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Budget fédéral 2022 : renforcement du programme législatif en matière de la lutte contre le blanchiment d’argent et d’autres changements à la réglementation du secteur des services financiers

Auteur(s) : Elizabeth Sale, Victoria Graham, Haley Adams

Le 14 avril 2022

Dans son récent budget annuel, le gouvernement du Canada a annoncé un certain nombre de mesures susceptibles d’avoir une incidence sur le secteur des services financiers. Celles-ci incluent des changements clés apportés à la législation régissant le secteur financier et la lutte contre le blanchiment d’argent, un examen en matière de numérisation de l’argent, la mise en œuvre accélérée d’un registre public de la propriété effective ainsi que la poursuite des consultations des intervenants au sujet des frais liés aux cartes de crédit. Bien que le budget laisse croire que les changements relatifs à la lutte contre le blanchiment d’argent sont à venir, le gouvernement a promulgué certaines modifications aux lois en la matière deux jours avant même la parution du budget. Ces modifications sont entrées en vigueur au moment de leur enregistrement, le 5 avril 2022.

Traitement des plaintes

Le budget envisage des modifications législatives à la Loi sur les banques et à la Loi sur l’agence de la consommation en matière financière du Canada en vue de mettre sur pied un organisme externe unique, à but non lucratif, chargé du traitement des plaintes contre les banques. D’autres mesures ciblées sont attendues pour soutenir le système unifié de traitement des plaintes qui verra le jour. 

Cette annonce s’inscrit dans la foulée des consultations menées à l’automne 2021 par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada au sujet de son projet de Ligne directrice sur les procédures de traitement des plaintes des banques et des banques étrangères autorisées, lesquelles ont donné lieu à la publication de la version définitive de ladite Ligne directrice. Cette dernière entrera en vigueur le 30 juin 2022, en même temps que le cadre fédéral de protection des consommateurs en matière financière, dont nous avons déjà traité.

Numérisation de l’argent

Dans le budget, le gouvernement annonce son intention de lancer un examen législatif axé sur la numérisation de l’argent, en plus d’autres mesures visant à maintenir et à renforcer la stabilité et la sécurité du secteur financier. Bien que la portée de cette initiative reste à définir, la première étape s’articulera autour des risques que pose la monnaie numérique, y compris les cryptomonnaies et les cryptomonnaies stables, et de l’occasion d’adopter une monnaie numérique émise par la banque centrale du Canada.

Lutte contre le blanchiment d’argent

Dans la foulée des modifications temporaires (billet en anglais seulement) apportées à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la LRPCFAT) et à son règlement plus tôt cette année en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence, le budget accorde une attention renouvelée au régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent. Les mesures qui y sont proposées prévoient notamment un financement supplémentaire au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le CANAFE) pour appuyer la mise en œuvre des nouvelles exigences applicables aux plateformes de sociofinancement et aux fournisseurs de services de paiement ainsi que la surveillance des institutions financières fédérales, entre autres priorités sur le plan opérationnel. Des fonds ont également été réservés pour concevoir et élaborer une toute nouvelle agence canadienne des crimes financiers, en plus de devancer de deux ans la mise en œuvre d’un registre de la propriété effective consultable visant à soutenir les efforts en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, lequel sera maintenant accessible avant la fin de 2023. D’autres changements d’ordre législatif ou réglementaire doivent également venir modifier la LRPCFAT et son règlement pour que les autorités puissent faire face aux menaces émergentes et être mieux à même de déceler et de dissuader le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et les autres crimes financiers.

C’est dans cette optique que la première de ces modifications réglementaires, prévue au Règlement modifiant le Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et le Règlement sur les pénalités administratives – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, est entrée en vigueur le 5 avril 2022 (ci-après, les modifications d’avril). Ces modifications élargissent la portée de la LRPCFAT, qui s’applique désormais aux services offerts par les plateformes de sociofinancement, définis ainsi : « la fourniture et la maintenance d’une plateforme de sociofinancement destinée à être utilisée par d’autres personnes ou entités afin de recueillir des fonds ou de la monnaie virtuelle pour leur propre compte ou au bénéfice de personnes ou entités qu’elles désignent ». Toute plateforme de sociofinancement offrant de tels services doit s’enregistrer auprès du CANAFE à titre d’entreprise de services monétaires (ESM) ou d’entreprise de services monétaires étrangère (ESME) et mettre en œuvre un programme complet de conformité en matière de lutte au blanchiment d’argent, conformément à la LRPCFAT.

De plus, aux termes des modifications d’avril, les ESM et les ESME offrant des services de plateforme de sociofinancement auront l’obligation de tenir un dossier de renseignements à l’égard de toute personne physique ou morale à qui elles fournissent de tels services et un document où sont consignés l’objet de la collecte de fonds ou de monnaie virtuelle et le nom du bénéficiaire de la collecte, lorsqu’il diffère de la personne à qui la plateforme offre ses services, en plus, dans ce dernier cas, d’être tenues de prendre les mesures raisonnables pour obtenir l’adresse du bénéficiaire, la nature de son entreprise principale ou sa profession et, s’agissant d’une personne physique, sa date de la naissance. Elles doivent de plus vérifier l’identité des personnes physiques ou morales à qui elles offrent des services de plateforme de sociofinancement et de tout donneur d’un montant égal ou supérieur à 1 000 $ en argent ou en monnaie virtuelle.

