norme lorsque les fabricants de produits génériques et biosimilaires n’influencent pas réellement les médecins par des instructions sur la posologie dans la monographie du produit.
La Cour d’appel fédérale renforce les brevets sur les schémas posologiques
La Cour d’appel fédérale du Canada (CAF) a rendu cette année plusieurs décisions indiquant que le seuil de violation d’un schéma posologique par un fabricant de produits génériques ne constitue pas un obstacle aussi impressionnant qu’il y paraît.
Dans une affaire, un fabricant de médicaments génériques souhaitait commercialiser un médicament, le macitentan, en tant que monothérapie. Il existait un brevet pour l’utilisation thérapeutique du médicament en association avec un autre médicament. La monographie du produit faisait référence à une étude clinique indiquant que la polythérapie et la monothérapie étaient toutes deux sûres et efficaces, bien que la polythérapie n’était pas expressément mentionnée dans la documentation pour la monothérapie. La Cour d’appel fédérale a confirmé en appel la décision de la Cour fédérale selon laquelle cette référence était suffisante pour entraîner une violation du brevet sur la thérapie combinée. La CAF a précisé que le fabricant du médicament générique n’était pas à l’abri d’une atteinte au brevet du fait que les médecins exercent leur jugement professionnel lorsqu’ils prescrivent des médicaments. Au contraire, la CAF a estimé que la Cour fédérale pouvait conclure que le fabricant savait ou aurait dû savoir que la monographie de son produit influencerait les décisions des médecins.
Dans une autre affaire sur le schéma posologique concernant un autre médicament, la palipéridone, la FCA a précisé que la constatation d’une atteinte au brevet ne dépendait pas de la démonstration que les pratiques de prescription des médecins avaient changé en raison des activités du fabricant de médicaments génériques. La CAF a conclu que, même si les activités des patients et des prescripteurs ne constituaient pas auparavant une atteinte au brevet puisque le médicament provenait du fabricant de la marque, elles le deviendraient une fois que le médicament proviendrait du fabricant du produit générique. Par conséquent, le fabricant du médicament générique inciterait à l’atteinte au brevet.
La Cour suprême du Canada a rejeté l’autorisation d’interjeter appel dans chacune de ces affaires sur le schéma posologique, ainsi que dans plusieurs autres, de sorte que les dernières décisions de la CAF constituent l’état actuel du droit.
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En savoir plusPar suite de ces décisions, il est devenu plus difficile pour les fabricants de médicaments génériques et biosimilaires de contourner les brevets sur les schémas posologiques. Or, si ces brevets ne peuvent être évités malgré l’intention d’un fabricant de produits génériques ou biosimilaires de le faire, ils auront pour effet d’empêcher complètement l’entrée sur le marché de tous les médicaments génériques ou biosimilaires, même pour les utilisations non brevetées. On constate que la jurisprudence récente risque fort d’avoir modifié l’équilibre entre la protection des brevets et l’accessibilité des médicaments d’une façon qui compromettra considérablement la possibilité d’accéder rapidement à des solutions de remplacement abordables. En conséquence, si l’on empêche l’utilisation légitime de médicaments non brevetés, les Canadiens se verront refuser l’accès à des substituts peu coûteux dans des circonstances où l’accès pourrait être facilité.
La Cour suprême du Canada s’apprête à se prononcer sur les brevets relatifs aux schémas posologiques
Malgré son refus d’examiner les affaires portant sur les atteintes aux brevets sur les schémas posologiques, la Cour suprême du Canada a récemment accordé l’autorisation d’interjeter appel sur la question de savoir si un schéma posologique lui-même n’est pas brevetable au motif qu’il s’agit d’une méthode de traitement médical qui entrave l’exercice de la compétence et du jugement d’un médecin. Depuis 50 ans, les méthodes de traitement médical qui entravent l’exercice des compétences et du jugement médicaux ne peuvent pas faire l’objet d’un brevet au Canada. Cette affaire permettra de déterminer si et quand les schémas posologiques peuvent constituer des méthodes de traitement médical non brevetables, ce qui pourrait permettre d’invalider les récentes décisions de la Cour d’appel fédérale en matière de violation des brevets.
Dans l’affaire portée en appel devant la Cour suprême, la CAF a jugé qu’un schéma posologique ou une autre méthode de traitement médical n’est pas brevetable lorsque l’utilisation de l’invention — à savoir, comment l’utiliser plutôt que s’il est justifié de l’utiliser — nécessite l’exercice d’une compétence et d’un jugement. La décision prévoit une exception plus large à la brevetabilité que certaines décisions antérieures qui limitaient l’exception aux schémas posologiques visant une gamme de posologies plutôt qu’une posologie fixe. Des décisions antérieures indiquaient que les revendications sont non brevetables lorsque la décision d’utiliser ou non l’invention, en plus de la manière de l’utiliser, empêchait un médecin d’exercer ses compétences et son jugement. La décision de la CAF prévoit une exception plus restreinte.
Incidence sur la politique sur les produits pharmaceutiques en 2025
À la lumière des récentes décisions confirmant l’efficacité des brevets sur les schémas posologiques, la prochaine décision de la Cour suprême du Canada aura des répercussions importantes sur l’équilibre entre l’application des brevets et l’accès à des solutions de remplacement génériques et biosimilaires abordables. Même si elle n’a pas encore été fixée, l’audience se tiendra vers la fin de 2025. Alors que les décisions de la CAF fournissent des énoncés de droit clairs à l’égard desquels la Cour suprême a choisi de ne pas autoriser d’appel, l’appel en instance que la Cour a décidé d’entendre fournira, espérons-le, une orientation claire concernant la disponibilité des brevets sur les schémas posologiques.
Le résultat déterminera si le coût des médicaments est susceptible de devenir un irritant encore plus important dans les années à venir ou s’il est susceptible de s’atténuer. Quoi qu’il en soit, cette décision pourrait avoir des répercussions considérables sur les politiques relatives aux produits pharmaceutiques, y compris sur le programme national d’assurance-médicaments projeté. Les fabricants de médicaments de marque, de médicaments génériques et de médicaments biosimilaires ont tout intérêt à suivre de près l’évolution de la situation à l’approche de 2025.