Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Calgary
Associée, Services financiers, Toronto
Stagiaire en droit, Calgary
Key Takeaways
- Le gouvernement fédéral propose l’adoption de la Loi sur les cryptomonnaies stables afin d’établir un cadre national pour les cryptomonnaies stables arrimées à la valeur d’une monnaie fiduciaire qui relèverait du pouvoir de supervision de la Banque du Canada.
- Cette Loi définit les exigences applicables aux émetteurs en matière de réserves et de gouvernance, tout en excluant les cryptomonnaies stables en circuit fermé et certaines institutions financières.
- Une modification importante de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail permettra d’inclure les activités associées aux instruments de paiement cryptés ou convertis en cyberjetons.
Conformément aux engagements qu’il a pris pour soutenir l’innovation dans le secteur financier, le gouvernement fédéral a déposé, avec la Loi no 1 d’exécution du budget de 2025, un projet de loi visant à établir le premier cadre réglementaire national pour les cryptomonnaies stables arrimées à la valeur d’une monnaie fiduciaire. Le projet visant notamment la Loi sur les cryptomonnaies stables vise à créer un régime prudentiel supervisé par la Banque du Canada pour les cryptomonnaies stables autorisées, imposant des exigences sur les réserves, les droits de rachat, la gouvernance, la conservation et la surveillance de la sécurité nationale. Les règlements n’ont pas encore été publiés, et il reste beaucoup de détails à confirmer, comme les définitions prescrites et les normes techniques.
Parallèlement, le gouvernement a proposé une modification importante à la Loi sur les activités associées aux paiements de détail (LAAPD) afin d’inclure certaines activités entourant les instruments de paiement cryptés ou convertis en jetons.
Ci-dessous figure un aperçu des principales caractéristiques du projet de loi et de ses incidences pour les émetteurs exerçant leurs activités au Canada. Il est notamment question de l’exclusion importante, mais restrictive, de la loi sur les valeurs mobilières, de la pertinence que la réglementation provinciale sur les valeurs mobilières conservera à l’égard des cryptomonnaies stables adossées à une devise, ainsi que de la modification apportée à la LAAPD.
Projet de loi sur les cryptomonnaies stables
Portée
Le projet de loi s’applique aux personnes qui émettent une seule cryptomonnaie stable arrimée à la valeur d’une monnaie fiduciaire pouvant servir à des opérations interprovinciales et internationales, et qui la mettent directement ou indirectement à la disposition d’utilisateurs situés au Canada. La Loi prévoit plusieurs exclusions :
• La Loi ne s’applique pas aux cryptomonnaies stables en circuit fermé. Les systèmes en circuit fermé seront définis par règlement, mais cette définition devrait couvrir les jetons réservés à une seule plateforme ou à un seul commerçant.
• Les institutions financières fédérales (IFF) sont exclues du champ d’application de la Loi, sous réserve des règlements, ce qui signifie que, dans la mesure où les IFF souhaitent émettre des cryptomonnaies stables, elles devront le faire dans leur cadre réglementaire existant. Par contre, les IFF seraient autorisées à investir dans une entité régie par la Loi. La Loi prévoit certaines exceptions importantes aux contraintes d’investissement imposées aux IFF, à savoir que l’émission de cryptomonnaies stables conforme à la Loi ne constitue pas une opération sur titres ou une acceptation de dépôts au sens des statuts des IFF.
- La Loi ne s’applique pas non plus à d’autres types d’institutions financières, comme les sociétés de fiducie, les sociétés de prêt et les sociétés d’assurance constituées sous un régime provincial, les coopératives de crédit et les courtiers en valeurs mobilières, ainsi qu’aux institutions financières étrangères.
- La Loi ne s’applique pas aux monnaies numériques des banques centrales, ou « MNBC ».
Processus de demande
Pour être inscrit sur un registre public tenu par la Banque du Canada, tout émetteur doit présenter une demande. Il n’est pas possible d’exercer des activités sans être inscrit. Une demande doit contenir, entre autres, les renseignements suivants :
- les renseignements concernant la propriété du demandeur;
- une description de la structure organisationnelle du demandeur;
- une description des systèmes technologiques utilisés ou qui le seront en lien avec une cryptomonnaie stable que le demandeur prévoit d’émettre;
- la politique de rachat du demandeur;
- une description des mesures prises par le demandeur ou celles qu’il compte mettre en œuvre pour se conformer à ses obligations de réserve prévues par la Loi, accompagnée d’un avis juridique attestant que ces mesures lui permettront de remplir ses obligations;
- un état financier du demandeur préparé par un comptable certifié;
- les politiques de gouvernance, de gestion des risques, de protection des données, et de rétablissement et de règlement du demandeur;
- des renseignements concernant toute mesure d’exécution relative à la lutte contre le recyclage de produits de la criminalité ou le financement d’activités terroristes, aux services financiers, aux valeurs mobilières et aux instruments dérivés, aux pratiques commerciales ou à la protection du consommateur.