Cela étant, il importe de garder à l’esprit que les modifications d’avril ne visent que les plateformes de sociofinancement et n’imposent aucune exigence supplémentaire aux fournisseurs de services de paiement (sauf ceux qui se qualifient par ailleurs à titre d’ESM ou d’ESME), et ce, bien que le budget comporte une promesse explicite d’étendre le régime canadien de la lutte contre le blanchiment d’argent aux fournisseurs de services de paiement, et bien que les décrets d’urgence adoptés en début d’année aient temporairement assujetti un grand nombre d’entre eux à la LRPCFAT. Il est donc à prévoir que d’autres modifications à la LRPCFAT seront proposées pour tenir compte des fournisseurs de services de paiement, bien qu’aucun projet de loi à cet effet n’ait été publié à ce jour.

En plus des changements visant les plateformes de sociofinancement, les modifications d’avril sont également venues abroger en partie la définition de « télévirement » prévue à la réglementation afférente à la LRCPFAT. Avant l’entrée en vigueur des modifications d’avril, la définition de « télévirement » excluait expressément la transmission d’instructions pour le transfert de fonds « effectuée au moyen d’une carte de crédit ou de débit ou d’un produit de paiement prépayé, si le bénéficiaire a conclu avec le fournisseur de services de paiement un accord permettant le paiement de biens et services à l’aide d’un tel moyen ». Cette exclusion ne figure plus à la définition de « télévirement », qui prévoit désormais une exception pour certains télévirements effectués au moyen d’une carte de crédit ou de débit ou d’un produit de paiement prépayé, qui sont exemptés des exigences autrement applicables aux entités financières et aux casinos en matière de déclaration, de vérification et de tenue de dossiers.

C’est donc dire que toutes les ESM et les ESME ont des obligations en matière de tenue de dossiers, d’identification des clients et de déclaration relativement à certaines opérations effectuées au moyen d’une carte de débit ou de crédit ou d’un produit de paiement prépayé qui étaient auparavant exclues de la définition de télévirement. À la lumière des modifications d’avril, les ESM et les ESME devront revoir l’ensemble de leurs politiques en matière de tenue de dossiers, de déclaration et de vérification auprès des clients pour se conformer aux obligations relatives aux télévirements internationaux par carte de crédit ou de débit ou par produit de paiement prépayé lorsque le bénéficiaire a conclu avec le fournisseur de services de paiement un accord permettant le paiement de biens et services à l’aide d’un tel moyen.

Bien que les modifications d’avril soient entrées en vigueur au moment de leur enregistrement le 5 avril dernier, les ESM concernées par les changements ne seront tenues de s’y confirmer qu’au moment de leur publication dans la Gazette du Canada, le 27 avril 2022. Cela ne laisse que peu de temps aux ESM pour évaluer leurs programmes de conformité et faire face aux obligations supplémentaires qui leur incomberont en matière d’enregistrement, de déclaration, de tenue de dossiers et d’identification.

Réduire les frais de transaction liés aux cartes de crédit

Dans le budget, le gouvernement s’engage à réduire le coût des frais liés aux cartes de crédit de telle sorte que les petites entreprises en profitent, tout en protégeant les points de récompense existants des consommateurs. Les consultations avec les différents intervenants se poursuivront afin de trouver des solutions pour réduire les coûts associés au traitement par les commerçants des opérations réglées par carte de crédit. Les mesures relatives aux programmes de fidélisation, quant à elles, restent à déterminer, ces programmes ayant traditionnellement été régis par la réglementation provinciale, et non fédérale.

Mesures législatives dans le secteur financier

Le budget propose de modifier la Loi sur les banques, la Loi sur les sociétés d’assurances, la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt et la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada. Les changements ciblés à ces différentes lois auront les effets suivants :

  • favoriser l’accès aux capitaux par les sociétés d’assurance multirisque;
  • simplifier les exigences en matière d’approbation pour les opérations dans le secteur financier;
  • ajuster les permissions temporaires du régime d’investissement (ce qui pourrait entraîner un resserrement du régime d’approbation des investissements);
  • mettre à jour les dispositions sur les demandes de soumission par procuration pour certaines institutions financières; et
  • renforcer la gouvernance de la Société d’assurance-dépôts du Canada.

Prochaines étapes

Outre les modifications d’avril qui, comme mentionnées, ont été adoptées avant le budget, nous ignorons toujours lesquelles des priorités gouvernementales dont nous avons traité ici donneront lieu à des modifications législatives. Nous demeurerons à l’affût de tout autre changement d’ordre législatif ou réglementaire en lien avec le budget.