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Un fournisseur de technologie ne peut être tenu responsable de la contrefaçon d’un brevet canadien en l’absence d’une preuve d’une incitation ou d’une entente à cet effet

Auteur(s) : Vincent M. de Grandpré, Kenza Salah

Le 23 mars 2021

Les entreprises technologiques vendent souvent des biens et services sans savoir comment ils seront utilisés et, presque chaque fois, sans être en mesure de contrôler l’utilisation actuelle ou future de la technologie. Les fournisseurs de technologie peuvent tenter, au moyen de leurs contrats, de se protéger contre toute responsabilité. Il se peut toutefois qu’ils ne disposent pas du pouvoir de négociation nécessaire pour convenir de déclarations, de garanties et d’indemnités adéquates dans leurs contrats, surtout si les biens et les services sont fournis à l’issue d’un processus de demande de propositions (DP) concurrentiel. Dans un tel contexte, quelle est la responsabilité juridique assumée par la personne qui fournit du matériel ou un logiciel qui finit par être utilisé pour mettre en œuvre un procédé breveté?

La Cour fédérale du Canada a récemment confirmé, dans l’affaire dTechs epm Ltd v British Columbia Hydro and Power Authority and Awesense Wireless Inc, 2021 FC 190, qu’une partie qui fournit du matériel à la demande ou un logiciel-service ne peut contrefaire à un brevet de procédé si elle-même ne met pas en œuvre une des étapes de ce procédé et s’il n’existe aucune preuve établissant qu’elle a incité ses clients à contrefaire le procédé breveté. De plus, une entente visant à fournir une technologie qui est utilisée pour contrefaire un brevet de procédé ne suffit pas, à elle seule, pour étayer une allégation selon laquelle un fournisseur a agi de concert avec son client pour contrefaire un brevet de procédé canadien.

Dans l’affaire dTechs, la défenderesse Awesense Wireless Inc. (Awesense) avait conclu avec la British Columbia Hydro and Power Authority (BC Hydro), un service public d’électricité, une série d’ententes visant l’approvisionnement en capteurs d’électricité portables et de l’assistance-logiciel connexe. L’entente la plus importante entre les défenderesses a été conclue à la suite d’un appel d’offres concurrentiel lancé par BC Hydro pour se procurer la technologie nécessaire à son programme sophistiqué de détection des vols d’électricité. Dans le cadre de cette entente, Awesense fournissait des capteurs portables et sans-fils conçus pour être fixés sur des lignes à moyenne tension, ainsi qu’un logiciel d’application basé sur l’infonuagique. Ce dernier a fini par être intégré au système de détection des vols d’électricité de BC Hydro.

La demanderesse dTechs a intenté une poursuite pour contrefaçon de brevet en alléguant que BC Hydro et Awesense ont, individuellement ou conjointement, directement ou indirectement, commis un acte de contrefaçon au brevet canadien no 087, visant un procédé en plusieurs étapes pour détecter une consommation d’électricité anormale.

Après avoir examiné la preuve et les procédés revendiqués, la Cour fédérale a conclu, dans dTechs, à l’invalidité du brevet 087 et à l’absence de contrefaçon de la part de BC Hydro. Elle s’est par la suite penchée sur la responsabilité potentielle d’Awesense en cas de contrefaçon à un brevet. La Cour a souligné qu’Awesense avait uniquement fourni le matériel et le logiciel à BC Hydro et qu’elle ne réalisait pas elle-même les étapes principales des procédés revendiquées dans le brevet 087 (par. 177). Compte tenu de ce qui précède, la fourniture par Awesense de son matériel et de son logiciel à BC Hydro ne pouvait, selon la Cour, constituer une contrefaçon des procédés revendiqués, même dans le cas où Awesense avait su que BC Hydro achetait sa technologie pour contrefaire le brevet 087 (par. 178). De surcroît, même si les employés de BC Hydro pouvaient utiliser le logiciel-service d’Awesense pour effectuer des calculs et des analyses, cela ne signifiait pas pour autant que Awesense réalisait elle-même ces démarches. Awesense n’exerçait aucun contrôle sur la manière dont BC Hydro utilisait son logiciel et aucune preuve n’établit qu’Awesense a, à quelque moment que ce soit, incité BC Hydro à la contrefaçon du brevet.

Par ailleurs, les tribunaux canadiens ne reconnaissent pas la responsabilité pour contrefaçon contributoire d’un brevet (c.-à-d. qu’ils ne tiennent pas un défendeur responsable de la contrefaçon partielle ou de la simple contribution à une contrefaçon.) Pour contourner cette règle, dTechs a allégué que les défenderesses avaient agi de concert pour contrefaire le brevet 087. Selon la thèse de dTechs, les ententes conclues entre Awesense et BC Hydro comportaient une « intention commune » de contrefaire le brevet 087. La Cour a rejeté cette thèse, puisqu’il n’y avait aucune preuve à l’appui d’une contrefaçon par intention commune (par. 179).

Il faut faire preuve de réserve dans l’interprétation des remarques de la Cour dans dTechs puisque le juge de première instance a conclu à l’invalidité du brevet 087 et à l’absence de contrefaçon de la part de BC Hydro. Néanmoins, le Tribunal a confirmé qu’une entente de fourniture de matériel et de logiciel ne suffit pas pour établir la responsabilité conjointe d’un fournisseur en cas de contrefaçon de brevet, même si son client utilise la technologie ainsi fournie pour contrefaire un brevet de procédé. Compte tenu des commentaires de la Cour, il est probable qu’une entente visant à fournir une technologie pouvant être utilisée à des fins multiples ne constitue pas une preuve de l’existence d’un accord d’utilisation de la technologie à des fins illicites (du moins en l’absence d’instructions spécifiques pour la mise en œuvre du procédé breveté). En outre, il semble qu’un contrat de fourniture sans lien de dépendance ne peut pas établir l’intention commune de contrefaire un brevet canadien, à moins que les parties aient, dans les faits, envisagé et convenu d’utiliser la technologie à cette fin.

L’affaire dTechs devrait rassurer les entreprises technologiques qui craignent que leur responsabilité puisse être engagée en fournissant du matériel ou un logiciel, ou en répondant à une DP. Si elles n’exercent pas de contrôle sur l’utilisation de leur technologie et que cette dernière est conçue pour une utilisation qui ne contrevient pas aux droits de propriété intellectuelle, il est peu probable qu’elles encourent une quelconque responsabilité en matière de brevets pour l’utilisation par leurs clients des biens et services fournis.

Osler représentait Awesense en défense contre l’action en contrefaçon de brevet intentée par dTechs.