Perspectives juridiques Osler 2024

S’attaquer au « blanchiment à la neige » : élargir le régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent

5 Déc 2024 12 MIN DE LECTURE

À partir de 2025, les entreprises seront assujetties à diverses obligations – nouvelles ou changeantes – dans le domaine de la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes au Canada. Elles devront se tenir au courant de ces changements et s’assurer que leurs programmes de conformité sont suffisamment robustes pour respecter les exigences en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes et l’évasion de sanctions, ainsi que pour réagir aux changements.

Les entreprises devront aussi continuer à s’adapter aux changements déjà apportés en 2023 et en 2024, alors que le gouvernement fédéral et les organismes connexes déployaient des efforts concertés pour renforcer le régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Ces changements font suite à une attention et à un examen accrus à l’échelle nationale et internationale au cours des dernières années et ont été apportés en prévision de l’évaluation du Groupe d’action financière du Canada, qui doit s’amorcer en décembre 2025.

Compte tenu de l’attention accordée à ces enjeux, d’autres changements sont attendus au cours des prochaines années, à mesure que le gouvernement fédéral mettra en œuvre les mesures énoncées dans la Stratégie du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes 2023-2026 [PDF].

Entrée en vigueur des modifications législatives

Modifications apportées à la LRPCFAT

De nombreuses modifications législatives adoptées en 2023 et en 2024 entreront en vigueur en 2025 ou au cours des années suivantes. Destinées à rehausser la capacité du Canada à lutter contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes et l’évasion des sanctions, ces modifications confèrent plus de pouvoirs aux organismes de réglementation. Certaines de ces modifications obligeront les entreprises à revoir et à réviser leurs programmes, politiques et procédures de conformité.

Dans son budget de 2024 [PDF], le gouvernement fédéral a annoncé diverses modifications législatives à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT) afin de lutter contre le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes et l’évasion des sanctions. Ces modifications font suite notamment à un examen parlementaire de la LRPCFAT réalisé en 2023 et à des consultations publiques [PDF] menées par le ministère des Finances et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) en 2023. Les consultations ont porté sur les risques et les vulnérabilités posés par les nouvelles technologies financières et les menaces mondiales pour la sécurité nationale et économique du Canada.

Certaines des modifications apportées à la LRPCFAT sont déjà en vigueur. Tout d’abord, les services de véhicules blindés ont été ajoutés aux catégories d’entreprises de services monétaires (ESM) nationales et étrangères des entités déclarantes. Ensuite, la liste des entités et des organismes à qui le CANAFE est autorisé à communiquer des renseignements comprend désormais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. L’objectif était de renforcer l’intégrité du processus d’obtention de la citoyenneté au Canada.

Le CANAFE est aussi désormais autorisé à diffuser des renseignements supplémentaires sur les manquements lorsqu’il impose des sanctions administratives pécuniaires. Il peut s’agir d’analyses, de considérations et de faits pertinents qui font partie intégrante d’une décision rendue par le CANAFE. Nous nous attendons donc à voir un raisonnement plus complet de la part du CANAFE à l’avenir, ce qui devrait aider les entreprises qui cherchent à déterminer comment se conformer aux exigences applicables.

Les entreprises devront se tenir au courant de l’évolution de la réglementation et s’assurer que leurs programmes de conformité sont suffisamment robustes pour respecter les exigences en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes et l’évasion de sanctions, ainsi que pour réagir aux changements.

D’autres modifications qu’il est proposé d’apporter à la LRPCFAT viendront élargir les obligations de déclaration aux opérations soupçonnées d’être liées à l’évasion de sanctions. Enfin, d’autres règlements annoncés l’année dernière sont entrés en vigueur. À la liste des entités déclarantes se sont ajoutés les prêteurs hypothécaires, les administrateurs et les courtiers.

Certaines modifications majeures ne sont pas encore en vigueur et pourraient entrer en vigueur en 2025 ou après. Il s’agit notamment de changements souhaitables à la communication de renseignements qui visent à permettre aux entités déclarantes de communiquer les renseignements personnels de particuliers lorsqu’il est raisonnable de le faire pour détecter ou prévenir le recyclage de produits de la criminalité, le financement d’activités terroristes ou l’évasion de sanctions. En outre, le CANAFE et les bureaux provinciaux de confiscation civile seront autorisés à échanger des renseignements pour appuyer les efforts de saisie de biens liés à une activité illégale. Enfin, la liste des entités déclarantes sera étoffée, avec l’ajout des entreprises d’encaissement de chèques dans la définition d’ESM.

