Auteur
Associé, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Le résultat des élections américaines de 2024 pourrait entraîner des conséquences importantes pour les entreprises canadiennes, car les changements dans les politiques commerciales et tarifaires pourraient se répercuter directement sur les coûts, la compétitivité et l’accès au marché. Se rappelant des tarifs douaniers imposés aux industries canadiennes et entrevoyant les modifications susceptibles d’être apportées à l’ACEUM, les entreprises canadiennes font face à un paysage commercial incertain.
Dans la vidéo ci-dessous, Jesse Goldman, associé au sein du groupe Concurrence, commerce international et investissement étranger d’Osler, aborde les principaux sujets de préoccupation, y compris la possible réinstauration de tarifs douaniers et les exigences des États-Unis concernant la taxe sur les services numériques et le système de gestion de l’offre du Canada. Il donne également un aperçu de la manière dont les entreprises canadiennes peuvent atténuer les risques de manière proactive dans cet environnement en évolution rapide.
Jesse Goldman : Je m’appelle Jesse Goldman. Je suis associé au sein du groupe Concurrence, commerce international et investissement étranger d’Osler.
Les entreprises canadiennes s’interrogent sur les conséquences de l’élection américaine sur leurs échanges commerciaux avec les États-Unis. Aujourd’hui, nous allons discuter de la façon dont les politiques commerciales et tarifaires de Trump, dans la mesure où nous les connaissons, se répercuteront sur les entreprises canadiennes.
Les tarifs douaniers sur les importations ont été la marque distinctive de la politique commerciale de Trump de 2016 à 2020. Même s’ils ont visé la Chine principalement, ils ont également été imposés aux alliés des États-Unis, y compris le Canada. En réalité, les tarifs douaniers visent à atteindre trois objectifs : corriger les déséquilibres commerciaux, protéger les industries américaines et se doter d’un levier à utiliser dans le cadre de négociations avec des pays étrangers, même des pays alliés, afin d’obtenir de meilleurs résultats pour les exportateurs américains et les entreprises américaines en général.
Comment les tarifs douaniers se sont-ils répercutés sur des partenaires commerciaux alliés comme le Canada?
Ainsi, si les tarifs douaniers étaient dirigés contre la Chine, ils ont aussi fortement touché les pays alliés des États-Unis, comme le Canada, le Mexique et l’Union européenne. Un exemple dont beaucoup se souviendront est celui des tarifs douaniers dits « 232 » sur l’acier et l’aluminium. Ils ont été utilisés pour obtenir des concessions de la part du Canada et du Mexique dans le cadre des négociations de l’ACEUM.
Quelles peuvent être les conséquences pour les entreprises canadiennes sous cette administration?
Je pense que nous allons continuer à voir les mêmes thèmes politiques et économiques que nous avons vus au cours de la première administration Trump; ils seront peut-être un peu plus raffinés et un peu plus dirigés. Les États-Unis doivent être parfaitement conscients que, en ce qui concerne les marchandises, leur déficit commercial avec le Canada a augmenté de plus de 20 % au cours des deux ou trois dernières années.
Ils chercheront donc à négocier avec le Canada pour s’assurer que le déséquilibre commercial redevienne conforme à leurs visées. Je pense que les États-Unis seront également très conscients du fait que le Canada a doublé la mise sur des choses comme la protection de son industrie laitière et la taxe sur les services numériques en dépit des objections américaines, et qu’ils chercheront certainement à changer la donne pour les entreprises américaines faisant affaire au Canada en conséquence de cela.
Quelle est l’importance pour les entreprises canadiennes de comprendre le fondement juridique des tarifs douaniers en droit américain?
Il est important de comprendre la manière dont les tarifs douaniers sont établis aux États-Unis de nos jours. Elle a complètement changé. Auparavant, c’était le Congrès qui disposait de l’essentiel du pouvoir pour établir les tarifs et il les établissait suivant la procédure législative. Le Congrès a délégué une grande partie de son pouvoir en matière de politique commerciale et tarifaire, en particulier à ce que nous appelons le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le président. De nos jours, le président peut, d’un simple trait de plume, modifier la politique tarifaire en fonction d’objectifs tant économiques que politiques, presque du jour au lendemain. Cela place des pays comme le Canada dans une position très vulnérable, car la capacité qu’avaient traditionnellement les alliés d’influencer cette politique a changé de façon considérable au cours des dernières années.
