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La Cour d’appel de l’Ontario précise la date appropriée pour l’évaluation des dommages-intérêts pour rupture de contrat

Auteur(s) : Kevin O’Brien, Lauren Harper

24 novembre 2016

Dans sa récente décision dans l'affaire Rougemount Capital Inc. c. Computer Associates International Inc., 2016 ONCA 847, la Cour d'appel de l'Ontario a précisé qu'en l'absence de circonstances spéciales, la date appropriée pour évaluer les dommages-intérêts à la suite d'une rupture de contrat est la date de la rupture et non une date future (par exemple, l'expiration du contrat ou la date du procès).

Contexte

En 2004, le défendeur, un concepteur et fabricant en technologies de l’information (TI), a conclu une entente avec Sixdion Inc. (Sixdion), une société de marketing TI. Aux termes de l’entente, Sixdion commercialiserait les technologies du défendeur auprès du gouvernement fédéral. En échange, le défendeur participerait au développement des affaires de Sixdion et effectuerait un investissement immédiat de 1,5 million de dollars dans la société. Sixdion a embauché du personnel et engagé des frais supplémentaires en se fondant sur le fait qu’elle recevrait les fonds et le soutien à l’entreprise promis par le défendeur.

Après avoir conclu l’entente, le défendeur a cherché à « faire dérailler l’accord » et a refusé de verser à Sixdion la somme de 1,5 million de dollars. Peu de temps après, Sixdion a déposé son bilan. Le demandeur, un créancier de Sixdion, a acheté le droit d’action de Sixdion contre le défendeur et a intenté une poursuite pour rupture de contrat.

La décision de la juge de la première instance

La juge de première instance a soutenu que le défendeur avait violé l’entente conclue avec Sixdion et a accordé 11 millions de dollars en dommages-intérêts au demandeur. En quantifiant les dommages, la juge a évalué les dommages-intérêts non pas à la date de rupture du contrat, mais à la fin du plan d’affaires quinquennal de Sixdion qui avait été élaboré par les deux parties.

Décision de la Cour d'appel à l'égard des dommages

La Cour d’appel a souligné que les dommages accordés doivent être traités avec grande déférence. Elle a néanmoins conclu que la juge de première instance avait commis une erreur de principe en calculant les dommages à une date future plutôt qu’à la date de rupture de contrat. Le Tribunal a d’abord rappelé la règle bien établie voulant que les dommages-intérêts pour rupture de contrat correspondent généralement au montant des dommages qui, sur le plan financier, place la partie lésée dans la position qu’elle aurait occupée si le tort n’avait pas eu lieu et qu’il faut mettre l’accent sur la perte de la partie lésée et sur la mesure compensatoire requise pour rétablir la position dans laquelle la partie se trouverait si le contrat avait été exécuté.

Le tribunal a soutenu que pour évaluer les dommages, il faut présumer que les dommages, incluant ceux liés à la perte de possibilités d’affaires, devraient être évalués à la date de rupture de contrat. Cette présomption est assujettie à des exceptions lorsque l’équité l’impose, mais doit uniquement être appliquée dans des circonstances spéciales. À titre d’exemple de ces exceptions, le tribunal a cité les circonstances où il n’existe pas de marché pour remplacer les biens non reçus à la date de la rupture de contrat ou lorsque l’affaire inclut certaines catégories de bien dont la valeur est assujettie à des fluctuations constantes et imprévisibles.

Le tribunal a soutenu qu’il n’existait pas de circonstances spéciales dans cette affaire justifiant de renverser la présomption et que les faits n’étaient pas différents de toute autre affaire où les dommages-intérêts pour perte de revenus futurs doivent être déterminés. En évaluant incorrectement les dommages à une date future, le tribunal estime que la juge de première instance a cherché uniquement à maximiser les avantages potentiels pour Sixdion au titre du contrat et a négligé de tenir compte des antécédents financiers troublants de Sixdion et de son statut précaire lors de la conclusion du contrat […] et du fait que Sixdion s’engageait dans un nouveau secteur d’activité.

Le tribunal a estimé que la juge de première instance avait également commis une erreur en utilisant une analyse actualisée des flux de trésorerie à la date de rupture de contrat. Il a été convenu par les experts des parties que si les dommages étaient évalués à la date de rupture du contrat, il serait approprié d’appliquer un taux d’actualisation utilisé par les sociétés de capital-risque pour évaluer une société en se fondant uniquement sur les prévisions lorsque la société n’a aucun antécédent de revenus.

En conséquence, le tribunal a substitué sa propre conclusion des dommages réduisant ainsi de 11 millions de dollars à 1,3 million de dollars la somme allouée.

Message

La décision de la Cour d’appel est une réitération utile voulant que les tribunaux qui évaluent les dommages-intérêts pour rupture de contrat doivent restreindre leur analyse à la date de rupture du contrat. Une approche qui évalue les dommages à la fin de la durée du contrat ou à la date du procès n’est pas indiquée en l’absence de circonstances particulières, ce qui n’inclut pas le simple fait que le tribunal doit évaluer la perte de revenus futurs. Cette présomption, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel, favorise la prévisibilité et un comportement commercial efficace.