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Efforts pour attirer les entreprises : l’Alberta modifie sa Business Corporations Act

Auteur(s) : Kelsey Armstrong, Justin Sherman, Randal Van de Mosselaer, Hind Breen et Zeyad Aboudheir

Le 16 juin 2022

Le 31 mai 2022, les modifications à la Business Corporations Act de Alberta (ci-après, l’ABCA) découlant du projet de loi 84 sont entrées en vigueur par proclamation. Ces modifications apportent des changements importants à l’ABCA en vue de moderniser la loi afin d’attirer les investissements et de retenir les entreprises en Alberta.

Les modifications à l’ABCA comprennent les éléments suivants :

  • changements aux dispositions régissant les plans d’arrangement pour offrir plus de souplesse aux tribunaux et aux sociétés;
  • assouplissement des exigences en matière de résolutions écrites des actionnaires;
  • possibilité pour les sociétés de permettre à leurs administrateurs et dirigeants de prendre part à certains types d’occasions d’affaires externes;
  • protection accrue pour les administrateurs et les dirigeants;
  • autres changements visant à moderniser l’ABCA, notamment un assouplissement des exigences pour approuver une dispense d’audit, des délais plus flexibles concernant les avis d’assemblées aux actionnaires, une période prolongée pour la reconstitution des sociétés dissoutes et la levée de l’exigence de publication des avis de la date de référence aux fins d’une assemblée d’actionnaires.

Modifications ayant trait aux mécanismes d’approbation des plans d’arrangement

Les plans d’arrangement sont des procédures soumises à l’approbation du tribunal utilisées pour réaliser certaines opérations, comme les fusions et les acquisitions et les restructurations de dette, entre autres modifications de structure de la société.

Avant les modifications apportées à l’ABCA, les dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) régissant les plans d’arrangement étaient généralement considérées comme étant plus favorables aux entreprises que celles de l’ABCA, surtout en contexte de restructuration de dette. Les avantages du régime de la LCSA incluaient l’absence d’exigence législative de tenir une assemblée d’actionnaires, ce qui facilitait souvent la mise en œuvre des plans de restructuration de dette des sociétés, ainsi que la possibilité pour le tribunal d’accorder la suspension des procédures en vertu de son pouvoir de rendre toute ordonnance provisoire ou finale qu’il estime pertinente.

À l’inverse, l’ABCA exigeait que tout plan d’arrangement soit approuvé par une majorité d’actionnaires représentant au moins deux tiers des voix exprimées, en plus, dans le cas des arrangements visant le passif de la société, d’une majorité en nombre de créanciers représentant au moins deux tiers en valeur des réclamations. Cette exigence soulevait fréquemment des difficultés pour les sociétés albertaines qui restructuraient leur passif ou réalisait une opération de fusion et acquisition dans le cadre de laquelle des titres de créance faisaient également l’objet d’un arrangement. Par conséquent, certaines sociétés constituées en vertu de l’ABCA désireuses de restructurer leur passif optaient pour une « prorogation » sous le régime de la LCSA avant de mettre leur plan en œuvre.

Les modifications récentes à l’ABCA la rendent conforme au régime des plans d’arrangement de la LCSA en octroyant au tribunal la discrétion de déterminer le seuil d’approbation requis chez les détenteurs de titres, plutôt que d’exiger la tenue d’assemblées d’actionnaires dans tous les cas et d’imposer un seuil préétabli d’approbation des créanciers dans le cas des arrangements qui touchent à la dette de la société. De plus, l’ABCA confère désormais une marge discrétionnaire élargie au tribunal pour rendre les ordonnances provisoires ou finales qu’il estime pertinente, ce qui lui permettra d’accorder une suspension des procédures.

Une différence demeure cependant entre les régimes respectifs de l’ABCA et de la LCSA suivant les récentes modifications. En effet, l’ABCA n’impose pas à la société d’être solvable pour recourir à ses dispositions relatives aux arrangements, alors que la LCSA en fait une exigence formelle (bien que la plupart des arrangements en vertu de la LCSA puissent être structurés de manière à inclure une société solvable afin de répondre à cette exigence).

Dans l’ensemble, il est à prévoir que les nouvelles dispositions relatives aux arrangements de l’ABCA simplifieront la tâche aux sociétés en voie de restructuration, qu’elles soient solvables ou non, en leur évitant de devoir recourir à la prorogation sous le régime de la LCSA pour restructurer leur passif.

L’exigence d’aviser le registraire des sociétés de l’Alberta avant de conclure un arrangement, ce qui concorde avec les dispositions analogues de la LCSA, est une autre nouveauté au chapitre des dispositions relatives aux arrangements de l’ABCA.

Modifications aux exigences en matière d’approbation des actionnaires pour les sociétés fermées

Les actionnaires d’une société peuvent approuver les résolutions ordinaires et extraordinaires en votant lors de l’assemblée des actionnaires ou en signant des résolutions écrites. Auparavant, l’ABCA exigeait que la résolution écrite soit signée par l’ensemble des actionnaires habiles à voter en l’occurrence. Dès qu’un seul actionnaire n’était pas disposé à signer la résolution écrite, ou n’était pas disponible pour ce faire, la société était tenue de convoquer et de tenir une assemblée d’actionnaires, avec préavis de 21 jours, et ce, même si le sort de cette assemblée était en pratique déjà connu. Cette exigence causait des retards et imposait un fardeau administratif supplémentaire à la société.

