Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Calgary
Sociétaire, Litiges, Toronto
Étudiant d’été, Calgary
Le 17 juin, le Sénat américain a franchi une étape historique pour le secteur des actifs numériques en approuvant la loi intitulée Guiding and Establishing National Innovation in U.S. Stablecoins (GENIUS) Act (la loi GENIUS). Adoptée par 68 voix contre 30, la loi GENIUS établit le premier cadre réglementaire fédéral complet pour les jetons stables aux États-Unis. Bien que le projet de loi doive encore passer devant la Chambre des représentants et être signé par le président Donald Trump, son adoption marque un changement important dans le paysage réglementaire des monnaies numériques aux États-Unis.
La loi GENIUS est conçue pour apporter clarté, légitimité et encadrement au secteur des jetons stables, un segment du marché des cryptomonnaies qui a souvent été regroupé avec des actifs plus volatils comme le bitcoin. En établissant des normes claires pour l’émission et la gestion des jetons stables, la loi GENIUS vise à réduire l’incertitude réglementaire et à encourager l’adoption de ces outils de paiement numérique par les banques et les entreprises de technologie financière.
Principales dispositions de la loi GENIUS
La loi GENIUS établit pour les émetteurs de jetons stables un cadre réglementaire robuste prévoyant les exigences fondamentales suivantes :
- Autorisation et encadrement : Seules les entités expressément autorisées, soit en tant que filiales d’institutions de dépôt assurées, en tant qu’émetteurs non bancaires admissibles de régime fédéral ou en tant qu’émetteurs admissibles de régime étatique, peuvent émettre des jetons stables de paiement aux États-Unis. La loi GENIUS prévoit une procédure détaillée pour l’obtention des autorisations nécessaires, les autorités de réglementation fédérales et étatiques se partageant les responsabilités d’encadrement en fonction de la structure et de la taille de l’émetteur.
- Exigences en matière de réserves : Les émetteurs doivent maintenir des réserves garantissant tous les jetons stables en circulation sur une base d’au moins 1:1. Les actifs de réserve autorisés comprennent la monnaie et les pièces de monnaie américaines, les dépôts à vue auprès d’institutions assurées, les titres du Trésor américain à court terme et certains fonds du marché monétaire. La loi GENIUS interdit strictement la mise en gage ou la réutilisation de ces réserves, sauf dans des circonstances limitées pour répondre aux demandes de rachat.
- Transparence et information : Les émetteurs sont tenus de publier leurs politiques de rachat et d’établir une procédure pour le rachat rapide des jetons stables. Chaque mois, les émetteurs doivent publier sur leur site Web la composition de leurs réserves, y compris le nombre total de jetons stables en circulation et la répartition des actifs de réserve, composition qui doit être attestée par le chef de la direction et le chef des finances de l’émetteur et vérifiée par un cabinet d’experts-comptables. L’émetteur qui présente en toute connaissance de cause de fausses attestations est passible de sanctions pénales.
- Supervision continue : La loi GENIUS habilite les autorités de réglementation fédérales et étatiques à édicter des règles, à procéder à des examens et à faire respecter la loi. Pour les émetteurs dont la capitalisation boursière est inférieure à 10 milliards de dollars, la loi GENIUS prévoit qu’un régime réglementaire relevant de l’État peut s’appliquer, à condition qu’il soit similaire, quant au fond, au cadre fédéral. Lorsqu’un émetteur dépasse ce seuil, il doit passer sous contrôle fédéral.
- Protection des clients : La loi GENIUS introduit de solides mesures de protection pour les clients, y compris des exigences en matière de séparation des actifs des clients, des restrictions quant au mélange des actifs et des procédures de sauvegarde des fonds des clients en cas d’insolvabilité. Dans le cadre des procédures de faillite, les créances des porteurs de jetons stables sont prioritaires sur celles des autres créanciers.
- Étendue des activités : De manière générale, les activités des émetteurs de jetons stables autorisés sont limitées à l’émission et au remboursement de jetons stables, à la gestion des réserves correspondantes et à la fourniture de services de garde. Toute autre activité additionnelle requiert l’approbation explicite de l’autorité de réglementation.
- Clarification du statut juridique : Il est à noter que la loi GENIUS modifierait les lois américaines sur les valeurs mobilières afin de préciser que les jetons stables de paiement émis conformément à la Loi ne sont pas considérés comme des valeurs mobilières ou des marchandises, ce qui réduit l’ambiguïté juridique pour les émetteurs et les utilisateurs.
La position canadienne
Alors que les États-Unis s’acheminent vers un cadre réglementaire sur mesure pour les jetons stables, le Canada a adopté une position sensiblement différente. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont maintenu que les jetons stables, ou les « cryptoactifs arrimés à une valeur », peuvent constituer des titres ou des dérivés en vertu des lois canadiennes.
En octobre 2023, les ACVM ont publié l’Avis 21-333 du personnel des ACVM, Plateformes de négociation de cryptoactifs : conditions applicables à la négociation de cryptoactifs arrimés à une valeur avec des clients, qui établit des lignes directrices pour les plateformes de négociation de cryptoactifs et les émetteurs de jetons stables, exige que tout nouvel émetteur de jetons stables souhaitant faire affaire au Canada dépose un prospectus et adhère à un régime d’information, qui prévoit notamment des exigences détaillées en matière de réserves, de droits de rachat et d’information continue.
Bien que les ACVM aient retardé à deux reprises la mise en œuvre de ce régime en réponse aux préoccupations du secteur selon lesquelles l’approche du Canada pourrait être en décalage avec ce qui se passe ailleurs dans le monde, le régime est entré en vigueur l’année dernière et la date limite pour s’y conformer était le 31 décembre 2024.
Le 3 décembre 2024, Circle Internet Financial, LLC, émetteur de la cryptomonnaie stable USDC et l’un des plus importants jetons stables adossés au dollar américain au monde en termes de capitalisation boursière, a été le premier à souscrire un engagement auprès des ACVM. Circle a notamment déclaré en préambule qu’elle ne considérait pas l’USDC comme un titre ou un dérivé aux États-Unis, dans l’Union européenne ou dans d’autres pays, mais plutôt comme une monnaie virtuelle, une monnaie électronique, un instrument de paiement ou une marchandise.
Perspectives d’avenir
L’adoption de la loi GENIUS par le Sénat américain, moment important pour la réglementation des jetons stables, offre un cadre clair pour les émetteurs, les institutions financières et les utilisateurs. En revanche, l’avenir de la réglementation des jetons stables reste incertain au Canada. Alors que le cadre américain est en voie d’être approuvé par la Chambre des représentants, il reste à voir si les autorités de réglementation canadiennes ajusteront leur position ou si elles continueront à tracer leur propre voie. Pour les acteurs du marché des deux côtés de la frontière, les mois à venir seront déterminants dans la définition de la prochaine phase d’innovation et d’adoption des jetons stables.