Le gouvernement du Canada publie de multiples modifications aux lois visant à lutter contre le blanchiment d’argent

15 Juin 2018 16 MIN DE LECTURE

Le ministère des Finances du Canada a publié un projet de multiples modifications à des règlements pris en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (2018) (LRPCFAT) qui toucheront des entités financières et non financières donnant accès au système financier du Canada, y compris les courtiers en monnaie virtuelle et les entreprises de services monétaires étrangères. Les modifications proposées sont assujetties à une période d’examen de 90 jours. La version finale des modifications devrait être publiée à l’automne 2018 et elles devraient être mises en œuvre 12 mois plus tard, soit à l’automne 2019.

Les modifications proposées ont pour but d’harmoniser le régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (régime de LRPC/FAT) aux normes internationales établies par le Groupe d’action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental dont le Canada est un membre fondateur. Cet organisme assure la promotion de l’application de mesures en matière de lutte contre les menaces à l’intégrité du système financier international. Le GAFI a relevé plusieurs lacunes dans sa dernière évaluation du Canada effectuée en 2015, que corrigent les modifications proposées dans les domaines suivants :

  • les exigences du devoir de vigilance à l’égard de la clientèle sont modernisées et, à certains égards, élargies;
  • les personnes et les entités qui font le commerce de la monnaie virtuelle sont réglementées en tant qu’entreprises de services monétaires (ESM);
  • les entreprises étrangères de services monétaires sont assujetties au régime canadien de LRPC/FAT dans la mesure où leurs activités s’adressent aux clients canadiens;
  • le délai pour déposer des déclarations des opérations douteuses (DOD) est raccourci à trois (3) jours après la prise de mesures pour établir des motifs raisonnables de soupçon; comparativement à l’ancien délai de trente (30) jours après avoir détecté un fait douteux;
  • les cartes de crédit prépayées et les produits de paiement à utilisation libre similaires sont traités comme des comptes bancaires;
  • avant le lancement de nouvelles technologies, les entités déclarantes devraient évaluer les risques potentiels en matière de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes que posent ces technologies sur leurs produits et leurs moyens de distribution;
  • certaines exigences actuelles sont clarifiées et des modifications techniques sont apportées.

Devoir de vigilance à l’égard de la clientèle

Les modifications proposées procurent aux entités déclarantes de la souplesse lorsqu’elles effectuent un devoir de vigilance à l’égard de la clientèle :

  • Se fier à des tierces parties et à des sociétés étrangères affiliées. Les entités déclarantes peuvent se fier à la vérification de l’identité effectuée par : (i) une tierce partie qui est également une entité déclarante en vertu de la LRPCFAT; ou à (ii) une société étrangère affiliée, ce qui devrait faire diminuer les dédoublements et améliorer l’efficacité des entités déclarantes. Lorsqu’une entité déclarante se fie à une tierce partie ou à une entreprise étrangère qui est membre du même groupe, cette entité doit obtenir immédiatement les renseignements relatifs à la vérification de l’identité et être convaincue qu’ils sont valides et à jour. Elle doit également avoir conclu une entente écrite avec la tierce partie stipulant que tous les renseignements pertinents en la possession ou sous le contrôle de la tierce partie concernant le client identifié peuvent être obtenus dans les trois jours suivant une demande présentée par l’entité déclarante. De plus, lorsque l’entité déclarante se fie à une société étrangère affiliée, elle doit évaluer le niveau de risque du régime de LRPC/FAT associé au territoire de la société étrangère affiliée, et de la conformité de cette société au régime.
  • Documents numérisés et photocopiés. L’exigence actuelle à l’égard des documents de vérification de l’identité d’être « originaux, valides et à jour » est remplacée par une exigence prévoyant que le document doit être « authentique, valide et à jour », ce qui donne aux entités déclarantes la souplesse de se fier à des documents numérisés ou photocopiés lorsque leur authenticité peut être vérifiée.
  • Exemption pour des clients à faible risque. Une exemption de certaines exigences du devoir de vigilance à l’égard de la clientèle est prévue pour certains clients à faible risque comme les grandes entreprises cotées en Bourse, de sorte qu’il n’est plus nécessaire d’obtenir les documents corporatifs de vérification de l’identité, pourvu que l’entité déclarante : i) conclut que la personne morale existe et que les personnes qui font affaire avec elle pour le compte de la personne morale le font avec l’autorisation de cette dernière, et ii) tienne un document faisant état des motifs examinés et des renseignements obtenus sur la personne morale pour déterminer qu’il y a un faible risque. De plus, toutes les autres obligations de tenue de documents, de contrôle et de déclaration de l’entité déclarante continueront de s’appliquer aux clients jugés à faible risque.
  • Abrogation de la tenue de dossier sur les mesures raisonnables infructueuses. Les modifications proposées abrogent l’exigence mise en place en juin 2017 voulant que les entités déclarantes tiennent des dossiers sur les mesures raisonnables prises pour respecter certaines obligations – par exemple, lorsqu’un client refuse de dire s’il effectue une opération importante en espèces pour le compte d’un tiers – à la suite de la rétroaction des intervenants affirmant que l’obligation est trop exigeante.