À l’instar du régime de la LAAPD, la Loi prévoit la possibilité d’un examen lié à la sécurité nationale demandé par le ministre des Finances si celui-ci l’estime nécessaire pour des raisons liées à la sécurité nationale. Le ministre peut interdire à un émetteur de mettre en circulation une cryptomonnaie stable pour des raisons de sécurité nationale ou dans l’intérêt public.
Exigences en matière de réserve et de dépôt
L’un des principaux aspects de la Loi est le maintien d’une réserve d’actifs destinée à garantir la valeur des cryptomonnaies stables en circulation.
Les principales exigences sont les suivantes :
• la réserve d’actifs doit être d’une valeur égale ou supérieure à la valeur nominale de toutes les cryptomonnaies stables en circulation;
• les réserves ne peuvent servir à aucune autre utilisation que le rachat des cryptomonnaies stables en circulation, sous réserve des règlements;
• les réserves doivent être composées exclusivement de la monnaie de référence ou d’autres actifs liquides de grande qualité (non définis dans la Loi, mais pouvant être définis dans les règlements ou autorisés par la Banque du Canada);
• les actifs de la réserve ne peuvent être grevés et doivent être placés auprès d’un dépositaire autorisé (une institution financière canadienne ou une autre entité prévue par les règlements);
• la détention des actifs de la réserve doit être structurée de manière à les protéger de procédures de faillite, par exemple au moyen d’une fiducie ou d’un mécanisme similaire.
Autres obligations essentielles
La Loi énonce de nombreuses autres obligations et restrictions, comme celles décrites ci-après.
- Pratiques commerciales : La Loi comporte certaines dispositions sur la publicité trompeuse, notamment les déclarations qui suggèrent qu’une cryptomonnaie stable a cours légal, qu’elle constitue un dépôt ou qu’elle est assurée au titre d’un régime public d’assurance-dépôts.
- Interdiction relative au rendement : Il est interdit aux émetteurs de proposer ou de fournir toute forme d’intérêt ou de rendement sur une cryptomonnaie stable, du fait que le régime vise la fonctionnalité de paiement et non le revenu d’investissement. Les cryptomonnaies stables porteuses de rendement peuvent être des titres ou des instruments dérivés, et elles seront probablement réglementées par des lois canadiennes sur les valeurs mobilières.
- Obligations de rachat : Comme indiqué ci-dessus, les émetteurs doivent établir et rendre accessible au public une politique de rachat qui décrit les conditions, les modalités et les délais applicables au rachat, les frais applicables et les tiers impliqués dans le processus. Il faut que les détenteurs puissent échanger leurs cryptomonnaies stables à leur valeur nominale, et que les émetteurs assurent par des procédures efficaces le rachat en temps voulu.
Gouvernance, gestion des risques et protection des données
- Les émetteurs doivent tenir à jour un cadre complet de gestion des risques intégrant la résilience opérationnelle, la cybersécurité, la continuité des activités, la surveillance par une tierce partie et les dispositifs de contrôle permettant d’atténuer les risques de recyclage de produits de la criminalité et de financement d’activités terroristes.
- Ils doivent aussi prévoir un programme distinct de protection des données, portant spécifiquement sur la protection des renseignements personnels et les mécanismes de cybersécurité.
Rétablissement et règlement : Les émetteurs doivent maintenir une politique de règlement ou de réduction progressive des activités qui garantisse le rachat ordonné des cryptomonnaies stables en circulation et protège les droits de leurs détenteurs de ces cryptomonnaies stables sur la réserve d’actifs.
Rapports du vérificateur et rapports de conformité
Les émetteurs sont tenus de déposer régulièrement des rapports comprenant les éléments suivants :
• un rapport préparé par un comptable certifié comprenant un état financier de l’émetteur, le nombre de cryptomonnaies stables en circulation, la composition de la réserve d’actifs et la juste valeur marchande des actifs la composant;
• une déclaration d’un avocat attestant de la conformité de l’interdiction de grever la réserve d’actifs et des exigences relatives au dépôt autorisé et aux dépositaires autorisés hors d’atteinte en cas de faillite.
