Passer au contenu

Délit d'initié : Un premier dossier de spring loading au Québec

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Frédéric Plamondon

19 août 2016

Le 16 août dernier, le Tribunal administratif des marchés financiers (« TAMF »), anciennement le Bureau de décision et de révision, a rendu une décision concluant, notamment, que le spring loading constitue une infraction à la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »).

Le TAMF fait référence au concept de spring loading de la manière suivante :

[I]l s’agit essentiellement d’une opération financière « amorcée » par les dirigeants d’un émetteur assujetti en possession d’information privilégiée et qui consiste à émettre des options permettant d’acheter des actions de cet émetteur au prix du marché, et ce, alors qu’ils savent fort bien que le prix de ces actions est susceptible de s’accroître considérablement lorsque cette information privilégiée, sera dans un avenir relativement proche, publiquement divulguée.

Dans cette affaire, le TAMF a retenu que, le 4 janvier 2010, alors que le conseil d’administration adoptait et signait la résolution autorisant NSTEIN à émettre 1 200 000 options d’achat d’actions de cette société, les administrateurs étaient en possession d’informations privilégiées.

Selon le TAMF, les informations reliées, notamment (i) à la proposition verbale d’acquisition de NSTEIN par Open Text présentée directement à l’intimé Luc Filiatreault (PDG de NSTEIN) les 27 et 28 novembre 2009 par le principal dirigeant de Open Text et (ii) aux démarches subséquentes sérieuses entreprises par NSTEIN pour donner suite à cette proposition, étaient  de l’information privilégiée. Toujours selon le TAMF, si ces informations privilégiées et connues du conseil d’administration de NSTEIN le 4 janvier 2010, mais inconnues du public, avaient alors été divulguées, elles auraient été susceptibles d’influencer la décision d’un investisseur raisonnable.

Le TAMF a rejeté les arguments soulevés par les intimés dans cette affaire, y compris celui selon lequel l’octroi des options était « nécessaire » dans le cours des affaires de NSTEIN, et que, par conséquent, cette opération était dispensée par le biais de l’exception prévue à l’article 187 alinéa 2 de la LVM. En effet, cet alinéa prévoit qu’il n’y a pas de délit d’initié lorsque les deux parties à l’opération, au sens de la LVM, sont en possession de l’information privilégiée. Cependant, l’initié ne peut bénéficier de cette exception à moins que cette opération ne soit nécessaire dans le cours des affaires de l’émetteur.

Les intimés ont expliqué qu’en jumelant l’octroi d’options aux membres de la direction et à certains employés avec l’octroi des 225 000 options à l’embauche d’un nouveau dirigeant (vice-président de NSTEIN), les intimés voulaient limiter la divulgation publique du nombre d’options accordées par individus afin de ménager la sensibilité de chacun. Selon le TAMF, le terme « nécessaire » ne veut certainement pas dire « utile » ou « souhaitable ». Ménager la sensibilité des employés et des dirigeants, étant donné l’intérêt public, ne satisfait pas au critère de nécessité requis par l’article 187 de la LVM d’après le TAMF.

Le TAMF a également rejeté l’argument soulevé par les intimés selon lequel les administrateurs n’avaient reçu aucun avantage, pécuniaire ou autre, en raison de l’octroi des options d’achat d’actions. Le TAMF retient plutôt qu’il n’est pas requis de démontrer qu’une personne a bénéficié monétairement d’une opération jugée illégale afin d’être trouvée coupable de délit d’initié.  

Selon le TAMF, des mesures dissuasives sont nécessaires en raison, notamment, de l’absence de repentir des intimés. Les pénalités administratives suivantes ont par conséquent été imposées :

  • 20 000 $ CA pour chacun des administrateurs;
  • 10 000 $ CA pour le président du conseil d’administration;
  • 144 000 $, 72 000 $ et 36 000 $ pour les dirigeants (les montants représentent le double du profit brut réalisé).

Cette décision est importante puisqu’un tribunal du Québec reconnaît pour la première fois l’infraction de spring loading et qu’il interprète les termes « nécessaire dans le cours des affaires de l’émetteur » prévus au deuxième alinéa de l’article 187 de la LVM. Finalement, notons que cette décision pourrait faire l’objet d’un appel.