Pendant que les efforts hauts en couleur visant à abroger et à remplacer l’Obamacare monopolisaient l’attention à Washington au cours des dernières semaines, il y a eu des développements touchant les règles fiscales américaines qui ont été moins médiatisés, mais qui pourraient avoir de profondes répercussions sur les transactions transfrontalières et que les entreprises et les investisseurs canadiens doivent connaître. Nous vous en donnons un aperçu ci-dessous. Les lecteurs intéressés à en apprendre davantage sur ce sujet devraient communiquer avec un membre de notre groupe de droit fiscal de New York.
Les règlements en vertu de l’article 385 sont-ils menacés?
En avril, le président des États-Unis, Donald Trump, a signé un décret exigeant que le Département du Trésor examine tous les règlements fiscaux américains adoptés depuis le 1er janvier 2016. Le but de cet examen était de cerner, dans les soixante jours qui suivaient, les règlements qui outrepassaient les pouvoirs légaux ou qui imposaient un fardeau financier trop lourd ou une complexité inutile aux contribuables (le rapport intérimaire). Le Département du Trésor s’est également vu demander de publier un rapport final recommandant des mesures précises à prendre (abrogation ou modification) dans les 150 jours suivants (le rapport final).
Le 7 juillet, le Département du Trésor a publié l’Avis 2017-38 (qui sert de rapport intérimaire) établissant que huit règlements sont considérés comme imposant un fardeau trop lourd aux contribuables. Ce qui semble le plus pertinent pour les entreprises canadiennes dans tout cela, ce sont les règlements en vertu de l’article 385. Les lecteurs se rappelleront les bulletins précédents faisant état des règlements en vertu de l’article 385 qui ont de vastes et profondes répercussions sur les ententes de financement transfrontalières et qui, dans bien des cas, peuvent faire en sorte que des titres d’emprunt transfrontaliers entre le Canada et les États-Unis soient reclassés comme des capitaux propres, à des fins fiscales aux États-Unis. Après beaucoup de tapage, ces règlements ont été parachevés en octobre 2016, et de nombreuses entreprises canadiennes sont encore aux prises avec l’incidence de ces règlements sur les opérations de financement et les opérations interentreprises.
L’Avis 2017-38 ne précise pas si le Département du Trésor envisage l’abrogation, l’abrogation partielle ou la modification des règlements en vertu de l’article 385. Une recommandation plus détaillée concernant le sort de ces règlements devrait cependant figurer dans le rapport final, qui est attendu le 18 septembre 2017. Plusieurs ont avancé que la controversée règle des capitaux propres réputés faisant partie de ces règlements devrait être abrogée, mais que la composante des exigences relatives à la documentation pourrait être conservée sous une forme modifiée. L’abrogation de la règle des capitaux propres réputés serait accueillie avec joie par les entreprises canadiennes qui veulent financer leurs activités commerciales aux États-Unis; cela devrait augmenter le flux de capitaux étrangers dans les entreprises aux États-Unis, tout en simplifiant les opérations transfrontalières de restructuration et de financement.
L’Avis 2017-38 faisait également état de sept autres règlements qui, de façon générale, ne seront pas aussi directement pertinents pour la plupart des entreprises canadiennes. Ce sont notamment : (1) les règlements établissant la façon dont les responsabilités des sociétés de personnes seront réparties entre les associés, et l’effet des garanties sur les derniers dollars (ce qui peut avoir une incidence sur les structures de « société ayant recours au mécanisme d’effet de levier »); (2) les règlements en vertu de l’article 987 relativement aux gains et aux pertes en monnaies étrangères enregistrés dans l’exploitation de certaines succursales; et (3) les règlements en vertu de l’article 367(d) relatif au transfert de certains actifs incorporels par des Américains à des sociétés non américaines. Fait à noter, l’avis ne précisait pas que les règlements anti-inversion de 2016 ou 2017 étaient la cible de modifications ou d’abrogation.
L’Avis 2017-38 annonce également que le Département du Trésor veut recueillir des commentaires sur le bien-fondé, ou non, de l’abrogation ou de la modification des règlements visés, et sur la façon d’y procéder. Les commentaires des contribuables doivent être reçus au plus tard le 7 août 2017.
Une décision de la Cour de l’impôt des États-Unis ouvre la voie à de nouvelles possibilités de structuration transfrontalière
Depuis 1991, année où il a édicté le Revenue Ruling 91-32, l’Internal Revenue Service (IRS) fait valoir que les gains reconnus par un non-Américain sur la vente de sa participation dans une société sont imposables aux États-Unis en tant que « revenus directement rattachés », dans la mesure où les produits sont attribuables à l’actif de la société faisant partie d’un commerce ou d’une entreprise aux États-Unis. Les contribuables ont remis en question la validité de ces résultats, mais l’IRS maintient cette position depuis 26 ans. Cependant, le 13 juillet, la Cour de l’impôt des États-Unis a rendu sa décision dans l’affaire [Grecian Magnesite Mining (148 T.C. no 3 (2017)] qui a invalidé cette approche, et les investisseurs non américains devraient évaluer les répercussions éventuelles de cette affaire. Entre-temps, plusieurs s’attendent à ce que l’IRS interjette appel de cette décision ou cherche à obtenir des interventions administratives ou législatives visant à la faire annuler.
