Auteurs(trice)
Associé, Litiges, Montréal
Associé, Litiges, Toronto
Associé, Litiges, Calgary
Associée, Litiges, Montréal
Associé, Litiges, Toronto
Associé, Litiges et Insolvabilité et restructuration, Montréal
Table des matières
- Excavation National inc. c. Autorité des marchés publics, 2024 QCCS 2159
- Gravel c. Agence du revenu du Québec, 2024 QCCQ 1589
- Ontario (Procureur général) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2024 CSC 4
- Miville de Chêne c. Québec (Ville), 2024 QCCAI 127
Revue de la jurisprudence sur la protection de la vie privée
Excavation National inc. c. Autorité des marchés publics, 2024 QCCS 2159
Faits
La demanderesse, Excavation National, est une entreprise de construction faisant affaire au Québec. La défenderesse, l’Autorité des marchés publics (AMP), est un organisme public ayant comme rôle la surveillance des marchés publics et l’application des lois et des règlements encadrant les contrats publics au Québec.
Le 16 novembre 2023, l’AMP a rendu une décision aux termes de laquelle elle a refusé d’autoriser la conclusion d’un contrat entre Excavation National et un organisme public, ce qui a eu pour effet d’inscrire la demanderesse au registre des entreprises non admissibles aux contrats publics au Québec.
La demanderesse a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire de la décision de l’AMP, dans lequel elle demandait la communication d’une grande partie des documents de l’AMP. Elle a fait valoir que la Cour avait besoin du dossier complet pour pouvoir se prononcer sur la légalité de la décision de l’AMP. La demanderesse a simultanément déposé une demande d’accès à l’information auprès de l’AMP. L’AMP a refusé de transmettre les documents demandés et a reporté la décision concernant la demande d’accès à l’information.
Décision
Le tribunal a rejeté les demandes de la demanderesse, au motif que la communication du dossier complet de l’AMP constituait une partie de pêche. En particulier, pour se prononcer sur la légalité de la décision, le tribunal n’avait pas besoin du dossier complet de l’AMP, notamment à la lumière des motifs détaillés fournis à Excavation National.
Point principal à retenir
Dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision administrative prise par un organisme public, il ne sera pas fait droit aux parties de pêche prenant la forme de demandes d’accès à l’information visant le dossier complet du décideur. Le tribunal n’ordonnera la communication de documents ou de preuves supplémentaires que lorsque cela est nécessaire pour évaluer le caractère raisonnable de la décision administrative.
Gravel c. Agence du revenu du Québec, 2024 QCCQ 1589
Faits
L’appelant, Gravel, qui faisait l’objet d’une enquête de la part de l’Agence du revenu du Québec (ARQ), a déposé une demande d’accès à l’information auprès de l’ARQ, afin d’obtenir divers documents et renseignements, notamment la liste des employés de l’ARQ qui avaient accédé à son dossier fiscal. L’ARQ a refusé de lui fournir les documents demandés. La Commission d’accès à l’information (la Commission) a partiellement accueilli la demande de révision de la décision de l’ARQ introduite par l’appelant. L’ARQ a détruit certaines données visées par la demande de Gravel entre la date du refus de l’ARQ de fournir les documents demandés et celle de la décision de la Commission. La destruction des données a rendu impossible la production de la liste d’employés demandée.
La Commission a conclu que la destruction des données ne constituait pas une violation de l’article 52.1 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (Loi sur l’accès), puisque ce qui a été détruit ne constituait pas un document, mais des données permettant de produire le document demandé. Gravel a fait appel de la décision de la Commission devant la Cour du Québec.
Décision
Le tribunal a accueilli l’appel et infirmé la décision de la Commission.
Le tribunal a conclu que la Commission avait erré en droit et était allée à l’encontre de la jurisprudence lorsqu’elle avait écrit que les données informatiques qui correspondaient à la demande d’accès détenues par l’ARQ n’étaient pas un document.
Interprétant l’article 1 de la Loi sur l’accès, le tribunal a déterminé que ce n’était pas parce qu’il fallait interroger le système de l’ARQ pour produire un document, qu’il fallait conclure que le document n’existait pas. Une seule exception existe à cette règle, si des calculs ou des comparaisons doivent être faits, alors là seulement, il s’agit de la création d’un nouveau document.
Par conséquent, le tribunal a déterminé que l’ARQ détenait le document demandé au sens de l’article 1 de la Loi sur l’accès au moment où la demande d’accès avait été déposée par Gravel. L’ARQ avait l’obligation de conserver le document le temps de permettre des recours conformément aux articles 52.1 et 102.1 de la Loi sur l’accès. En détruisant les données, l’ARQ a manqué à son obligation de conservation de documents prévue aux articles 52.1 et 102.1 de la Loi sur l’accès.
Point principal à retenir
Des données informatiques peuvent constituer un document dans le contexte d’une réponse à une demande d’accès à l’information. Une seule exception à cette règle existe, si des calculs ou des comparaisons doivent être faits, alors là seulement, il s’agit de la création d’un nouveau document. Les données informatiques qui sont visées par une demande d’accès à l’information et un appel ultérieur doivent être conservées.
Ontario (Procureur général) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2024 CSC 4
Faits
Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a examiné la portée de la confidentialité du Cabinet dans le contexte d’une demande d’accès à l’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (Ontario) (LAIPVP).
