Auteurs(trice)
Associé, Respect de la vie privée et gestion de l’information, Toronto
Sociétaire, Protection de la vie privée, Toronto
Key Takeaways
- Le projet de loi C-16, Loi visant à protéger les victimes, redéfinirait le terme « services Internet ». Cette modification permettrait de préciser que la Loi concernant la déclaration obligatoire s’applique à tous les types de services Internet, qu’il s’agisse de plateformes en ligne, de médias sociaux ou d’autres services fondés sur des applications. Les fournisseurs qui ont « un lien avec le Canada » doivent aviser les organismes chargés de l’application de la loi des infractions relatives au matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels.
- Le projet de loi exigerait des fournisseurs de services Internet à joindre les données de transmission lorsqu’ils signalent aux organismes chargés de l’application de la loi du matériel qui est « manifestement » du matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels.
- Il centraliserait également les avis obligatoires vers un organisme chargé de l’application de la loi désigné et prolongerait de 21 jours à un an la période de préservation des données informatiques afférentes aux avis d’infractions relatives au matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels.
Le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-16, Loi visant à protéger les victimes[1], afin « [de] protéger les victimes et les personnes survivantes de violence sexuelle, de violence fondée sur le sexe et de violence entre partenaires intimes, et [de] mettre nos enfants à l’abri des personnes prédatrices »[2].
Le projet de loi C-16 propose un vaste éventail de réformes du droit pénal, parmi lesquelles des modifications précises à la Loi concernant la déclaration obligatoire de matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet (Loi concernant la déclaration obligatoire)[3]. Ces modifications précisent le champ d’application de la Loi et actualisent les obligations des services en ligne d’aviser les organismes chargés de l’application de la loi de la présence de matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels[4] (MAEP).
Fait notable, le projet de loi C-16 reprend les principaux éléments de la série de modifications à la Loi concernant la déclaration obligatoire proposées précédemment dans le cadre du projet de loi C-63 (la Loi sur les préjudices en ligne), ce qui témoigne de l’intention du gouvernement fédéral de privilégier des réformes ciblées en matière de MAEP plutôt que d’élaborer un régime général de lutte contre les préjudices en ligne[5].
Le projet de loi a été déposé et lu une première fois à la Chambre des communes le 9 décembre 2025, et sa deuxième lecture en a été fixée à la prochaine séance de la Chambre[6].
Contexte
Le cadre actuel du Canada en matière de déclaration obligatoire a été établi en 2011[7]. En vertu de la Loi concernant la déclaration obligatoire, les personnes qui fournissent des « services Internet » ont les obligations suivantes :
- communiquer au Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE) toute adresse Internet où pourrait se trouver du MAEP accessible au public[8];
- aviser un agent de police et préserver les données informatiques afférentes pendant 21 jours si elles ont des motifs raisonnables de croire que leurs services sont utilisés ou ont été utilisés pour la perpétration d’une infraction relative au MAEP[9].
| Pour obtenir de plus amples renseignements sur les obligations de conformité à la Loi concernant la déclaration obligatoire, veuillez communiquer avec les auteurs ou vous abonner à notre Portail du savoir AccessPrivacy. |
1. Étendue et compétence
A. Clarification de la définition de « services Internet »
À l’heure actuelle, la Loi concernant la déclaration obligatoire définit le terme « services Internet » comme suit : « services d’accès à Internet, d’hébergement de contenu sur Internet ou de courrier électronique[10] ».
La Loi devait s’appliquer à « toutes les personnes qui offrent des services Internet au public », comme les services d’hébergement de contenu, les plateformes de médias sociaux, les moteurs de recherche et les services de messagerie électronique[11]. Cependant, « [n]ombreux sont ceux qui, faisant une interprétation étroite de la Loi, considèrent que celle-ci ne s’applique qu’aux fournisseurs de service Internet »[12].
Le projet de loi C-16 vise à préciser que la Loi s’applique à « tous les types de services Internet au Canada, y compris les plateformes en ligne, les médias sociaux et les autres services fondés sur des applications[13] ». Ainsi, il prévoit explicitement que le terme « services Internet » s’entend « notamment » :
- de services d’accès à Internet;
- de services d’hébergement de contenu sur Internet, peu importe l’auteur du contenu ou la manière dont celui-ci est rendu accessible;
- de services facilitant les communications interpersonnelles sur Internet, notamment de services de courrier électronique[14].
Le gouverneur en conseil serait également autorisé à prévoir par voie de règlement les services visés par cette définition[15].
Si elle était adoptée, cette modification clarifierait le champ d’application de la Loi et confirmerait que celle-ci s’applique à un plus vaste éventail de plateformes.
