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Un tribunal de l’Alberta accueille la demande d’Encana visant la suspension de l’action et le renvoi à l’arbitrage

Auteur(s) : Olivia Dixon, Colin Feasby, Mary Paterson

22 avril 2016

Le 12 avril 2016, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a suspendu une action intentée par Toyota Tsusho Wheatland Inc. (« TTWI ») contre Encana Corporation (« Encana ») et renvoyé à l’arbitrage la grande majorité des demandes. La décision de la Cour, dont il a été rendu compte dans Toyota Tsusho Wheatland Inc. v. Encana Corporation, 2016 ABQB 209, maintient le droit unilatéral des parties de soumettre leurs différends à un arbitrage obligatoire, même si cet arbitrage touche aux intérêts de tiers n’ayant pas connaissance de la convention d’arbitrage.

Contexte

Un différend est survenu entre TTWI et Encana relativement à une clause de leur convention de redevances interdisant à l’une ou l’autre des parties de se départir de ses intérêts au titre de la convention de redevances sans « avoir obtenu au préalable le consentement écrit de l’autre partie, lequel ne peut être indûment refusé » [TRADUCTION] et « à moins que le cessionnaire proposé ne s’engage contractuellement à être lié par les dispositions de la convention en question concernant l’intérêt cédé, à en assumer les obligations et à s’y conformer » [TRADUCTION]. Selon TTWI, Encana aurait enfreint cette disposition, lors d’une restructuration de l’entreprise, en transférant le titre de propriété des terrains visés par la convention de redevances à une filiale en propriété exclusive : PrairieSky Royalty Ltd. (PrairieSky). PrairieSky, qui est maintenant une société cotée en bourse, n’est pas partie à la convention de redevances entre Encana et TTWI. 

La convention de redevances contient une clause compromissoire imposant à Encana et TTWI l’obligation de soumettre tout « différend » à l’arbitrage. La notion de « différend » est définie de manière très générale dans la convention de redevances. Elle désigne :

tout différend, tout litige ou toute réclamation (de tout genre ou type, fondé sur un contrat, un délit, une loi, un règlement ou autrement) découlant de la présente convention, s’y rapportant ou au regard de celle-ci, y compris tout différend lié à la validité, l’interprétation ou le caractère exécutoire de la présente convention, ou à un manquement à celle-ci […] [TRADUCTION]

Toutefois, l’article 6.04 de la convention de redevances prévoit également que :

[Encana] accepte et consent irrévocablement à ce qu’une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta exige qu’[Encana] exécute expressément ses obligations aux termes de la présente convention, et à ce qu’une injonction mandatoire oblige [Encana] à exécuter ces obligations. [TRADUCTION]

TTWI a intenté devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta une action contre Encana et PrairieSky alléguant notamment que la cession à PrairieSky constituait un manquement à la convention de redevances et demandant l’exécution en nature, une mesure de redressement déclaratoire et des dommages-intérêts. TTWI a également entamé contre Encana une procédure d’arbitrage demandant qu’il soit déclaré que TTWI avait le droit de mettre fin à la convention de redevances en raison de la cession à PrairieSky, et des dommages-intérêts ou la restitution. Encana a demandé à la Cour de suspendre l’action et de renvoyer à l’arbitrage les questions en litige dans l’action.

Quelle loi sur l'arbitrage : interne ou internationale?

Premièrement, la Cour a dû déterminer si la procédure d’arbitrage entamée par TTWI était régie par la Arbitration Act, R.S.A. 2000 c. A-43 (la loi interne) ou la International Commercial Arbitration Act, R.S.A. 2000 c. I-5 (la loi internationale). TTWI et Encana convenaient que l’arbitrage était régi par la loi internationale, mais PrairieSky estimait que l’arbitrage était régi par la loi interne.  

En vertu du paragraphe 1(3) de la Loi type de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur l’arbitrage commercial international, l’arbitrage est régi par la loi internationale si les parties à une convention d’arbitrage ont, au moment de la conclusion de la convention, leur établissement dans des États différents.

Encana et TTWI ont soutenu qu’elles avaient leur établissement dans des États différents au moment de la conclusion de la convention de redevances. L’établissement d’Encana était au Canada. TTWI avait été constituée en société au Nouveau-Brunswick et inscrite à titre de société extraprovinciale en Alberta. Encana et TTWI ont cependant affirmé qu’au moment de la signature de la convention de redevances, toutes les affaires de TTWI étaient en réalité menées depuis Tokyo ou Houston, de telle façon que son établissement était soit au Japon, soit aux États-Unis.

Pour sa part, PrairieSky a soutenu que l’établissement de TTWI était au Canada au moment de la conclusion de la convention de redevances. Plus particulièrement, PrairieSky a fait valoir ce qui suit : les présentations et les réunions ont été tenues à Calgary au nom de TTWI pendant la négociation de la convention de redevances; TTWI a fait appel aux services d’une société de réserve établie à Calgary pour évaluer l’opération et demandé à des avocats d’effectuer l’examen de diligence raisonnable dans les bureaux d’Encana à Calgary; TTWI était inscrite à titre de société extraprovinciale en Alberta et avait commencé à exercer des activités en Alberta par voie de conséquence; TTWI a déclaré dans la convention de redevances qu’elle était autorisée à exercer des activités en Alberta; TTWI a pris part à la clôture de l’opération à Calgary et signé la convention de redevances, laquelle porte sur l’exploitation d’intérêts pétroliers et gaziers en Alberta et est régie par le droit de l’Alberta.