Ces rapports obligatoires sont des piliers opérationnels importants du régime prudentiel instauré par la Loi.
Pouvoirs de surveillance et d’application de la loi
La Loi confère à la Banque du Canada des pouvoirs étendus en matière de surveillance et d’application de la loi. Ces pouvoirs sont très proches de ceux que lui confère la LAAPD. Ils lui permettent notamment de contraindre le demandeur ou l’émetteur à prendre des engagements ou à respecter certaines conditions, d’imposer des sanctions administratives pécuniaires, de rendre public tout manquement, de conclure des accords de conformité et, lorsque la sécurité nationale ou l’intérêt public l’exigent, de restreindre ou d’interdire l’émission.
Exclusion restrictive de la loi sur les valeurs mobilières et application continue des lois provinciales sur les valeurs mobilières
Comme il est indiqué ci-dessus, la Loi stipule clairement que l’émission d’une cryptomonnaie stable conforme n’est pas considérée comme une opération sur titres au sens de certaines dispositions de la Loi sur les banques, de la Loi sur les sociétés d’assurances et de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt. Ces lois régissant les IFF prévoient des interdictions qui limitent les cas où les IFF peuvent effectuer des opérations sur titres sans recourir à une filiale spécialisée.
Cette exclusion est restrictive, elle vise uniquement à garantir qu’une IFF puisse investir dans un émetteur assujetti à la Loi et qui ne se livre pas à des activités interdites par les lois régissant les IFF. Elle ne permet pas de faire ce qui suit :
• exempter une cryptomonnaie stable d’une législation provinciale sur les valeurs mobilières ou les instruments dérivés;
• modifier le contrat d’investissement des organismes de réglementation provinciaux ou leurs analyses du critère d’inscription en fonction de l’exercice de l’activité;
• créer un cadre commercial ou un marché pour les cryptomonnaies stables.
En termes pratiques, ces dispositions signifient que le projet de loi ne remplace pas les lois canadiennes sur les valeurs mobilières. Ces dernières peuvent régir la distribution et la négociation secondaire de cryptomonnaies stables qui correspondent à leur définition de valeur mobilière ou d’instrument dérivé. La question de savoir si les lois sur les valeurs mobilières peuvent s’appliquer à une cryptomonnaie stable ou aux activités connexes d’émission et de négociation dépend des caractéristiques du jeton et de son mode de distribution ou de négociation.
En outre, les lois canadiennes sur les valeurs mobilières devraient continuer de s’appliquer aux éléments suivants :
• les cryptomonnaies stables porteuses de rendement ou faisant partie d’un panier composé de différents actifs ou devises;
• la distribution ou la sollicitation de cryptomonnaies stables par des moyens qui répondent au critère d’inscription en fonction de l’exercice de l’activité;
• les plateformes qui facilitent la négociation secondaire de cryptomonnaies stables porteuses de rendement ou autres qui peuvent être des valeurs mobilières ou des instruments dérivés;
• les services de dépôt, de marché ou d’intermédiaire qui entrent dans le champ d’application des indications du personnel des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), en particulier les Avis 21-332 et 21-333 du personnel des ACVM.
Similitudes entre la Loi et les indications antérieures du personnel des ACVM
Il est intéressant de constater que la Loi semble s’inspirer largement des directives antérieures du personnel de l’organisme canadien de réglementation des valeurs mobilières. L’Avis 21-333 du personnel des ACVM, Plateformes de négociation de cryptoactifs : conditions applicables à la négociation de cryptoactifs arrimés à une valeur avec des clients (l’Avis 21-333), imposait aux émetteurs de cryptomonnaies stables qui souhaitent être autorisés à exercer leurs activités sur les plateformes canadiennes de négociation de cryptoactifs de s’engager à respecter un cadre rigoureusement défini pour les « cryptoactifs arrimés à une valeur ». Ce cadre prévoit entre autres une couverture intégrale en monnaie fiduciaire, des actifs de réserve liquides et de grande qualité, la séparation et la conservation des réserves, des droits de rachat au pair clairs et exécutoires, ainsi qu’une transparence publique solide grâce à des attestations régulières et des états financiers conformes aux normes d’audit. Ces mêmes piliers figurent désormais dans les obligations fondamentales des émetteurs, en particulier les règles sur la composition et la conservation des réserves (y compris le concept de couverture 1:1), le régime de rachat obligatoire, l’obligation de fournir régulièrement des états financiers dressés par un comptable certifié et une attestation de conformité juridique. En d’autres termes, ce qui était à l’origine des conditions d’accès au marché imposées par les autorités en valeurs mobilières a été repris presque intégralement dans le nouveau régime de l’émetteur assujetti au contrôle de la Banque du Canada.