En vertu de modifications apportées à l’ABCA, les actionnaires des émetteurs non assujettis (soit les sociétés fermées) peuvent désormais adopter des résolutions par écrit, pour peu qu’elles soient signées par au moins deux tiers des actionnaires habiles à voter en l’occurrence, plutôt que par l’ensemble de ceux-ci.

Bien que le libellé de la nouvelle disposition de l’ABCA ne soit pas limpide, il s’agit selon nous d’autoriser les actionnaires à adopter des résolutions écrites à la majorité des deux tiers des actions assorties du droit de vote, et non par deux tiers des actionnaires habiles à voter. Nous recommandons néanmoins aux sociétés fermées qui souhaitent adopter des résolutions par écrit d’obtenir l’approbation de suffisamment d’actionnaires pour satisfaire aux deux interprétations possibles quant au seuil requis, et ce, jusqu’à ce qu’une modification subséquente vienne clarifier cette disposition.

Dispenses relatives aux occasions d’affaires

Les modifications apportées à l’ABCA offrent désormais la possibilité aux sociétés de prévoir une dispense relative aux occasions d’affaires à ses statuts ou à sa convention unanime des actionnaires – une première au Canada. Une telle dispense permet à la société de renoncer expressément à tout intérêt ou à toute attente de sa part quant à sa participation lorsqu’une occasion d’affaires précise se présente à elle ou à ses dirigeants, administrateurs ou actionnaires.

Cette dispense est dans l’intérêt des administrateurs et des dirigeants qui jouent un rôle au sein de multiples sociétés ou d’entreprises susceptibles de se concurrencer, comme c’est le cas des représentants de sociétés de capital de risque ou de fonds de capital-investissement, et qui siègent aux conseils d’administration des sociétés dans lesquelles ils ont investi. La dispense relative aux occasions d’affaires apporte davantage de certitude à ces administrateurs et dirigeants, dont la conduite pourrait autrement contrevenir aux obligations que leur impose la common law en faveur de chacune des sociétés. Ainsi, le régime législatif albertain risque d’être vu d’un meilleur œil, surtout pour la constitution de sociétés financées par capital de risque ou par capital-investissement.

Indemnisation des administrateurs et des dirigeants

Les modifications à l’ABCA élargissent également la portée de l’indemnisation en faveur des administrateurs et des dirigeants pour inclure les cas où ils sont impliqués dans une enquête, une poursuite ou une action de nature civile, criminelle, administrative ou autre sans y être partie. De plus, les nouvelles dispositions permettent aux sociétés de souscrire une assurance de la responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants dont ils bénéficieront même s’ils ont failli à leur devoir d’agir honnêtement et de bonne foi dans l’intérêt fondamental de la société. Les sociétés pourraient vouloir revoir leurs conventions d’indemnisation et polices d’assurance pour déterminer si des mises à jour sont souhaitables à la lumière de ces changements.

Autres changements visant à moderniser l’ABCA

Les modifications législatives ont également amené les changements suivants, qui contribuent dans l’ensemble à moderniser les exigences prévues à l’ABCA :

  • Exigences quant à l’audit : les actionnaires d’une société fermée peuvent désormais renoncer à l’exigence de nommer un auditeur au moyen d’une résolution spéciale (requérant l’intervention d’actionnaires détenant deux tiers des actions), plutôt que par approbation unanime de tous les actionnaires, qu’ils soient fondés à voter ou non.
  • Délai pour les avis d’assemblées aux actionnaires : le délai de préavis pour les assemblées des actionnaires des sociétés fermées est désormais d’au moins sept jours et d’au plus 60 jours (si les statuts de la société le prévoient). Auparavant, le délai était d’au moins 21 jours et d’au plus 50 jours. Les sociétés fermées qui souhaitent se prévaloir de cette marge de flexibilité devraient envisager de modifier leurs statuts pour autoriser ce délai de préavis plus long.
  • Reconstitution de sociétés dissoutes : une société peut être reconstituée jusqu’à 10 ans suivant sa dissolution, soit cinq ans de plus qu’auparavant. Les actionnaires, administrateurs, dirigeants et créanciers, ainsi que toute autre personne ayant conclu un contrat avec la société dissoute, bénéficient ainsi de plus de temps pour la reconstituer au besoin.
  • Levée de l’exigence de publier la date de référence : les sociétés ouvertes ne sont plus tenues de publier un préavis d’au moins sept jours de la date de référence dans le journal pour chaque assemblée des actionnaires. Cela a pour effet de réduire le temps requis pour convoquer une assemblée d’actionnaires lorsque les délais ont été abrégés en vertu des lois sur les valeurs mobilières applicables (comme lorsque l’assemblée vise à approuver une opération particulière).

Conclusion

Ces changements récents apportés à l’ABCA, tout comme les modifications précédentes visant à supprimer les exigences en matière de résidence pour les administrateurs, font partie des efforts en cours pour moderniser la législation applicable aux sociétés de l’Alberta dans le but de réduire leur fardeau administratif et d’attirer les entreprises dans cette province.