Un journaliste a demandé d’avoir accès à 23 « lettres de mandat » que le premier ministre de l’Ontario avait remises à chacun de ses ministres peu après avoir formé le gouvernement en 2018. Le Bureau du Cabinet a refusé la demande en prétendant que les lettres de mandat étaient soustraites de la divulgation en application du paragraphe 12(1) de la LAIPVP parce qu’il s’agissait de documents qui auraient pour effet de révéler l’objet des délibérations du Cabinet. Le Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario (CIPVP) a conclu que les lettres n’étaient pas exemptées et a ordonné leur divulgation. Lors de la révision judiciaire, la Cour divisionnaire de l’Ontario a infirmé la décision, estimant que les lettres étaient exemptes de divulgation, et la Cour d’appel de l’Ontario s’est dit du même avis.
Décision
La Cour suprême a jugé à l’unanimité que les lettres de mandat étaient exemptes de divulgation. Le juge Karakatsanis a rédigé l’opinion des juges majoritaires, tandis que la juge Côté a rédigé une opinion concordante qui est en accord avec le résultat de la majorité, mais qui n’est pas en accord avec son approche de la norme de contrôle de la décision du CIPVP.
Les juges majoritaires ont estimé que le CIPVP ne s’était pas penché adéquatement sur le contexte juridique et factuel général au moment d’interpréter le paragraphe 12(1) de la LAIPVP. En particulier, le CIPVP n’a pas apprécié les conventions et traditions constitutionnelles qui régissent la confidentialité et le processus de délibération du Cabinet. Dans une démocratie constitutionnelle, la confidentialité des délibérations du Cabinet est une condition préalable au gouvernement responsable. Elle s’impose pour que les ministres ne se censurent pas lors d’un débat sur une politique, et ensuite qu’ils puissent être solidaires en public, et soient tenus responsables collectivement, dès qu’une décision de politique générale est prise et annoncée.
Le défaut du CIPVP de tenir compte de ce contexte l’a amené à retenir une interprétation déraisonnablement étroite du paragraphe 12(1), et ainsi à ne pas protéger les « résultats » des délibérations du Cabinet, et à mal qualifier les lettres de mandat elles-mêmes comme un produit final des délibérations du Cabinet. Les juges majoritaires ont estimé que la confidentialité du Cabinet inclut la prérogative de choisir l’occasion et la manière d’annoncer ses décisions. Les lettres de mandat faisaient état de priorités stratégiques qui n’avaient pas encore été annoncées et qui, n’étant pas encore publiques, pouvaient faire l’objet d’un débat plus approfondi et donc être modifiées par les délibérations du Cabinet. Les lettres de mandat étaient donc soumises à la confidentialité du Cabinet et exemptes de divulgation en application du paragraphe 12(1) de la LAIPVP.
Les juges majoritaires ont examiné la décision du CIPVP selon la norme de la décision raisonnable, puisque c’était la norme invoquée par les parties. La juge Côté a écrit que la décision devait être examinée selon la norme de la décision correcte parce que le privilège du Cabinet est une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble.
Point principal à retenir
Les exemptions de divulgation prévues par les lois sur l’accès à l’information doivent être interprétées dans leur contexte juridique et factuel général, y compris les normes et conventions constitutionnelles pertinentes.
Le privilège du Cabinet est un principe constitutionnel fondamental, et les exemptions de divulgation destinées à le protéger doivent être interprétées de manière large.
Le privilège du Cabinet comprend la prérogative du gouvernement de décider de l’occasion et de la manière d’annoncer les décisions du Cabinet. Les décisions du Cabinet qui n’ont pas encore été annoncées peuvent donc être exemptes de divulgation en application des lois sur l’accès à l’information.
Miville de Chêne c. Québec (Ville), 2024 QCCAI 127
Faits
Le demandeur a déposé une demande d’accès auprès de la Ville de Québec, la défenderesse, afin d’obtenir l’accès à divers documents relatifs à une convention de gestion datant de 2011 et à un bail commercial (les conventions) portant sur l’exploitation du Centre Vidéotron. De nombreux tiers prenaient part aux conventions.
En particulier, le demandeur a demandé l’accès aux états financiers de 2015 et des exercices subséquents. La Ville de Québec a refusé de les lui fournir, soutenant qu’elle n’en avait pas la détention juridique, car ces documents appartenaient à des tiers et que la Ville n’en avait pas la détention physique ni juridique.
Décision
La Commission a conclu que la Ville n’avait pas la détention juridique des états financiers. Même si, lors de visites semestrielles, les employés de la Ville de Québec y avaient eu accès, les états financiers ont été produits par des tiers pour leur propre usage et non pour celui de la Ville. En prenant sa décision, la Commission a tenu compte du fait que les états financiers avaient été fournis à la Ville aux fins de vérification seulement et que la Ville n’était pas dans une situation de contrôle sur les documents et qu’elle ne pouvait pas les requérir en tout temps. En outre, la Commission a confirmé que la Ville ne tentait pas de se soustraire à ses responsabilités en n’ayant pas la détention physique des documents.
Point principal à retenir
Les organisations n’ont pas la détention juridique de documents du simple fait d’y avoir accès aux fins de vérification, si elles ne sont pas dans une situation de contrôle sur les documents.