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Intensification des activités de fusion et d’acquisition dans le secteur canadien des technologies à la veille de l’année 2021

Auteur(s) : Mark Longo, Tara Folk

Le 14 décembre 2020

Alors que s’achève la tumultueuse année 2020, le secteur canadien des technologies est décidément dans la mire des acheteurs stratégiques et financiers nationaux, américains et étrangers. La seconde moitié de l’année a été témoin d’une augmentation importante des opérations de fusion et d’acquisition de sociétés spécialisées dans les technologiques, favorisée par diverses tendances majeures. Dans cet article, nous examinons l’état du marché et les facteurs contribuant à son dynamisme.

Volume et valeur des opérations

Le ralentissement temporaire des activités de fusion et d’acquisition durant les premiers mois de la pandémie de COVID-19 a laissé place à une augmentation des opérations conclues et des démarches actives à ce chapitre. Malgré la turbulence de l’environnement macroéconomique, le secteur nord-américain des technologies continue de faire montre de solidité et de confirmer sa réputation de marché convoité favorable aux investissements. Comme le rapporte Preqin, après une baisse des opérations déclarées pendant le premier semestre de 2020, leur volume et leur valeur ont rebondi en Amérique du Nord, avec pour résultat un troisième trimestre où la valeur totale des opérations a surpassé celle d’avant la pandémie pour la même période en 2019.

Le Canada a vécu la même situation. Selon les données sur le marché canadien de l’ACCR (en anglais), la valeur des opérations d’achat avec des capitaux privés pour les trois premiers trimestres de 2020 excède le total pour 2019 : 11,7 G$ CA ont été investis dans le cadre de 446 opérations en 2020, contre 7 G$ CA dans le cadre de 385 opérations en 2019.

Tendances macroéconomiques favorisant les fusions et acquisitions dans le secteur canadien des technologies

Si l’injection décidée de 1,5 T$ US de réserves liquides provenant de fonds de capital-investissement et la sortie de 500 G$ US en espèces du bilan d’acheteurs stratégiques ont rendu possibles ces activités de fusion et d’acquisition dans le secteur canadien des technologies (comme le rapporte Pitchbook), des tendances macroéconomiques majeures les ont aussi favorisées.

1. Motivations des sociétés visées

Que ce soit le désir de survivre à la pandémie de COVID-19 ou de tirer parti d’un secteur très recherché et d’améliorer leurs données financières fondamentales qui motive les sociétés visées à explorer les possibilités de fusion et d’acquisition, les échanges qu’elles ont avec les acheteurs stratégiques et les fonds de capital-investissement sont désormais au cœur des discussions (virtuelles) des conseils d’administration.

Les conseils d’administration et les équipes de direction des sociétés prospères qui maintenaient auparavant une attitude « attentiste » à l’égard des fusions et des acquisitions sont aujourd’hui plus sensibles à l’intérêt manifesté à l’endroit de leurs entreprises. Ils prennent aussi de plus en plus souvent l’initiative de rechercher la bonne opération pour tirer avantage des possibilités offertes sur le marché.

Le moyen ainsi envisagé par nombre de ces sociétés pour maximiser leur valeur consiste à exploiter en même temps diverses solutions stratégiques. Plus précisément, nombre d’émetteurs suivent un processus à deux voies ou à voies multiples et engagent des conseillers en fusions et acquisitions pour la poursuite de ces démarches stratégiques parallèles ou multiples. Les différentes solutions prises en considération comprennent les ventes pures et simples, les opérations côté acheteur et les opérations de financement par actions de croissance. Très souvent, les opérations conclues avec des actions de croissance incluent une vente secondaire au cours de laquelle les fondateurs et les premiers investisseurs obtiennent une certaine quantité de liquidités.

Une autre solution suivie en parallèle a émergé en 2020 dans le cas des sociétés spécialisées dans les technologies, à savoir le recours aux premiers appels publics à l’épargne (PAPE), bien que les prises de contrôle inversées gagnent également du terrain comme moyen de s’introduire en bourse. L’appétit croissant pour les PAPE dans les secteurs des technologies tels que les sciences de la vie a entraîné la création d’un environnement concurrentiel où les acheteurs doivent payer des primes de plus en plus élevées étant donné la diversité des solutions stratégiques viables accessibles aux sociétés visées qui sont à la recherche de liquidités.

Quant aux sociétés en difficulté par suite de la pandémie de COVID-19 ou pour une autre raison, leurs conseils d’administration semblent de plus en plus réceptifs à l’idée de discuter d’une opération de fusion et d’acquisition à cause du besoin de restructuration de leurs opérations. Ils évaluent aussi, en même temps, d’autres solutions stratégiques dans le contexte de la pandémie. L’exploitation d’un processus à deux voies pour optimiser l’éventail des options et la valeur n’a jamais été aussi importante pour les sociétés de cette catégorie.