Les modifications proposées instaurent également certaines exigences nouvelles ou améliorées en ce qui concerne le devoir de vigilance à l’égard de la clientèle :

  • Documents de vérification de l’identité de l’entité à jour. Les modifications proposées prévoient que lorsqu’un certificat de constitution de personne morale est utilisé pour vérifier l’identité d’une entité, il ne doit pas dater de plus d’un an et les autres documents acceptés (par exemple des états financiers audités, des statuts constitutifs ou d’autres documents qui en prouvent son existence) doivent être les « plus récents ».
  • Exactitude des mises à jour sur la propriété effective. Les entités déclarantes sont tenues de vérifier l’identité de tous les « propriétaires bénéficiaires » d’une entité cliente, qui sont définies comme des personnes physiques qui possèdent ou contrôlent 25 % ou plus des actions ou autres participations dans l’entité, ainsi que tous les administrateurs d’une personne morale et les fiduciaires et bénéficiaires connus d’une fiducie. De plus, elles doivent tenir à jour ces renseignements en effectuant un contrôle continu. À l’heure actuelle, les entités déclarantes doivent prendre des mesures raisonnables pour confirmer l’exactitude de ces renseignements lorsqu’ils sont obtenus au départ et tenir un dossier sur ces mesures raisonnables. Les modifications proposées précisent que les entités déclarantes sont également tenues de prendre des mesures raisonnables – et d’en assurer le suivi – pour valider l’exactitude des renseignements mis à jour qui ont été obtenus au moyen d’un contrôle continu.
  • Prêts consentis par des sociétés d’assurance-vie : Le secteur de l’assurance-vie sera assujetti aux mêmes obligations pour la tenue de documents, la déclaration et le devoir de vigilance raisonnable à l’égard de la clientèle que les autres entités financières lors de l’octroi de prêts, comme des hypothèques et des prêts sur le montant d’une police d’assurance. Il s’agit d’un secteur d’activités relativement nouveau pour le secteur de l’assurance-vie. Il n’était donc pas visé par le régime de LRPC/FAT.

Les courtiers en monnaie virtuelle

La LRPCFAT a été modifiée en 2014 pour s’appliquer aux personnes et aux entités qui font des affaires au moyen de la « monnaie virtuelle »; cependant, l’entrée en vigueur de ces modifications a été retardée en attendant le développement des règlements mis à jour. Les modifications proposées présentent une définition de la monnaie virtuelle :

a) de la monnaie numérique qui n’est pas une monnaie fiduciaire et qui peut être facilement échangée contre des fonds ou contre une autre monnaie virtuelle qui peut être facilement échangée contre des fonds;

b) des renseignements permettant à une personne ou entité d’avoir accès à une telle monnaie numérique.

Cette définition engloberait les célèbres cryptomonnaies comme le bitcoin et l’ether et est éventuellement suffisamment large pour comprendre une myriade d’autres jetons, pièces et cryptoactifs qui peuvent être échangés contre des fonds, soit directement soit par voie d’un échange intermédiaire.