Par ailleurs, les modifications créant un nouveau régime administré par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne sont pas encore en vigueur. Elles devraient faciliter, entre autres choses, la déclaration, la perquisition et la saisie de marchandises importées au Canada et exportées à l’extérieur du Canada afin d’établir des liens avec les produits de la criminalité, le blanchiment d’argent, le financement d’activités terroristes et l’évasion de sanctions.

De plus, le champ d’application de la LRPCFAT continue de s’élargir. Le gouvernement fédéral a proposé que le régime couvre toutes les entreprises d’affacturage, les entreprises de crédit-bail et les entreprises de financement, mais il n’a présenté aucune modification législative à ce jour. Toutefois, il a publié des avant-projets de loi et des projets de règlement afin d’inclure dans la liste des entités déclarantes les assureurs de titres et les exploitants de guichets automatiques privés à étiquette blanche.

Parmi les autres propositions réglementaires qui pourraient entrer en vigueur au cours des prochains mois figurent la création d’un nouveau rapport sur les biens sanctionnés, l’imposition d’exigences supplémentaires en matière de vérification du casier judiciaire aux ESM et l’obligation pour les casinos de s’enquérir du bénéficiaire final des déboursés des casinos et de le déclarer.

Étant donné les efforts en cours pour élargir le champ d’application de la LRPCFAT et enrichir les ressources à la disposition des autorités chargées de la surveillance et de l’application des exigences en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, une chose semble certaine : les obligations des entreprises en matière de conformité et de déclaration ne feront qu’augmenter.

Modifications apportées au Code criminel et aux lois fiscales

Des modifications apportées au Code criminel visant à lutter contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes et l’évasion des sanctions sont entrées en vigueur le 18 septembre 2024. Ces modifications fournissent notamment des outils, qui sont nouveaux ou améliorés, en lien avec les enquêtes. Les enquêteurs peuvent maintenant obtenir des ordonnances judiciaires pour obliger les institutions financières à garder des comptes ouverts pour faciliter les enquêtes sur les infractions criminelles présumées. Des ordonnances de communication répétitive peuvent maintenant être rendues pour autoriser les autorités chargées de l’application de la loi à obtenir des renseignements à jour et précis sur l’activité d’un compte lié à une personne d’intérêt dans le cadre d’une enquête criminelle.

De plus, les modifications prévoient de nouvelles circonstances dans lesquelles des mandats spéciaux relatifs aux actifs numériques et des ordonnances de blocage peuvent être délivrés. Elles ajoutent aussi aux types de données financières que les autorités peuvent demander au moyen d’ordonnances de communication en vertu du Code criminel les numéros de compte et les identifiants associés aux actifs numériques.

Par ailleurs, des modifications apportées à la Loi de l’impôt sur le revenu et à la Loi sur la taxe d’accise autorisant les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (ARC) à demander des mandats généraux auprès des tribunaux sont désormais en vigueur.

Ensemble, ces modifications législatives élargissent les pouvoirs des autorités chargées de l’application de la loi et de divers organismes de réglementation et renforcent les efforts que le Canada déploie pour lutter contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes et d’autres crimes financiers.

Transparence en matière de propriété effective

La transparence en matière de propriété effective a continué de retenir l’attention en 2024, après l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur le registre de la propriété effective en janvier 2024. Des experts et des groupes de défense demandaient depuis de nombreuses années l’instauration d’un registre obligatoire de la propriété effective au Canada, estimant qu’il s’agit de l’un des outils les plus puissants dont disposent les gouvernements pour lutter contre le recyclage des produits de la criminalité, l’évasion fiscale et le financement des activités terroristes.

Les sociétés constituées et régies en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont maintenant tenues de déposer des renseignements concernant leur propriété effective auprès de Corporations Canada. Certains des renseignements déclarés sont accessibles au public à partir du registre en ligne gratuit de Corporations Canada.

Le registre est actuellement opérationnel et devrait être complet, pour l’essentiel, au début de 2025. Ces renseignements publics devraient constituer un outil important de collecte et de vérification des renseignements sur la propriété effective. Le registre devrait être utile non seulement aux autorités chargées de l’application de la loi, mais aussi aux entreprises qui doivent se conformer à des obligations en matière de propriété effective et de connaissance du client en vertu de la LRPCFAT.