2. Rendement des marchés boursiers

Les marchés boursiers nord-américains ont fait face à des vents contraires très tôt au cours de la pandémie de COVID-19. À la fin de l’été, cependant, ils ont cessé de tenir compte du ralentissement économique. Les gains réalisés alors en bourse ont mené à un redressement du bilan des sociétés ouvertes et du cours de leurs actions. Pressées depuis par leurs actionnaires d’utiliser le surplus de liquidités à bon escient, ces sociétés cherchent à acquérir des entreprises spécialisées en technologies pour accélérer et améliorer leur transformation numérique interne. Cette tendance s’étend même jusqu’aux sociétés traditionnelles, désireuses d’innover et d’améliorer leur offre. 

Une opération de fusion et d’acquisition d’une entreprise technologique privée par une société ouverte peut procurer aux actionnaires vendeurs des actions de la société ouverte acheteuse. Ils peuvent aussi bénéficier d’autres mesures incitatives à long terme en actions, en plus d’empocher des liquidités. Un solide rendement des marchés boursiers permet aux actionnaires vendeurs, qui souvent comprennent les employés et les membres de la direction de la société visée, de profiter du potentiel d’appréciation future des actions de leur acquéreur.

3. Talents de classe mondiale dans les technologies

La qualité des talents en ingénierie au Canada lui permet de rester bien en vue et en fait un centre attrayant pour les activités des sociétés. Le Canada est bien connu pour ses écosystèmes d’entreprises en démarrage dans des villes comme Toronto, Waterloo, Ottawa, Montréal et Vancouver, et pour ses écosystèmes émergents à Calgary, à Edmonton, à Victoria et à Halifax, entre autres. Les universités implantées d’un océan à l’autre du pays produisent à la chaîne les meilleurs programmeurs informatiques et scientifiques qui soient. Outre les politiques d’immigration de plus en plus favorables du Canada comparativement à celles des États-Unis, l’accès aux talents en technologies et leur mobilité dans le pays contribuent à susciter l’intérêt des fonds de capital-investissement et des sociétés acheteuses envers les sociétés canadiennes spécialisées dans les technologies.

Les grandes entreprises comme Amazon, Salesforce.com, Microsoft et Google ont depuis longtemps fait du Canada un deuxième lieu d’accueil pour leurs centres de développement. Quant aux autres acheteurs, ils ont eu vent du fait que, dans un monde de plus en plus virtuel, le Canada constitue une destination privilégiée. Nous nous attendons à ce que cette préférence persiste.

Une société n’a plus besoin de se trouver dans la Silicon Valley pour capter l’intérêt d’investisseurs ou d’un éventuel acquéreur. Le passage de grandes sociétés technologiques comme Twitter à un modèle de télétravail permanent ou semi-permanent laisse penser, d’ailleurs, que le Canada deviendra probablement une destination encore plus désirable dans un monde post-pandémique.

Dans le monde virtuel où nous vivons actuellement à cause de la COVID-19, toutes les opérations de fusion et d’acquisition ont lieu complètement virtuellement. Dans certains cas, les équipes de direction de l’acheteur et de la société visée peuvent ne jamais avoir d’entretien en face à face. Raison de plus expliquant la multiplication des possibilités d’opérations transfrontalières.

4. Coût de base au Canada

Le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien continue de faire des sociétés canadiennes des cibles attrayantes pour un acheteur américain du point de vue du prix. Les sociétés canadiennes tirent avantage depuis longtemps de l’arbitrage de devises, leurs coûts étant largement libellés en dollars canadiens et les revenus tirés des clients fréquemment générés en dollars américains.

D’autre part, les salaires des talents canadiens en technologies accusent un certain retard par rapport à ceux offerts dans les grands centres technologiques américains, comme à San Francisco, à Palo Alto, à New York et à Boston.

Ces deux facteurs consolident encore davantage la position avantageuse du Canada sur le plan des coûts du point de vue de l’acheteur.

5. Changement d’humeur : marchés haussiers dans certains sous-secteurs

L’impact de la pandémie de COVID-19 sur notre mode de vie et de travail a pour conséquence un intérêt accru des acheteurs cherchant à réaliser des opérations de regroupement à des fins de concentration de leurs secteurs. Leur attention est tournée vers les technologies de la santé, les biotechnologies, le commerce électronique, les logiciels-services (SaaS), les technologies financières, l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, les technologies agricoles et les technologies permettant à la main-d’œuvre de travailler à distance.

Le Canada jouit d’une solide réputation à l’échelle mondiale dans ces secteurs convoités. Leur solidité durant cette période d’incertitude économique mondiale contribue à maintenir le pays à la vue des fonds de capital-investissement et des acheteurs stratégiques.

Contrairement aux ralentissements économiques précédents (notamment la crise financière de 2008 et le marasme de 2001-2003 causé par les cyberentreprises), les cours dans les secteurs mentionnés surpassent en général ceux d’avant la pandémie, selon les données sur les marchés de Capital IQ.