B. « Lien avec le Canada »
Par le passé, les organismes chargés de l’application de la loi du Canada ont été confrontés à des défis juridictionnels lors des enquêtes sur les crimes en ligne ou de l’application de la loi, par exemple lorsque des plateformes présentes au Canada sont constituées en société à l’étranger ou utilisent des serveurs dans d’autres pays[16].
Le projet de loi C-16 introduirait une disposition expresse stipulant que les obligations de déclaration aux organismes chargés de l’application de la loi s’appliquent à toute personne qui fournit des services Internet au public et qui a un « lien avec le Canada », notamment du fait qu’elle remplit l’une des conditions suivantes :
- elle possède ou contrôle un ordinateur[17] qui se trouve au Canada;
- elle est une personne morale qui est constituée au Canada ou qui a son siège social au Canada;
- elle est une société de personnes ou organisation ou association non dotée de la personnalité morale qui a son siège social au Canada[18].
Cette disposition codifierait la portée juridictionnelle des obligations de déclaration obligatoire aux organismes chargés de l’application de la loi afin d’inclure les personnes morales constituées à l’étranger qui ont une infrastructure numérique ou un siège social au Canada.
2. Obligations de déclaration aux organismes chargés de l’application de la loi et de gestion des éléments de preuve
Le projet de loi C-16 propose également des modifications aux obligations d’ordre opérationnel concernant les avis aux organismes chargés de l’application de la loi et la gestion des éléments de preuve pertinents.
A. Centralisation des déclarations
À l’heure actuelle, le fournisseur qui soupçonne que ses services sont utilisés pour la perpétration d’une infraction relative au MAEP doit en aviser un « agent de police ou toute autre personne chargée du maintien de la paix publique »[19]. En d’autres termes, la Loi lui permet actuellement de donner un tel avis à n’importe quel organisme chargé de l’application de la loi du pays[20].
Le projet de loi C-16 centraliserait les avis obligatoires auprès de l’« organisme chargé de l’application de la loi désigné par règlement »[21]. Même si cet organisme doit être désigné par règlement, la GRC a précédemment recommandé de désigner le Centre national contre l’exploitation d’enfants (CNCEE) comme organisme chargé de l’application de la Loi[22].
Si elle était adoptée, cette modification assurerait un plus grand degré de certitude aux fournisseurs. Elle simplifierait aussi le processus d’avis en instaurant un point de contact unique, mais certains fournisseurs pourraient être appelés à adapter leurs procédures internes de routage à la nouvelle désignation de l’organisme.
B. « Données de transmission » obligatoires
Le fournisseur qui a des « motifs raisonnables de croire » que ses services sont utilisés ou ont été utilisés pour la perpétration d’une infraction relative au MAEP doit en aviser par écrit l’organisme chargé de l’application de la loi et fournir les renseignements prescrits, soit l’infraction en question, une description du matériel qui semble être du MAEP et son format, et une description de tout autre élément de preuve pertinent[23].
Le projet de loi C-16 imposerait une nouvelle catégorie d’exigences en matière d’avis pour le matériel qui est « manifestement » du MAEP. En pareil cas, le fournisseur serait tenu de fournir les données de transmission qui sont associées à ce matériel[24] et qui pourraient être utiles à l’enquête relative à l’infraction[25].
Si le projet de loi était adopté, les fournisseurs seraient tenus de faire la distinction entre les infractions présumées de manière générale et les infractions « manifestes », et d’établir des processus pour communiquer les données de transmission disponibles afférentes à ces dernières.
C. Préservation des données pendant un an
À l’heure actuelle, la personne qui a donné l’avis prévu à l’organisme chargé de l’application de la loi doit préserver les données informatiques afférentes pendant 21 jours[26].
En réponse aux préoccupations exprimées concernant la perte d’éléments de preuve causée par la brièveté de la période de préservation des données[27], le projet de loi C-16 prévoit de prolonger cette période à un an à compter de la date de l’avis[28].
En raison d’une telle prolongation, les fournisseurs de services seraient appelés à adapter leurs politiques et pratiques en matière de conservation et de destruction des données afin qu’ils soient assurés de préserver les éléments de preuve pertinents pendant 12 mois.
| Série d’Osler sur les préjudices en ligne Le présent bulletin d’actualités est le troisième volet de la série d’Osler sur les préjudices en ligne. Cette série suit l’évolution du cadre canadien en matière de sécurité en ligne, de réglementation des plateformes et de protection des renseignements personnels des enfants. Consultez les bulletins précédents : – Aperçu du cadre de protection des renseignements personnels des enfants en cours d’élaboration au Canada (21 juillet 2025) – La nouvelle Loi sur les préjudices en ligne (C-63) du Canada : ce qu’il faut savoir (1er mars 2024) |
[1] Projet de loi C-16, Loi modifiant certaines lois en matière pénale et correctionnelle (protection de l’enfance, violence fondée sur le sexe, délais et autres mesures), 1re sess., 45e légis., 2025.