En fin de compte, la Cour a donné raison à Encana et TTWI, et déclaré que l’arbitrage était régi par la loi internationale. La Cour a conclu que l’arbitrage était un arbitrage international au sens de l’alinéa 1(3)a) de la Loi type puisque les parties avaient leur établissement dans des États différents au moment de la conclusion de la convention de redevances. Plus particulièrement, la Cour a estimé que l’« établissement » de TTWI, aux fins de l’alinéa 1(3)a) de la Loi type, était situé là où les décisions d’affaires étaient prises, soit dans ce cas Tokyo, au Japon, ou Houston, aux États-Unis. La Cour a expressément rejeté les arguments de PrairieSky voulant que le lieu de l’établissement de TTWI puisse être déterminé par son lieu de constitution, par le fait de son inscription en Alberta à titre de société extraprovinciale, ou par le fait qu’elle a déclaré être autorisée à exercer des activités en Alberta dans la convention de redevances.

La suspension de l'action et le renvoi à l'arbitrage

Par la suite, la Cour a examiné si l’action devait être suspendue et les demandes renvoyées à l’arbitrage. La Cour a souligné le rôle limité de l’intervention judiciaire dans le cadre de différends assujettis à une convention d’arbitrage. Elle a ajouté que l’orientation législative visant une intervention judiciaire limitée était peut-être même plus ferme en vertu de la loi internationale qu’en vertu de la loi interne. Les différends assujettis à une convention d’arbitrage régie par la loi internationale doivent être renvoyés à l’arbitrage, sauf si la convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. Cela vaut également lorsque sont en cause les intérêts de tiers n’ayant pas connaissance de la convention d’arbitrage. 

La Cour a ensuite examiné si toutes les questions soulevées dans l’action par TTWI étaient assujetties à l’arbitrage, ou si certains aspects du différend relevaient de la compétence de la Cour aux termes de l’article 6.04 de la convention de redevances. Pour trancher, la Cour a dû interpréter d’une manière cohérente les différentes dispositions de la convention de redevances, selon laquelle tous les « différends » seraient soumis à l’arbitrage, sous réserve des demandes d’exécution en nature visant Encana, desquelles la Cour du Banc de la Reine pouvait être saisie.

Selon TTWI, l’article 6.04 de la convention de redevances excluait les demandes d’exécution en nature de la convention d’arbitrage, et si le redressement souhaité était l’exécution en nature, la Cour était en droit d’examiner toutes les questions nécessaires pour déterminer si ce recours était approprié. En d’autres termes, tant que l’exécution en nature était le redressement demandé dans une action intentée par TTWI, la Cour pouvait trancher des questions de droit relatives à l’interprétation de la convention de redevances, des questions de fait contestées concernant ce qui s’est passé, et des questions de fait et de droit, à savoir si l’acte commis constituait un manquement à la convention de redevances. 

Par ailleurs, selon Encana, l’article 6.04 se limitait à conférer à la Cour le pouvoir d’ordonner l’exécution en nature à titre de mesure de redressement, au lieu de dommages-intérêts, après qu’un arbitre eut déterminé qu’il y avait eu manquement à la convention de redevances. Encana a de plus mis en doute le fait que l’exécution en nature était réellement la principale mesure de redressement demandée par TTWI dans son action contre Encana. 

En fin de compte, la Cour a préféré l’interprétation de la convention de redevances d’Encana et jugé que les questions en litige dans l’action devaient être renvoyées à l’arbitrage, du moins dans un premier temps. La Cour a estimé que les parties avaient eu l’intention de soumettre à l’arbitrage tous les différends relatifs à l’interprétation appropriée à donner à la convention de redevances et la question de savoir s’il y avait eu manquement à celle-ci ou non. La Cour a également indiqué qu’au moins certaines des questions soulevées dans l’action semblaient entrer dans le champ d’application de la clause compromissoire dans la convention de redevances. Par conséquent, il était approprié qu’un arbitre détermine la portée des obligations d’Encana aux termes de la convention de redevances, et si celle-ci avait manqué à ces obligations, avant que TTWI ne puisse demander à la Cour du Banc de la Reine l’exécution en nature de ces obligations. 

La Cour a donc suspendu l’action, mais déclaré que l’aspect de la demande se limitant à l’exécution en nature pourrait être entendu par la Cour après l’obtention d’une décision sur le différend en arbitrage. Bien que la Cour ait suspendu l’action contre Encana dans l’attente de la décision d’arbitrage, elle a permis à l’action contre PrairieSky de se poursuivre telle quelle, cette dernière n’étant pas partie à la convention de redevances.

Conclusion

Cette affaire illustre la déférence dont fait preuve la Cour à l’égard des conventions d’arbitrage. Elle souligne également qu’il est essentiel de veiller à ce que toutes les clauses d’une entente relatives au règlement de différends s’assemblent de façon harmonieuse. Enfin, elle illustre qu’une approche qui porte sur le fond, et non la forme, permet d’établir si les parties « ont leur établissement dans des États différents », élément qui détermine laquelle de la loi internationale ou interne — et leurs protections et droits afférents — s’applique à une convention d’arbitrage.