Dans l’affaire Grecian, le contribuable (une société grecque, « Grecian ») était membre d’une société par actions à responsabilité limitée du Delaware, classée comme société de personnes aux fins de l’impôt fédéral des États-Unis (la société de personnes). Cette société de personnes exerçait des activités minières aux États-Unis. Par conséquent, le revenu réalisé par la société de personnes était un « revenu directement rattaché » (ECI) aux fins de l’impôt aux États-Unis, et Grecian était assujettie à l’impôt fédéral aux États-Unis (et devait donc produire une déclaration de revenus) relativement à sa part attribuable de ce revenu. En 2008, la participation de Grecian dans la société lui a été rachetée en échange de deux distributions en espèces, et Grecian a reconnu avoir enregistré un gain sur ce rachat (c.-à-d. que les fonds reçus étaient supérieurs à l’assiette d’imposition de Grecian à l’égard de sa participation dans la société ayant fait l’objet du rachat). Aux termes des règles fiscales américaines pertinentes, les distributions en espèces ont été traitées comme les produits de la vente de la participation rachetée de Grecian dans la société. Grecian a concédé qu’une partie du gain enregistré sur le rachat était assujetti à l’impôt, aux termes de l’article 897(g) de l’Internal Revenue Code des États-Unis et des règles relatives à la Foreign Investment in Real Property Tax Act (FIRPTA) (c.-à-d. dans la mesure où les actifs sous-jacents de la société étaient des actifs immobiliers américains). L’IRS a toutefois fait valoir que la partie restante du gain enregistré par Grecian était également assujettie à l’impôt en tant qu’ECI, conformément aux principes de la règle révisée 91-32.
Dans une décision techniquement rigoureuse, la Cour de l’impôt a conclu que la règle révisée 91-32 n’avait pas de « pouvoir de persuasion » et qu’il n’était pas approprié de traiter la vente de la participation dans une société comme s’il s’agissait de la vente d’une partie des actifs sous-jacents de la société (sauf dans les cas d’actifs immobiliers américains, car les règles de la FIRPTA prévoyaient expressément cette approche de transparence). Par conséquent, la Cour de l’impôt a statué que Grecian était traitée comme disposant d’un actif immobilisé (c.-à-d. sa participation) et qu’elle n’était donc pas assujettie à l’impôt américain aux termes des règles de l’ECI, sur la partie contestée du gain reconnu. Nous soulignons, et toutes les parties l’ont reconnu, que Grecian était assujettie à l’impôt aux termes des règles de la FIRPTA pour la partie des gains attribuables aux actifs immobiliers américains de la société.
Cette décision constitue une remontrance importance à l’égard de la position de l’IRS au cours des 26 dernières années, et ouvre la voie à de nouvelles considérations en matière de structuration pour les entreprises canadiennes qui investissent dans des investissements d’exploitation aux États-Unis. De nombreux investisseurs canadiens qui structurent leurs investissements dans des entreprises exploitées aux États-Unis établies comme des entités intermédiaires décident de « bloquer » ces investissements en les faisant détenir par une société bloquante (une blocker corporation). En interposant une société entre l’investisseur et l’investissement générateur d’ECI (habituellement une entité exploitante établie en société de personnes aux États-Unis, ou en SARL), les investisseurs canadiens peuvent éviter d’avoir à produire une déclaration de revenus aux États-Unis et à déclarer la partie attribuable de l’ECI de cet investissement. Dans bien des cas, les investisseurs qui adoptent cette stratégie de blocage décident d’utiliser une société américaine comme société « bloquante » afin de tirer pleinement parti de l’effet de levier de cette société en matière de créances et d’éviter l’impôt sur les bénéfices des succursales aux États-Unis (qui s’appliquerait autrement si l’entreprise bloquante n’était pas américaine).
Il est encore trop tôt pour dire si l’affaire Grecian changera la donne pour les investisseurs canadiens, et cette jurisprudence sera peut-être de courte durée si l’IRS conteste cette décision, d’une façon ou d’une autre. Pour le moment, nous ne prévoyons pas que l’affaire Grecian ait une quelconque influence sur la décision initiale des investisseurs canadiens de « bloquer » leur exposition à des investissements d’ECI. Plus particulièrement, nous nous attendons à ce que ces investisseurs continuent de vouloir éviter l’obligation de produire la déclaration de revenus aux États-Unis qui accompagne les revenus ECI et, dans bien des cas, les investisseurs gouvernementaux voudront malgré tout éviter de s’exposer à des activités commerciales aux fins de l’article 892 du Code. Nous nous attendons cependant à ce que cette affaire incite les investisseurs canadiens à reconsidérer l’utilisation d’entités bloquantes non américaines, en raison du fait que Grecian permettrait à celles-ci de se retirer en vendant leur participation, sans que l’impôt sur l’ECI soit applicable à ce gain (par contre, une telle sortie par une entité bloquante américaine serait entièrement imposable pour cette entité). Il y a, bien sûr, du pour et du contre à prendre en considération, lorsqu’on fait cette évaluation, mais aux fins présentes, il suffit de noter que cette affaire peut élargir l’éventail des choix de structuration possibles (du moins, pour le moment). Moyennant les circonstances appropriées, cette modification pourrait avoir des effets importants sur les rendements après impôt des investissements transfrontaliers dans des entités intermédiaires américaines.
Nous allons continuer de suivre ce secteur, y compris toute réaction de l’IRS ou modification législative, et nous en ferons part à nos lecteurs, le cas échéant.