2025 OSLER LEGAL OUTLOOK

Recalibrage de l’écosystème des VE au Canada Recalibrage de l’écosystème des VE au Canada

4 décembre 2025 11 MIN DE LECTURE

Key Takeaways

  • Malgré une progression des ventes, le marché des VE au Canada est confronté à des défis liés à la réorientation des politiques publiques, à la hausse des coûts et à la disparité des infrastructures.
  • Les principaux incitatifs gouvernementaux ont pris fin, ce qui complique les stratégies de tarification des équipementiers et nuit à la demande de VE en Amérique du Nord.
  • Les minéraux critiques et les partenariats stratégiques sont essentiels pour que le Canada conserve son rôle dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine des VE.

Depuis notre article Perspectives juridiques Osler publié en 2023, les efforts déployés par le Canada pour s’imposer comme une puissance dans le marché des véhicules électriques (VE) et dans l’écosystème de la chaîne d’approvisionnement ont fait l’objet d’un recalibrage. Au cours des 24 derniers mois, les ventes de VE ont progressé au Canada et en Amérique du Nord, mais elles restent en deçà des prévisions établies au début de la décennie. Le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2024 a ouvert la voie à une réorientation importante des politiques publiques à l’égard du secteur des VE en 2025, tandis que les mesures des gouvernements fédéral et provinciaux du Canada pour l’industrie ont également été réorientées.

Ensemble, ces changements ont compliqué la tâche des parties souhaitant s’engager dans une planification à long terme. Cependant, ils ouvrent également la voie à une approche plus pragmatique et durable, axée sur les infrastructures, les minéraux critiques et la résilience des chaînes d’approvisionnement continentales.

Facteurs défavorables : réorientation des politiques publiques, pressions sur les coûts et correction du secteur

Une enquête menée récemment par le Globe and Mail suggère que de nombreux Canadiens soutiennent la transition vers les VE, 35 % des personnes interrogées envisageant l’achat d’un VE. Dans le même temps, elle a confirmé que les préoccupations des consommateurs concernant l’abordabilité et l’autonomie restent les obstacles les plus importants à l’adoption en masse des VE.

Les gouvernements n’ont pas contribué à répondre aux préoccupations liées à l’abordabilité en 2025. La fin prématurée du Programme d’incitatifs pour les véhicules zéro émission (VZE) (iVZE) du gouvernement fédéral en janvier 2025 a supprimé une remise à l’achat de 5 000 $ pour les VZE admissibles. Le programme Roulez Vert du Québec sera progressivement supprimé d’ici 2027, les remises passant de 7 000 $ en 2024 à 4 000 $ en 2025, puis à 2 000 $ en 2026. Chez nos voisins du sud, l’administration américaine a supprimé plusieurs incitatifs importants liés aux VE en 2025, notamment les crédits d’impôt fédéraux pouvant atteindre 7 500 $ US pour les VE neufs et 4 000 $ US pour les VE d’occasion. Elle a aussi supprimé le crédit d’impôt pour les chargeurs de VE, qui offrait une remise de 30 % pouvant atteindre 1 000 $ US pour les chargeurs résidentiels et 100 000 $ US pour les installations industrielles. En outre, elle est en voie de supprimer les amendes fédérales liées aux normes de rendement énergétique et d’émissions. Toutes ces mesures ont pour effet d’affaiblir la demande et de compliquer les stratégies liées aux tarifs et aux stocks pour les équipementiers sur l’ensemble du marché intégré de l’Amérique du Nord.

La croissance des infrastructures de recharge constitue également un obstacle important à la généralisation de l’adoption des VE, comme nous l’avons écrit dans notre article Perspectives juridiques Osler en 2024. Cette question demeure une préoccupation au Canada et les améliorations restent inégales. Les réseaux de recharge sont en expansion. Cependant, la lenteur du déploiement n’a guère contribué à atténuer l’angoisse liée à l’autonomie dans de nombreuses régions, compte tenu notamment de la géographie et du climat canadiens et des habitudes de déplacement interurbain de sa population.

