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La stigmatisation associée aux cryptomonnaies est largement injustifiée

18 Mar 2024 7 MIN DE LECTURE

Les cryptomonnaies sont largement accessibles depuis une quinzaine d’années – si l’on tient compte de l’introduction du bitcoin –, mais le secteur n’en est encore qu’à ses débuts. Ce secteur a connu des difficultés de croissance, ponctuées par plusieurs cycles d’expansion et de repli rapides et par l’effondrement très médiatisé de plusieurs entreprises. Comme nous l’avons déjà indiqué, les organismes de réglementation ont eu de la difficulté à intégrer les cryptomonnaies dans les régimes de réglementation existants, et les tentatives d’imposer une surveillance réglementaire sur les cryptomonnaies se sont parfois heurtées à une forte résistance. Ces facteurs ont collectivement façonné l’opinion du public sur le secteur des cryptomonnaies, contribuant à la formation de certaines perceptions qui ne concordent pas nécessairement avec les réalités plus larges de leur utilisation et de leurs applications.

Parmi ces perceptions, il y a celle selon laquelle les cryptomonnaies sont utilisées de manière disproportionnée dans le cadre d’activités illicites, comme le commerce de drogues illicites et d’autres formes d’activités illégales.

Fait intéressant, le rapport sur la criminalité liée aux cryptomonnaies 2024 de Chainalysis donne à penser que cette perception pourrait être injuste et exagérée. Le rapport indique que le taux d’utilisation des cryptomonnaies dans le cadre d’activités économiques illicites se maintient ou diminue, et qu’il est égal ou inférieur à l’incidence globale des activités illicites à l’échelle mondiale.

Les conclusions du rapport

Chainalysis, une plateforme de recherche et de données sur la chaîne de blocs fournissant des services dans plus de 70 pays, a récemment publié son rapport annuel sur la criminalité liée aux cryptomonnaies. Ce dernier portait sur les dernières tendances en matière de logiciels rançonneurs, d’escroqueries, de piratage et d’autres activités illicites dans le domaine de la chaîne de blocs.

Dans ce rapport, le cabinet spécialisé en recherche a constaté que l’activité illicite sur les marchés mondiaux des cryptomonnaies a chuté, passant d’un montant estimé à 39,6 milliards $ américains en 2022 à 24,2 milliards $ américains l’an dernier. À titre de comparaison, l’American Banker et OODALoop estiment que les flux d’argent illicite en monnaies fiduciaires conventionnelles s’élèveront à plus de 3 000 milliards $ à l’échelle mondiale en 2023. Chainalysis estime que la part de l’ensemble du volume de négociation de cryptomonnaies impliquée dans des activités illicites a diminué, passant de 0,42 % en 2022 à 0,34 % en 2023. Même si les chiffres pour 2023 sont susceptibles d’augmenter légèrement à mesure que d’autres activités illicites sont découvertes et que des particuliers et des entreprises sont condamnés pour des délits connexes, la baisse de la criminalité liée aux cryptomonnaies représente une tendance prometteuse pour les investisseurs et ceux qui s’intéressent à ce domaine.

Selon le rapport, trois tendances clés permettent de définir le paysage actuel de la criminalité liée aux cryptomonnaies :