Malgré la hausse des cours en général, les dynamiques particulières opposant les acquéreurs et les sociétés visées peuvent aboutir à des écarts d’évaluation des titres lors de leurs négociations. Pour combler ces écarts, des clauses de contrepartie conditionnelle sont insérées dans les ententes dans une plus large mesure, en particulier dans le cas des opérations du marché intermédiaire et les opérations de type « acqui-hire » (acquisitions faites principalement pour accéder à des bassins de talents) visant les entreprises en démarrage. Les jalons inclus dans ces clauses correspondent en général à des objectifs de revenu ou de bénéfice (p. ex. le BAIIDA) ou à des seuils d’acquisition de clientèle, de développement de produits et d’intégration.

6. Occasions de PAPE à saisir

Tandis que la période propice pour les PAPE sur le marché américain se prolonge, on observe un intérêt croissant pour le secteur canadien des technologies. De nouvelles occasions de PAPE s’offrent aux fonds de capital-investissement et aux acheteurs stratégiques, qui en ont pris conscience et cherchent à en profiter, car ils ont besoin de garnir leur portefeuille. À cet effet, les fonds de capital-investissement financent de plus en plus les opérations de regroupement sur le marché intermédiaire, au nom des sociétés de leur portefeuille, afin d’atteindre une masse critique en prévision d’un PAPE. L’acquisition de sociétés canadiennes spécialisées dans les technologies constitue un moyen populaire de concentration de leur secteur et de réalisation de la masse critique nécessaire pour lancer un PAPE, tendance qui devrait continuer.

En outre, les sociétés américaines et canadiennes qui ont réalisé un PAPE en 2020 ont fréquemment des projets de croissance, qu’elles concrétisent souvent par des acquisitions faites en mettant à profit les fonds figurant sur leur bilan à la suite de leur PAPE.

7. Disponibilité et faible coût du crédit

Dans les premiers jours de la pandémie de COVID-19 s’est posée la question de la disponibilité du crédit et de la possibilité d’une contraction des marchés de la dette. En réalité, les prêteurs se sont montrés solides et ont généralement continué d’accorder des prêts aux sociétés et aux fonds de capital-investissement. Le creux historique des taux d’intérêt a permis aux sociétés visées d’utiliser leur capacité d’emprunt, d’après leur bilan, pour réaliser des opérations rentables à crédit.

8. Les Canadiens « monopolisent le podium »

Les acheteurs étrangers savent depuis longtemps que les entrepreneurs canadiens sont capables de créer d’excellentes technologies. La critique émise dans le passé à l’égard des équipes de direction canadiennes était leur propension à se retirer du jeu trop rapidement, avant que leur société n’atteigne une taille véritablement importante. De plus en plus, cependant, les sociétés canadiennes prouvent qu’elles peuvent elles aussi croître. Leurs équipes de direction, leurs conseils d’administration et leurs investisseurs nourrissent, de fait, l’ambition collective de construire des « locomotives » de classe mondiale. 

Dans la foulée du large succès du PAPE de Spotify en 2015 lui permettant de faire son entrée à la bourse de New York et, ultérieurement, de la spectaculaire croissance de ses bénéfices et de son rendement exceptionnel comme société ouverte sur le marché boursier, une nouvelle génération de licornes canadiennes (sociétés avec une capitalisation dans les milliards de dollars) a fait son apparition, et possiblement d’autres licornes suivront dans le futur. Remarquablement, le phénomène a fait boule de neige dans tout le pays. La génération émergente de locomotives comprend Applyboard, établie à Waterloo (Ontario), qui a accédé au rang de licorne avec son tour de financement de 2020 ; Wealthsimple, de Toronto (Ontario), qui a atteint ce niveau en 2020 grâce à un investissement de TCV ; Lightspeed POS, implantée à Montréal (Québec), qui a réalisé un PAPE transfrontalier en vue de son introduction au NASDAQ et au TSX ; et Clio, de Burnaby (Colombie-Britannique), dont le tour de financement par actions de croissance en 2019, achetées principalement par TCV et JMI Equity, figure comme le plus important de l’histoire de la Colombie-Britannique. 

Plus récemment, Verafin, établie à St. John’s (Terre-Neuve), après avoir éclipsé le financement record de Clio en 2019 avec un tour de financement par actions de croissance de 515 M$, a annoncé son acquisition imminente par NASDAQ pour 2,75 G$ US, soit la plus grosse acquisition de société technologique privée de l’histoire du Canada. Osler a agi comme conseiller lors des opérations mentionnées ci-dessus.

Étant donné l’apparition de nombreuses autres sociétés technologiques en phase de développement dans le paysage, la liste des champions canadiens actuels et futurs continue de s’allonger. Les acheteurs font maintenant la chasse à la prochaine licorne canadienne avec l’objectif de l’éliminer préventivement du marché au moyen d’une offre d’acquisition attrayante.

Conclusion

Tous ces facteurs font de l’écosystème canadien des technologies une destination recherchée au vu de l’intérêt qu’elle suscite relativement aux acquisitions transfrontalières. Parallèlement, les sociétés canadiennes spécialisées dans les technologies en phase de développement tirent leur croissance de telles acquisitions. Avec les vents arrière favorables qui poussent les sociétés des technologies hors des eaux calmes de 2020, nous prévoyons que les facteurs mentionnés continueront de favoriser les activités de fusion et d’acquisition bien après le passage à 2021 et au-delà.