[2] Ministère de la Justice Canada, « Le Canada procède à une révision du Code criminel pour protéger les victimes et garder les enfants à l’abri des personnes prédatrices » (Communiqué de presse : 9 décembre 2025).
[3] Loi concernant la déclaration obligatoire de matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet, L.C. 2011, ch. 4 (Loi concernant la déclaration obligatoire).
[4] Projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels), L.C. 2024, ch. 23 (sanctionnée le 10 octobre 2024; entrée en vigueur le 10 octobre 2025). Le projet de loi C-291 proposait initialement de remplacer « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels » (MAEP) afin de décrire plus précisément ce type de matériel, de reconnaître la victimisation des enfants et de se conformer à la terminologie recommandée (voir, par exemple, Guide de Terminologie pour la Protection des Enfants contre l’Exploitation et l’Abus Sexuels, Terminologie et sémantique, Groupe de Travail Interinstitutionnel sur l’exploitation sexuelle des enfants, ECPAT International, 2016 [PDF]). Le comité a ajouté la mention « et d’exploitation » afin que la terminologie utilisée dans la Loi corresponde à la portée complète de la définition et des infractions existantes prévues à l’article 163.1 du Code criminel.
[5] Projet de loi C-63, Loi édictant la Loi sur les préjudices en ligne, modifiant le Code criminel, la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, 1re sess., 44e légis., 2024, partie 4, art. 45 à 51. Le projet de loi C-63 est mort au feuilleton le 6 janvier 2025, lorsque le Parlement a été prorogé.
[6] Chambre des communes, Journaux, 45e légis., 1re sess., no 70 (9 décembre 2025).
[7] Projet de loi C-22 : Loi concernant la déclaration obligatoire de la pornographie juvénile sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet, 3e sess., 40e légis., 2011 (sanctionnée le 23 mars 2011). L.C. 2011, ch. 4
[8] Loi concernant la déclaration obligatoire, art. 2; Règlement sur la déclaration de la pornographie juvénile sur Internet, DORS/2011-292 (Règlement), art. 2, 10. Un fournisseur peut également s’acquitter de son obligation de déclaration au CCPE en se conformant aux lois sur la déclaration de MAEP d’une autre province ou d’un État étranger (Loi concernant la déclaration obligatoire, art. 9).
[9] Loi concernant la déclaration obligatoire, art. 3 et 4; Règlement, art. 11 et 12.
[10] Loi concernant la déclaration obligatoire, art. 1.
[11] Dominique Valiquet, « Résumé législatif – Projet de loi C-22 : Loi concernant la déclaration obligatoire de matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels sur Internet par les personnes qui fournissent des services Internet, » [PDF] Publication no 40-3-C22-F (Ottawa : Bibliothèque du Parlement, 2010; mis à jour en 2011); ministère de la Justice, « Le gouvernement dépose un projet de Loi visant à protéger les enfants de l’exploitation sexuelle sur internet » (Communiqué de presse, mai 2010); ministère de la Justice, « Backgrounder: Protecting children from online sexual exploitation [Document d’information : Protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle en ligne] » (mai 2010) [archivé par Wayback Machine : 5 mars 2014].
[12] Sécurité publique Canada, « Loi concernant la déclaration obligatoire et difficultés juridictionnelles » dans les Notes des comités parlementaires : Comparution du ministre devant le comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (ETHI) (12 avril 2021).
[13] Ministère de la Justice Canada, « Document d’information : Loi visant à protéger les victimes : Projet de loi visant à protéger les victimes et à garder les enfants à l’abri des personnes prédatrices » (9 décembre 2025).
[14] Projet de loi C-16, art. 180.
[15] Projet de loi C-16, art. 184.
[16] Chambre des communes, Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique « Assurer la protection de la vie privée et de la réputation sur les plateformes comme Pornhub » [PDF] (juin 2021); « Loi concernant la déclaration obligatoire et difficultés juridictionnelles. »
[17] Tel que défini dans le Code criminel, par. 342.1(2).
[18] Projet de loi C-16, art. 181
[19] Loi concernant la déclaration obligatoire, art. 3
[20] « Assurer la protection de la vie privée et de la réputation sur les plateformes comme Pornhub » [PDF].
[21] Projet de loi C-16, art 181, 184.
[22] « Assurer la protection de la vie privée et de la réputation sur les plateformes comme Pornhub » [PDF].
[23] Loi concernant la déclaration obligatoire, art. 3; Règlement, art. 11.
[24] Tel que défini dans le Code criminel, art. 487.011.
[25] Projet de loi C-16, art. 181.
[26] Loi concernant la déclaration obligatoire, par. 4(1).
[27] « Loi concernant la déclaration obligatoire et difficultés juridictionnelles »
[28] Projet de loi C-16, art. 181