  1. La fraude et le vol de fonds ont considérablement diminué. Les revenus tirés de la fraude et du piratage liés aux cryptomonnaies ont considérablement diminué en 2023, le total des revenus illicites ayant baissé respectivement de 29,2 % et de 54,3 %. Ces baisses ont largement contribué à la diminution totale des activités illicites liées aux cryptomonnaies en 2023. La forte diminution des vols de fonds est en grande partie attribuable à une baisse des piratages d’applications de finance décentralisée (FiDé), ce qui pourrait signifier que les pratiques de sécurité des protocoles FiDé sont en train de s’améliorer. Le rapport souligne que si la tendance à la fraude est prometteuse, l’hameçonnage d’approbation et les escroqueries sentimentales demeurent de grandes menaces.
  2. L’activité des marchés du logiciel rançonneur et de l’Internet clandestin est en hausse. Contrairement aux tendances générales, les revenus des marchés du logiciel rançonneur et de l’Internet clandestin ont augmenté en 2023. Les paiements liés aux logiciels rançonneurs ont atteint un niveau record en 2023, dépassant le milliard de dollars. Divers facteurs ont contribué à cette hausse, notamment l’augmentation du nombre de personnes impliquées dans ces menaces, l’adaptation aux améliorations apportées par les organisations en matière de cybersécurité et l’augmentation de la « chasse au gros gibier » (c’est-à-dire le fait de cibler les grandes institutions). Parallèlement, les revenus du marché de l’Internet clandestin ont augmenté après une baisse en 2022 résultant de la fermeture d’Hydra, qui était alors le marché le plus dominant au monde. Ces revenus sont toujours en baisse depuis 2021 et aucun autre marché n’a égalé le succès financier d’Hydra.
  3. Les opérations réalisées avec des entités faisant l’objet de sanctions sont à l’origine de la majeure partie des activités illicites. Les entités et territoires faisant l’objet de sanctions ont représenté un volume d’opérations d’une valeur totale de 14,9 milliards $ en 2023, soit 61,5 % de l’ensemble du volume d’opérations illicites mesuré par Chainalysis. Les opérations liées aux sanctions représentent une part plus importante du volume total des opérations illicites d’une année sur l’autre, en partie en raison du nombre d’entités faisant l’objet de sanctions et de la difficulté d’appliquer des sanctions contre des entités situées dans des régions qui ne respectent pas les désignations du Bureau du contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor des États-Unis.

Selon le rapport, le blanchiment d’argent a également diminué en 2023, les adresses illicites envoyant 22,2 milliards $ de cryptomonnaies aux services, une diminution importante par rapport aux 31,5 milliards $ envoyés en 2022. La manipulation du marché, le matériel d’exploitation sexuelle d’enfants et le financement d’activités terroristes ont également fait l’objet de discussions, mais n’ont pas contribué de manière notable aux tendances de 2023.

La stigmatisation liée aux cryptomonnaies n’est pas justifiée

Comme l’indique le rapport, il est difficile de déterminer dans quelle mesure les cryptomonnaies sont utilisées dans le cadre d’opérations illicites. Néanmoins, toujours selon le rapport, la part du volume de négociations de cryptomonnaies impliquées dans des activités illicites s’est maintenue à moins de 0,5 % depuis 2020. Soulignons que cette part est bien inférieure à celle de l’activité illégale en pourcentage du PIB mondial. En 2009, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a estimé que le crime organisé transnational représentait 1,5 % du PIB mondial[1]. Au Canada, on estime que l’activité économique clandestine représente 2,7 % du PIB[2].

En conséquence, il y a des raisons valables d’affirmer que les cryptoactifs ont été indûment et injustement stigmatisés comme étant associés à des activités illégales. Comparativement à la part illicite du PIB mondial et canadien, les cryptomonnaies ne semblent pas être utilisées de manière disproportionnée dans les activités économiques illégales. Les entreprises et les institutions financières doivent demeurer conscientes de la stigmatisation potentielle liée aux cryptoactifs, d’autant plus que les organismes de réglementation continuent de tenter d’imposer une surveillance réglementaire à ce secteur unique et transformateur. Les conclusions du rapport sur la criminalité liée aux cryptomonnaies indiquent que la perception selon laquelle les cryptomonnaies servent principalement à des activités illicites n’est pas justifiée.


[1] Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Estimating Illicit Financial Flows Resulting from Drug Trafficking and Other Transnational Organized Crimes: Research Report (Vienne, Octobre 2011). Disponible sur www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Illicit_financial_flows_2011_web.pdf.

[2] Statistique Canada, L’économie souterraine au Canada (2021). Disponible sur https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230220/dq230220b-fra.htm