La géopolitique et la politique commerciale ont créé un défi supplémentaire pour les ambitions du Canada en matière de VE. Au début de 2025, comme nous l’avons décrit dans notre bulletin d’actualités Osler, les États-Unis ont imposé des droits de douane de 25 % sur les automobiles et les pièces automobiles, à l’exception des pièces bénéficiant de privilèges en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Il en a résulté une augmentation considérable des coûts dans l’ensemble des chaînes d’approvisionnement nord-américaines. Dans le même temps, dans le but de garantir un approvisionnement non conflictuel, les États-Unis ont fait de la sécurité des minéraux critiques une priorité nationale, en déployant des outils financiers innovants et des investissements stratégiques, notamment des partenariats internationaux et des investissements directs dans des sociétés d’exploitation minière et de transformation.

Les faillites et les restructurations très médiatisées dans l’écosystème des VE ont servi d’avertissement aux acteurs du marché. Dans des cas notables, des plans de croissance ambitieux n’ont pas été réalisés et les partenaires gouvernementaux ont subi des pertes importantes. Le fabricant suédois de batteries Northvolt, le recycleur de batteries torontois Li-Cycle et le fabricant de bus électriques Lion Électrique ont connu des difficultés financières, soulignant les risques d’une expansion rapide dans un secteur des VE à forte intensité capitalistique et sensible aux politiques publiques.

Au Québec, la filiale de Northvolt a fait l’objet d’une procédure en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada). Le gouvernement a cherché à récupérer un prêt de 240 millions de dollars accordé à la filiale après avoir perdu son investissement en capital de 270 millions de dollars dans la société mère suédoise à la suite d’une faillite mondiale très médiatisée. Dans les procédures concernant Lion Électrique et Northvolt, le gouvernement du Québec a refusé d’injecter les fonds supplémentaires demandés par leurs acheteurs potentiels.

Forces contraires : souplesse réglementaire, infrastructures et minéraux critiques

Même si la dynamique ralentit, plusieurs changements laissent entrevoir une transition plus mesurée. Le 5 septembre 2025, comme nous l’avons mentionné dans notre bulletin d’actualités Osler, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il suspendait pendant un an sa cible en matière de vente de VZE pour les véhicules de l’année modèle 2026 et lançait un examen de 60 jours de la norme sur la disponibilité des VE. Le Québec a partiellement levé sa cible de 100 % de VZE pour 2035 en la ramenant à 90 %. De même, la Colombie-Britannique a récemment fait part de son intention d’abaisser sa cible de vente de VE afin de mieux s’aligner sur les nouvelles lignes directrices du gouvernement fédéral une fois qu’elles seront publiées. Le Québec a également révisé ses cibles progressives pour 2026 à 2035 et élargi la définition des VZE de façon à y inclure les véhicules hybrides rechargeables (VHR), conformément à l’approche fédérale. L’harmonisation des approches provinciales et fédérale concernant les VHR offre une marge de manœuvre réglementaire aux équipementiers et aux concessionnaires pour équilibrer leur gamme de produits et gérer leurs stocks. Cependant, cela pourrait également ralentir le rythme à court terme de l’adoption des véhicules entièrement électriques.

Les infrastructures de recharge continuent de se développer. Ces projets sont menés par des promoteurs privés qui bénéficient du financement de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), de subventions de Ressources naturelles Canada et d’autres aides gouvernementales. Il convient de noter que l’Initiative d’infrastructures de recharge et de ravitaillement en hydrogène de la BIC finance activement des réseaux de recharge privés. En outre, les flottes électriques continuent de connaître une croissance importante, notamment dans les domaines des autobus scolaires, de la livraison sur le dernier kilomètre, de la location de voitures et du transport routier.

L’évolution de la posture de défense du Canada remodèle également les occasions d’affaires, notamment en mettant davantage l’accent sur l’intégration des technologies des VE et des minéraux critiques dans des chaînes d’approvisionnement sécurisées. Cependant, la flambée des prix des métaux précieux ne s’est pas étendue à tous les métaux utilisés dans les batteries, ce qui a entraîné le blocage de plusieurs projets, tandis que leurs promoteurs cherchent à obtenir du financement pour leurs projets de construction et à conclure des accords d’enlèvement. Les projets de fabrication intégrée de batteries liés à l’exploitation minière ont également rencontré des difficultés financières et techniques.