Quelles sont les conséquences de l’ACEUM pour les entreprises canadiennes?
Il est presque certain que l’ACEUM sera revu, probablement à la demande des États-Unis, au cours de l’été 2026. Le Canada et le Mexique joueront alors la carte de la défense, car les États-Unis ont un certain nombre de griefs à l’égard de l’ACEUM et veulent qu’ils soient réglés d’une manière qui leur soit favorable. Par conséquent, les entreprises canadiennes doivent s’attendre à des mois, voire des années d’incertitude quant à l’issue de ces négociations. En fait, on peut se demander si l’ACEUM existera encore à la fin de ces négociations.
Quelles concessions particulières les États-Unis pourraient-ils exiger du Canada?
Les États-Unis pourraient exiger des concessions de la part du Canada sur différentes questions, dont la gestion de l’offre, un sujet d’irritation de longue date pour les États-Unis, en particulier la gestion de l’offre de produits laitiers au Canada. Je pense que les États-Unis chercheront à modifier en profondeur le système canadien de gestion de l’offre afin de favoriser les exportateurs américains. L’autre question concerne la taxe sur les services numériques. Les grandes entreprises technologiques américaines ont été très contrariées par la taxe sur les services numériques du Canada et par le fait qu’elle a été mise en place unilatéralement, sans tenir compte des objections des États-Unis. De plus, les États-Unis chercheront probablement à modifier les restrictions à la propriété des sociétés canadiennes de télécommunications par des ressortissants étrangers et à se débarrasser des mesures protégeant les industries culturelles canadiennes ou à les modifier en profondeur.
Quelles sont les incertitudes économiques auxquelles les entreprises canadiennes pourraient faire face?
C’est l’incertitude associée au passage d’un régime commercial fondé sur des règles à un environnement plutôt chaotique et unilatéral à la remorque du programme politique d’une administration américaine. Ainsi, les entreprises canadiennes qui dépendent fortement du marché américain pour leurs exportations et leurs affaires en général doivent s’attendre à une augmentation de leurs coûts, à une diminution de leur part de marché et à une baisse potentielle de la valeur de leur entreprise.
À partir de là, on ne peut que spéculer, mais je pense que, dans ce type d’environnement, les entreprises canadiennes doivent envisager une stratégie d’acquisition, éventuellement à titre de cible, si cela leur est possible, pour se prémunir contre l’incertitude liée au commerce américain. Elles deviennent elles-mêmes des cibles plus attrayantes si leur valeur diminue en raison, vous savez, de la réduction de leur compétitivité sur le marché américain et d’un environnement où l’accès au marché américain est réduit. Je pense que le message général pour les entreprises canadiennes est de commencer à planifier dès maintenant.
Comment le Canada pourrait-il réagir pour protéger ses industries?
Le Canada devra réagir. Il devra réagir pour des raisons tant économiques que politiques, et il va prendre des mesures de représailles à l’encontre des industries américaines. Le Canada se trouve donc dans une position très difficile. Il doit trouver un équilibre entre prendre des mesures de représailles et garantir la prospérité des entreprises. C’est délicat, c’est une ligne très mince que le Canada doit suivre. Mais la règle du jeu est qu’une fois que des mesures unilatérales sont prises, des représailles s’ensuivent presque toujours.
Que devraient faire les entreprises canadiennes pour se préparer aux perturbations commerciales à venir?
Les entreprises canadiennes peuvent se préparer de plusieurs manières. La première consiste à diversifier leur chaîne d’approvisionnement et leurs marchés, en gardant à l’esprit qu’il pourrait être plus difficile de vendre aux États-Unis et qu’au Canada également, l’environnement commercial pourrait être plus difficile.
L’environnement va évoluer rapidement. En ce qui concerne les tarifs douaniers et d’autres politiques commerciales américaines, les choses peuvent changer littéralement du jour au lendemain. Les entreprises doivent donc faire appel à des experts et à des conseillers commerciaux expérimentés afin d’obtenir rapidement les conseils dont elles ont besoin pour se préparer à ces changements.