Loi sur les activités associées aux paiements de détail
Le projet de loi budgétaire apporte également une modification mineure, mais significative, à la LAAPD. À l’heure actuelle, les fournisseurs de services de paiement (FSP) sont assujettis à la LAAPD s’ils exercent l’une des cinq fonctions de paiement désignées. Le projet de loi budgétaire propose une sixième fonction de paiement, à savoir « la transmission ou la tenue d’un instrument de paiement chiffré ou converti en jeton d’un utilisateur final, ou d’une clé privée d’un utilisateur final, qu’elle soit ou non chiffrée ou convertie en jeton ». Si le projet de loi budgétaire est adopté, nous estimons que la Banque du Canada devra mettre à jour son document d’orientation intitulé Critères d’enregistrement des fournisseurs de services de paiement et fournir une description plus complète de la portée de cette nouvelle fonction de paiement. Nous nous attendons toutefois à ce que le terme « tenue » soit interprété de manière large et puisse inclure les activités de garde, la conservation de l’instrument ou de la clé, le fonctionnement continu ou la maintenance technique du système qui enregistre les transactions, ainsi que la gestion des autorisations d’accès.
Même si le budget fédéral qui précédait le projet de loi budgétaire évoquait des modifications à la LAAPD afin de permettre la réglementation des FSP qui exercent des fonctions de paiement au moyen de cryptomonnaies stables prescrites, la référence à un « instrument de paiement crypté ou converti en jeton » est neutre sur le plan technologique et peut couvrir toute représentation numérique d’un justificatif de paiement, et pas seulement les cryptomonnaies stables utilisées comme moyen de paiement. Mais compte tenu de la déclaration figurant dans le budget fédéral, nous nous attendons à la publication de règlements prescrivant le recours à certaines cryptomonnaies stables aux fins de la LAAPD.
Prochaines étapes
Pour les émetteurs de cryptomonnaies stables qui se sont efforcés de suivre les directives du personnel des ACVM contenues dans l’Avis 21-333, en traitant leurs cryptomonnaies stables comme des valeurs mobilières ou des instruments dérivés et en se conformant aux exigences de la dispense de prospectus et d’inscription, la transition du régime provincial des valeurs mobilières vers le nouveau régime fédéral demeure pleine d’incertitudes. Étant donné que sur le plan constitutionnel, la surveillance des valeurs mobilières relève de la compétence des provinces et que la Loi sur les cryptomonnaies stables est une loi fédérale, il n’est pas facile de déterminer comment les émetteurs qui qualifiaient auparavant leurs cryptomonnaies stables de valeurs mobilières pourront continuer à émettre les mêmes instruments uniquement en vertu de la Loi. Nous nous attendons à ce que le personnel des ACVM publie des directives sur cette transition et, en particulier, qu’il envisage une dispense de prospectus et d’inscription conçue sur mesure pour les émetteurs de cryptomonnaies stables qui seront autorisés à exercer leurs activités en vertu de la Loi sur les cryptomonnaies stables conformément à ses exigences.
Nous pensons que le projet de loi budgétaire devrait être adopté, et qu’aucune modification importante ne devrait être apportée à la Loi ni à la proposition de modification de la LAAPD. En ce qui concerne la LAAPD, nous estimons que la date d’entrée en vigueur de cette modification offrira une période de transition aux FSP qui ne sont pas encore assujettis au régime, afin qu’ils puissent s’inscrire auprès de la Banque du Canada et mettre à jour leurs systèmes de conformité en conséquence.
Il restera pour le gouvernement à adopter des règlements pour donner pleinement effet à la Loi, et de même que pour la LAAPD, afin de confirmer la portée de son application aux fonctions de paiement utilisant des cryptomonnaies stables. Nous nous attendons aussi à la publication par la Banque du Canada de directives sur la Loi et sur les modifications apportées à la LAAPD.
Nous suivrons de près l’actualité concernant l’émission et l’utilisation des cryptomonnaies stables.