Les courtiers en monnaie virtuelle qui offrent des services aux clients canadiens seront généralement considérés comme des ESM nationales ou étrangères selon le régime de LRPC/FAT, et seront par conséquent assujettis à des exigences en matière de devoir de vigilance raisonnable à l’égard de la clientèle, de tenue de documents, de contrôle et de déclaration qui sont semblables à celles qui s’appliquent aux autres entités déclarantes. Les directives publiées avec les modifications proposées indiquent que les activités « de fourniture du commerce de monnaie virtuelle » comprennent des services d’échange de monnaie virtuelle et de transfert de valeurs, ce qui incluraient vraisemblablement des plateformes d’échanges en ligne ainsi que des maisons de courtage et des intermédiaires pour des opérations en monnaie virtuelle.

De plus, toutes les entités déclarantes qui reçoivent 10 000 $ ou plus en monnaie virtuelle auront comme obligations la tenue de documents et la déclaration.

Entreprises de services monétaires étrangères

La LRPCFAT a été modifiée en 2014 pour intégrer les ESM étrangères comme catégorie ou comme entité déclarante; cependant, l’entrée en vigueur de ces modifications a été retardée en attendant le développement des règlements mis à jour. Les modifications proposées imposeront aux ESM étrangères de s’inscrire au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et d’être assujetties aux mêmes obligations de conformité que les ESM nationales, mais avec des obligations de tenue de documents légèrement moins exigeantes. Les entreprises de services monétaires s’occupent notamment des opérations de change de devises, du transfert d’argent ou de l’émission ou du rachat de mandats-poste, des chèques de voyage ou autres titres négociables semblables et, après l’adoption des modifications proposées, du commerce de la monnaie virtuelle. Comme les ESM qui n’ont pas de lieu d’affaires au Canada peuvent avoir accès à la clientèle canadienne par Internet et au moyen des technologies financières, il faut réglementer les ESM étrangères pour uniformiser les règles du jeu avec les ESM canadiennes et veiller à ce que toutes les entreprises qui donnent accès au système financier du Canada soient assujetties au régime de LRPC/FAT.

Les modifications proposées autoriseront le CANAFE à imposer des pénalités administratives pécuniaires (PAP) aux ESM étrangères jugées non conformes et à révoquer l’inscription des ESM étrangères qui n’acquittent pas leurs PAP. Il sera interdit aux entités financières d’ouvrir ou de maintenir un compte pour une ESM étrangère non inscrite ou d’avoir une relation de correspondant bancaire avec une telle ESM.

Échéance de déclaration d’opérations douteuses

Les modifications proposées exigeront des entités déclarantes de déposer une déclaration d’opération douteuse dans les trois jours suivant la prise de mesures pour leur permettre d’établir qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que l’opération ou la tentative d’opération est liée à la perpétration d’une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou de financement d’activités terroristes. Les directives publiées avec les modifications proposées précisent qu’en pratique, cela signifie que l’échéance se situe trois jours après l’achèvement de l’analyse qui établit qu’il existe des motifs raisonnables de soupçon. À l’heure actuelle, les déclarations d’opérations douteuses doivent être déposées 30 jours après qu’une entité déclarante a détecté un fait qui constitue des motifs raisonnables de soupçon. Le secteur interprète généralement cette échéance comme si elle prévoyait du temps pour réaliser une analyse après la détection du fait douteux, la déclaration étant déposée trois jours après la confirmation du soupçon. La modification proposée précise que l’on s’attend à ce que les déclarations d’opérations douteuses soient déposées sans délai.

Produits de paiement prépayés

Les modifications proposées feraient en sorte que les cartes de crédit prépayées et les produits de paiement prépayés à utilisation libre similaires, qui ne sont pas nécessairement liés à un compte bancaire, seront traités comme des comptes bancaires dans le cadre du régime de LRPC/FAT et seront assujettis aux mêmes exigences en matière de devoir de vigilance raisonnable à l’égard de la clientèle, de tenue de documents, de contrôle et de déclaration que celles qui sont imposées aux entités déclarantes offrant des comptes bancaires. Les émetteurs de produits de paiement à utilisation limitée, dont l’utilisation est restreinte à un marchand ou un groupe de marchands précis, comme les cartes-cadeaux des centres commerciaux, ne sont pas concernés par cette proposition de modification.

Utilisation des technologies

Toutes les entités déclarantes doivent effectuer une évaluation périodique du risque de leur vulnérabilité face aux activités de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes dans le cadre de leurs programmes de conformité. Les critères d’évaluation du risque prescrits actuellement par le régime de LRPC/FAT, plus particulièrement les relations d’affaires de l’entité déclarante, ses produits, ses moyens de distribution et son emplacement géographique, seront clarifiés de manière à prévoir que les risques associés à l’utilisation de nouvelles technologies avant leur lancement doivent être pris en considération dans l’évaluation des produits et des moyens de distribution.

