Auteurs(trice)
Associé, Technologie, Toronto
Associé, Respect de la vie privée et gestion de l’information, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Le projet de loi C-2 (ou Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière) a pour objectif le remaniement des principaux aspects de l’accès des forces de l’ordre canadiennes aux renseignements, plus précisément les circonstances dans lesquelles les organismes d’application de la loi et les agences gouvernementales peuvent à la fois obliger à fournir des renseignements et des données et imposer la confidentialité par voie d’ordonnance. Ces modifications entraîneront des répercussions considérables sur les entreprises qui exercent leurs activités au Canada, ainsi que sur les libertés civiles.
Les mesures relatives à l’accès des forces de l’ordre aux renseignements prévues dans le projet de loi C-2 (présenté en première lecture le 3 juin 2025) créent des « ordres de fournir des renseignements » et des ordonnances qui peuvent être adressées à tout fournisseur de services au public (notamment les sociétés de télécommunications, les banques, les hôtels, les sociétés de location de véhicules, les services de diffusion en continu et autres plateformes en ligne) et, malgré ce que laisse entendre le titre de la Loi, ces pouvoirs peuvent être exercés dans des situations autres que celles liées à la sécurité de la frontière ou aux drogues et autres substances interdites.
Les principales modifications sont les suivantes :
- Ordres de fournir des renseignements sur les clients sans mandat. Les organismes réglementaires chargés de l’application de la loi et plusieurs autres agences gouvernementales (notamment, le Bureau de la concurrence, Santé Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières, etc.) seront autorisés à imposer un ordre de fournir des renseignements (sans mandat ni ordonnance d’un tribunal) afin d’exiger de toute personne qui fournit des services au public qu’elle confirme si elle ou toute autre entité fournit ou a fourni des services à certains abonnés, clients, comptes ou identifiants en particulier. Ces renseignements comprennent, notamment, la date du début de la fourniture des services, l’endroit où ces services ont été fournis et si la personne ou l’entité qui fournit les services a les renseignements en question en sa possession.
- Ordonnances de communication de renseignements relatifs aux abonnés. Les organismes réglementaires chargés de l’application de la loi et les agences gouvernementales seront autorisés à s’adresser aux tribunaux pour obtenir des ordonnances de communication portant sur une vaste gamme de renseignements relatifs à l’abonné, notamment les pseudonymes, les coordonnées, les adresses IP et les renseignements qui identifient les dispositifs, s’ils ont « des motifs raisonnables de soupçonner » qu’une infraction aux lois fédérales a été ou sera commise. En cas d’urgence, la production de renseignements relatifs à l’abonné, de données de transmission ou de données de suivi peut être imposée sans ordonnance d’un tribunal.
- Transmission de données au-delà de la frontière. Le projet de loi favorisera la transmission de données au-delà de la frontière, en permettant aux organismes réglementaires chargés de l’application de la loi au Canada de s’adresser aux tribunaux pour demander à un fournisseur étranger de services de télécommunications de fournir des renseignements relatifs aux abonnés ou des données de transmission en présence de « motifs raisonnables de soupçonner ». Par ailleurs, le projet de loi modifiera la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle dans le but de faciliter l’exécution, au Canada, des demandes de renseignements relatifs aux abonnés ou de données de transmission provenant d’une entité étrangère.
- Accès aux renseignements traités par des fournisseurs de services électroniques. Le projet de loi comprend une nouvelle loi – la Loi sur le soutien en matière d’accès autorisé à de l’information – qui autorisera le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à mettre en place des règlements ou à rendre des ordonnances obligeant les fournisseurs de services électroniques, entre autres, à développer ou installer des dispositifs, ainsi qu’à tester et à entretenir des équipements qui permettront aux organismes réglementaires chargés de l’application de la loi d’accéder aux services du fournisseur et d’en extraire des données.
Pourquoi ces modifications sont-elles importantes?
La Charte canadienne des droits et libertés
Le projet de loi C-2 représente la dernière tentative du gouvernement fédéral de renforcer la capacité des organismes réglementaires chargés de l’application de la loi à obtenir un accès sans mandat aux renseignements relatifs aux abonnés. Les projets de loi précédents étaient controversés, entre autres, en raison des craintes portant sur le respect des libertés civiles, sur d’éventuelles violations de la Charte canadienne des droits et libertés et sur de possibles atteintes aux droits des Canadiens, qui bénéficient d’une protection quasi constitutionnelle en matière de vie privée.