Dans l’ensemble, les retards par rapport aux prévisions initiales ne sont pas surprenants compte tenu de la nature transformatrice de la transition vers les VE. L’orientation actuelle des politiques du gouvernement fédéral, qui mettent l’accent sur les infrastructures d’intérêt national, la rationalisation des autorisations réglementaires et la promotion de la réconciliation avec les peuples autochtones, commencent à faire passer les projets d’exploitation de minéraux critiques à long terme du stade de la conception à celui de la réalisation. Il s’agit là d’une condition préalable essentielle à la fabrication en aval de batteries et de véhicules. Dans l’intervalle, tous les niveaux de gouvernement continuent de soutenir les nouvelles mines et les nouvelles usines de fabrication de batteries. Ce soutien comprend un financement ciblé pour des projets stratégiques et des infrastructures habilitantes telles que les installations de production et de transport d’électricité dédiées.

Les investissements étrangers dans les sociétés minières canadiennes à la tête des projets d’exploitation de minéraux critiques s’alignent sur ces priorités. L’intérêt accru du gouvernement américain pour l’investissement dans les sociétés d’exploitation de minéraux critiques et pour la collaboration avec le Canada dans ce domaine démontre que l’accès aux intrants est indissociable de la compétitivité industrielle et de la sécurité nationale. Cela renforce à son tour le rôle du Canada dans le cadre d’une stratégie continentale et apporte une preuve supplémentaire que le financement public et les accords d’enlèvement pour les projets peuvent réduire les risques liés aux projets de plusieurs milliards de dollars.

Enfin, bien que plusieurs équipementiers aient investi des milliards de dollars dans de nouveaux modèles et de nouvelles usines et chaînes d’approvisionnement, et aient été confrontés à des décisions difficiles de report, de réduction ou d’annulation de programmes, on peut espérer que les discussions en cours avec le gouvernement américain au sujet de la révision de l’ACEUM auront pour effet d’ouvrir la voie à une stabilisation des règles commerciales et des horizons de planification.

Découvrez notre expertise en matière de mobilité électrique.
En savoir plus

Pragmatisme, optionnalité et exécution attendus pour l’année à venir

Le scénario pour 2025 n’est pas celui d’un recul, mais d’un recalibrage. Le ralentissement de la demande à court terme, la disparité des infrastructures et l’instabilité des politiques publiques ont tempéré l’optimisme initial. Cependant, les réglementations s’adaptent, les infrastructures de recharge se développent de manière plus méthodique et les stratégies relatives aux minéraux critiques s’alignent sur les priorités en matière de sécurité nationale. Si les gouvernements continuent à trouver un équilibre entre ambition et opérabilité en coordonnant les réglementations, en alignant les infrastructures sur des cas d’utilisation réalisables et en favorisant des règles commerciales et d’investissement prévisibles, le Canada pourrait être en mesure de transformer les défis actuels en avantages durables.

Bien que, en matière de VE, les ambitions du Canada soient tempérées, elles restent intactes dans leur orientation. L’année à venir permettra de clarifier dans quelle mesure et à quelle vitesse le pays peut progresser vers ses ambitions en la matière, et à quelles conditions. Le succès dépendra moins des annonces médiatiques que d’une mise en œuvre régulière grâce à la construction d’infrastructures de recharge et de la mise en place d’un marché résilient auxquels les consommateurs peuvent faire confiance. À l’avenir, il sera essentiel de trouver des solutions favorisant l’abordabilité des VE. Il sera également essentiel de créer et de soutenir des chaînes d’approvisionnement, de l’extraction minière à la fabrication en passant par la maintenance, qui soient mieux intégrées au secteur automobile nord-américain. Enfin, il est crucial d’accélérer les projets d’intérêt national et de faire progresser un cadre continental renouvelé en matière de commerce et de sécurité. Tous ces facteurs seront nécessaires pour que l’investissement à long terme du Canada dans la transition vers les VE soit couronné de succès.