Clarification des exigences actuelles et modifications techniques

  • Opérations de plus de 10 000 $ et règle des 24 heures. Les modifications proposées précisent que les opérations multiples effectuées par une personne à l’intérieur d’une période de 24 heures sont considérées comme une seule opération, aux fins de déclaration, lorsqu’elles équivalent à 10 000 $ ou plus, et qu’un seul rapport devrait être soumis incluant toutes les opérations effectuées au cours d’une période de 24 heures qui, collectivement, atteignent ou dépassent ce seuil. Pour les entités déclarantes, cette nouvelle formule devrait simplifier la façon dont elles soumettent des rapports dans le cadre de la règle des 24 heures en éliminant la nécessité de retirer du calcul global les opérations de plus de 10 000 $. Les modifications proposées précisent également que la règle des 24 heures s’applique à une personne qui reçoit des dépôts et/ou des transferts d’argent dont le montant totalise 10 000 $ ou plus au cours d’une période de 24 heures, et que les exigences de déclaration d’opérations importantes en espèces s’appliquent à toutes les opérations totalisant 10 000 $ ou plus, peu importe la structure organisationnelle.
  • Origines de la richesse des personnes politiquement vulnérables. Les modifications proposées exigeraient que les entités déclarantes prennent des mesures raisonnables pour établir les origines de la richesse des personnes politiquement vulnérables. Cette exigence serait vraisemblablement aussi couverte par l’interdiction prévue par le Code criminel (Canada) d’exercer des activités relatives aux produits de la criminalité. Les modifications proposées exigeraient que le montant accumulé de fonds ou la richesse d’un client semble raisonnable et cohérente avec les renseignements fournis, et que les doutes sur l’origine de ces fonds ou de cette richesse devraient être dissipés avant qu’une entité déclarante poursuive la relation ou permette l’opération.
  • Relevés de télévirements. Actuellement, les entités déclarantes sont uniquement tenues d’envoyer un télévirement pour documenter les renseignements relatifs à la transaction. Selon les modifications proposées, les entités déclarantes qui sont des intermédiaires d’une opération ou qui envoient ou reçoivent un télévirement auraient l’obligation de relever et d’inclure les renseignements sur la transaction et d’en faire la tenue de documents. L’objectif déclaré de ce changement aiderait à faire en sorte que ces renseignements demeurent dans le télévirement tout au long de la chaîne de paiement et que les entités déclarantes disposent de tous les renseignements pertinents sur les opérations afin de détecter toute opération douteuse et la déclarer.
  • Renouvellements d’inscription par des entreprises de services monétaires. Actuellement, les ESM doivent renouveler leur inscription au CANAFE tous les deux ans à l’anniversaire de l’inscription initiale et fournir des documents pour appuyer ce renouvellement. Les modifications proposées permettront de renouveler l’inscription des ESM à n’importe quel moment au cours de la période de deux ans et d’éliminer certains renseignements de la demande de renouvellement (par exemple le numéro de télécopieur).
  • Les agents généraux gestionnaires ne sont pas des entités déclarantes. Les modifications proposées précisent que les compagnies d’assurance-vie qui sont des agents généraux gestionnaires (AGG) et qui facilitent les opérations entre d’autres compagnies d’assurance-vie qui sont elles-mêmes des entités déclarantes ne sont pas des entités déclarantes lorsqu’elles agissent en cette qualité.
  • Négociants en métaux précieux et pierres précieuses. Les exemptions pour les activités de risque faible pour les négociants en métaux précieux et en pierres précieuses (comme la fabrication de bijoux) seraient élargies pour inclure d’autres types de processus de fabrication qui peuvent nécessiter l’utilisation ou la consommation de métaux précieux et de pierres précieuses (par exemple les diamants utilisés pour la fabrication de fleurets), conformément à l’intention initiale de la politique.
  • Comptables. Les modifications proposées clarifient que les comptables qui agissent uniquement au nom d’un syndic dans le cas de services de faillite ou comme professionnels de l’insolvabilité ne seraient pas assujettis aux exigences de la Loi.