La Cour suprême du Canada a déjà statué qu’il existe des attentes raisonnables de protection de la vie privée en ce qui concerne les renseignements relatifs aux abonnés à Internet, notamment l’adresse IP d’un utilisateur, ce qui déclenche des protections contre les ordres de fournir des renseignements sans mandat en vertu de l’article 8 de la Charte. Même si le projet de loi C-2 ne vise pas l’accès sans mandat à toutes les catégories de renseignements relatifs aux abonnés, il autorise les ordres de fournir des renseignements sans mandat qui permettront aux organismes réglementaires chargés de l’application de la loi d’obtenir des ordonnances de communication couvrant des catégories plus larges de renseignements relatifs aux abonnés en présence uniquement de « motifs raisonnables de soupçonner » que toute infraction aux lois fédérales a été ou sera commise.
Nous nous attendons à ce que cette mesure du projet de loi soit soumise à l’épreuve des tribunaux. Une contestation fondée sur la Charte mettra probablement l’accent sur le fait qu’un ordre de fournir des renseignements sans mandat concernant un abonné peut être donné dans le cadre d’une enquête sur n’importe quelle infraction (pas seulement sur les infractions criminelles les plus graves ou les questions de sécurité nationale) et peut être adressée au fournisseur de n’importe quel service fourni au public (pas seulement aux fournisseurs de services de télécommunication ou d’Internet). Par ailleurs, toute contestation en vertu de la Charte se concentrera probablement sur la façon dont la limite d’accès aux renseignements sans mandat est fixée au niveau le plus bas (c’est-à-dire en présence de motifs raisonnables de soupçonner), plutôt qu’à un niveau offrant une plus grande protection des droits individuels (c’est-à-dire en présence de motifs raisonnables de croire).
Accès indirect aux renseignements
Les fournisseurs de services de télécommunications, de services d’infonuagique et d’autres services électroniques déploient généralement des contrôles d’accès, des mesures de cryptographie et des mesures semblables pour protéger les renseignements concernant un utilisateur contre tout accès non autorisé. La Loi sur le soutien en matière d’accès autorisé à de l’information pourrait être interprétée comme compromettant ces protections et, de façon plus générale, comme conférant aux fournisseurs de services un rôle similaire à celui des organismes réglementaires chargés de l’application de la loi et des agences gouvernementales. Cette situation peut se présenter, par exemple, si le ministre exige des fournisseurs de services qu’ils permettent l’accès indirect ou l’interception de renseignements utilisés dans le cadre de la fourniture de services de messagerie ou d’infonuagique.
Le projet de loi C-2 prévoit une exception pour les « vulnérabilités systémiques », mais il revient aux règlements de préciser la définition de ce terme.
Nouveaux défis pour les entreprises
S’il est adopté, le projet de loi C-2 peut avoir des répercussions sur les activités de toute entreprise qui fournit des services au public, et pas seulement sur les fournisseurs de services de télécommunications ou de services en ligne. De plus, nous nous attendons à ce que les organismes réglementaires chargés de l’application de la loi et les agences gouvernementales rendent des ordres de fournir des renseignements relatifs aux abonnés à titre de techniques d’enquête courantes lorsque l’identité d’un suspect ou d’un témoin potentiel est inconnue. Ces mesures entraîneront probablement une augmentation importante du nombre d’ordonnances de communication en raison de la capacité croissante à identifier des personnes qui pouvaient auparavant préserver leur anonymat. Les limites peu élevées sur le plan juridique pour les ordonnances de communication des renseignements relatifs aux abonnés (c’est-à-dire en présence de motifs raisonnables de soupçonner) devraient également entraîner une augmentation du nombre d’ordonnances qui seront rendues.
De plus, pour répondre à l’augmentation du volume des ordres de fournir des renseignements aux forces de l’ordre, les entreprises devront prendre des mesures pour donner suite à certains ordres en aussi peu que vingt-quatre heures et engager des procédures judiciaires pour contester les ordonnances de communication dans un délai de seulement cinq jours à compter de leur réception.
Il est impossible d’évaluer pleinement l’incidence de la Loi sur le soutien en matière d’accès autorisé à de l’information tant que les règlements n’auront pas été adoptés. Toutefois, il est clair que le projet de loi C-2 peut être utilisé pour obliger les fournisseurs de services électroniques à prendre des mesures potentiellement intrusives et coûteuses pour permettre l’accès et l’extraction de renseignements à partir de leurs plateformes.
Prochaines étapes
Le nouveau gouvernement fédéral s’est fixé comme priorité d’aller de l’avant avec le projet de loi C-2. Nous anticipons toutefois des débats en profondeur au Parlement ainsi qu’un examen minutieux de la part des comités sur les dispositions relatives à l’accès aux renseignements par les forces de l’ordre. Il est trop tôt pour anticiper la disposition du gouvernement à envisager des amendements, mais il ne fait aucun doute que les parties prenantes ne manqueront pas d’étudier attentivement les répercussions de ce projet de loi ainsi que toute éventuelle modification de celui-ci.
Consultez également le bulletin actualités Osler sur les modifications proposées par le projet de loi C-2 en matière de lutte contre le blanchiment d’argent