Au niveau provincial, le Québec a adopté en 2023 une loi sur le registre de la propriété effective, et celui-ci est devenu opérationnel en juillet 2024. Pour sa part, la Colombie-Britannique travaille actuellement à l’élaboration d’une loi sur un registre semblable.

À l’aube de 2025, il reste à voir si d’autres provinces emboîteront le pas, ce qui sera essentiel pour garantir la transparence de la propriété effective et lutter efficacement contre le recyclage des produits de la criminalité à long terme.

Application de la loi renforcée

Au-delà des modifications législatives, le Canada continue d’améliorer sa trousse d’outils d’application de la loi en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Le gouvernement fédéral alloue des sommes de plus en plus importantes aux autorités chargées de l’application de la loi autres que le CANAFE. Grâce au financement accru, il espère que l’augmentation des ressources consacrées à l’application de la loi permettra d’intensifier les efforts dans la lutte contre les crimes financiers.

Dans le budget de 2024, le gouvernement fédéral a attribué 1,7 million de dollars sur deux ans au ministère des Finances pour parachever la conception et le cadre juridique de l’Agence canadienne des crimes financiers (ACCF). Comme nous l’avons écrit dans un article daté du 11 décembre 2023, le gouvernement fédéral a annoncé en 2022 son intention d’établir l’ACCF, qui sera le principal organisme d’application de la loi du Canada contre les crimes financiers. Dans l’état actuel des choses, l’ACCF serait une agence nationale qui aurait pour seul objectif d’enquêter sur des crimes très complexes et d’appliquer la loi fédérale dans ce domaine. De plus, elle regrouperait les ressources existantes d’application de la loi de la GRC, du CANAFE et de l’ARC.

Dans le budget de 2024, le gouvernement fédéral a attribué 29,9 millions de dollars sur cinq ans à l’ASFC pour soutenir la mise en œuvre de ses nouveaux pouvoirs en vertu de la LRPCFAT afin de lutter contre les crimes financiers commis à l’échelle internationale. Ce financement s’explique par l’attention grandissante que porte le gouvernement aux crimes financiers commis par « voies commerciales », qui consistent à convertir des produits de la criminalité en transactions commerciales internationales légitimes. Le gouvernement fédéral a également annoncé son intention de créer une « unité de la transparence commerciale » pour détecter, décourager et perturber la criminalité financière par voies commerciales.

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Dans le but d’assurer le financement à long terme du CANAFE, au début de 2024, le gouvernement a fait passer le financement du programme de conformité du CANAFE des contribuables aux entités déclarantes, sous réserve de la LRPCFAT. Grâce à cette modification, le CANAFE peut recouvrer les coûts de son programme de conformité et des activités connexes auprès des entités qu’il supervise. Parallèlement, le CANAFE a constaté une augmentation des activités d’application de la loi. En 2023-2024, il a dressé 12 procès-verbaux de non-conformité à l’intention d’entreprises, totalisant plus de 26 millions de dollars. Nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive en 2025.

Priorités pour 2025 et les années ultérieures

Au cours des dernières années, le Canada s’est clairement efforcé de plus en plus à faire respecter et appliquer les lois sur la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Cette orientation cadre avec les mesures du gouvernement fédéral énoncées dans la Stratégie du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes 2023-2026 [PDF]. La pierre angulaire de la stratégie est l’engagement à remédier aux lacunes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, notamment les lacunes dans l’échange de renseignements, les faibles niveaux d’enquêtes et de poursuites, ainsi que les lacunes législatives et réglementaires.

Les entreprises doivent s’attendre à des changements continus et graduels dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes au Canada d’ici la fin de la période 2023-2026 de la stratégie. Parallèlement, les entreprises doivent veiller au respect des exigences en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes et l’évasion des sanctions, en s’attachant notamment à comprendre les contreparties avec lesquelles elles effectuent des transactions. Bien que la situation puisse être différente selon qu’il s’agit d’une entité réglementée en vertu de la LRPCFAT ou d’une entreprise non assujettie à ces exigences légales officielles, la lutte contre le blanchiment d’argent demeurera à l’avant-plan des préoccupations du gouvernement et des autorités chargées de l’application de la loi en 2025 et, par conséquent, devrait aussi être une préoccupation majeure de toutes les entreprises.