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La Cour divisionnaire rend une décision qui crée un précédent sur les privilèges hospitaliers

Auteur(s) : Paula Trattner, Isabelle Crew, Aislinn Reid

Le 26 juillet 2022

Le 18 juillet 2022, la Cour divisionnaire a rendu sa décision dans l’affaire Kadri c. Windsor Regional Hospital (la décision), [1] ce qui représente une victoire sans appel pour le client d’Osler, l’Hôpital régional de Windsor (WRH ou l’hôpital).

Dans sa décision qui crée un précédent sur les privilèges hospitaliers, la Cour divisionnaire a fait de nombreuses constatations qui soulignent que la non-conformité avec la politique de l’hôpital justifie la révocation des privilèges de médecins. Entre autres et comme indiqué ci-dessous, la Cour divisionnaire a soutenu que :

  1. « Aucun système de santé digne de ce nom ne peut fonctionner si un médecin en désaccord avec la politique de l’hôpital est libre d’agir selon son point de vue sur la façon dont les choses devraient être faites »;[2]
  2. « À première vue, le comportement d’un médecin (membre du personnel médical) perturbant et discréditant la politique établie de l’hôpital, ou visant à la perturber et à la discréditer, doit suffire à lui retirer ses privilèges »;[3]
  3. « Le fait de discréditer et de perturber le personnel suffit à justifier le refus de renouveler les privilèges d’un médecin ».[4]

Citant le conseil d’administration, la Cour divisionnaire a soutenu que « ce sont les actions, la conduite et le comportement du Dr Albert Kadri en réponse au nouveau modèle de soins qui ont causé la perte de ses privilèges. La perte de ses privilèges n’est pas le résultat d’un nouveau modèle de soins. Pour citer Shakespeare, Dr Albert Kadri a été pris “à son propre piège”, c’est-à-dire à cause de sa propre conduite. »[5]

Acte 1 : L’audience du conseil d’administration de l’hôpital

La référence shakespearienne est pertinente; la décision clôture un conflit qui dure depuis plusieurs années et de nombreuses procédures concernant les privilèges de Dr Kadri au WRH.

En 2017, pour donner suite aux recommandations émises lors d’un examen interne approuvé par le Réseau rénal de l’Ontario, WRH a mis en œuvre un nouveau modèle de soins pour le programme des maladies rénales de l’hôpital (le modèle de soins). En grande partie à cause de ses propres motivations financières, Dr Kadri s’est opposé au modèle de soins et a entrepris une campagne pour perturber la mise en œuvre du projet et y résister, que la Cour divisionnaire a qualifiée comme étant le « refus total et abject de la part de Dr Albert Kadri d’accepter ce qui était, au moment de sa mise en œuvre, la politique établie de l’Hôpital régional de Windsor ».[6]

En réponse à cette conduite perturbatrice, le 15 janvier 2019, le conseil d’administration de WRH a adopté les recommandations du Comité consultatif médical (le MAC) de refuser la demande de nomination de Dr Kadri en tant que membre du personnel médical de catégorie spécialisée, de révoquer ses privilèges au WRH, et de maintenir la suspension de ses privilèges en attente de l’épuisement de son droit d’appel conformément à la LHP (la Décision du conseil d’administration).

Acte 2 : L’appel de la CARPS

La Commission d’appel et de révision des professions de la santé (la « CARPS ») a mené une audience de novo pendant 37 jours, et la procédure a duré du 21 novembre 2019 au 21 janvier 2021. Après avoir examiné les témoignages de 48 témoins et des milliers de pages de preuves documentaires, la CARPS a rendu sa décision le 6 juillet 2021 (la Décision de la CARPS).[7] La CARPS a constaté que le comportement, les actions et la conduite de Dr Kadri justifiaient la suspension et la révocation de ses privilèges, et par conséquent, il ne satisfaisait pas aux qualifications et aux critères de renouvellement de sa nomination en tant que membre du personnel médical de l’Hôpital régional de Windsor.[8]

Acte 3 : L’appel de la Cour divisionnaire

Dr Kadri a fait appel de la décision de la CARPS auprès de la Cour divisionnaire et a grandement axé ses observations sur ce qu’il considère comme étant un manquement de la part de la CARPS à son obligation de prendre en compte les avantages relatifs du modèle de soins, et sur sa théorie selon laquelle le modèle de soins avait été mis en œuvre de mauvaise foi.

La Cour divisionnaire a rejeté la totalité de ces arguments, jugeant que l’affaire en question ne portait pas sur « le choix de l’hôpital pour le modèle de soins, les moyens de sa sélection ou de sa mise en œuvre. L’affaire porte sur le comportement de Dr Albert Kadri, et doit déterminer s’il est justifié de révoquer ses privilèges. »[9]

La Cour divisionnaire a estimé qu’aucune preuve n’étayait les allégations de mauvaise foi de Dr Kadri et que ces allégations constituaient une attaque collatérale contre le modèle de soins.[10]

La Cour a également rejeté l’argument de Dr Kadri selon lequel ses motivations « éthiques » de résister à la politique de l’hôpital étaient pertinentes, estimant qu’« aucun système de santé digne de ce nom ne peut fonctionner si un médecin en désaccord avec la politique de l’hôpital est libre d’agir selon son point de vue sur la façon dont les choses devraient être faites ».[11] La Cour a fermement rejeté la contestation selon laquelle « l’hôpital fournit l’infrastructure pour que les médecins puissent faire ce qu’ils croient être approprié ».[12]

Ayant résolument déterminé que la question du litige portait sur la conduite de DKadri, la Cour divisionnaire a examiné si cette conduite pouvait justifier la révocation de ses privilèges. La Cour a définitivement conclu que sa conduite le justifiait, et a constaté, entre autres, que :

  1. Dr Kadri « a travaillé ouvertement et avec véhémence contre la mise en œuvre du modèle de soins, au détriment de l’hôpital et des efforts déployés par son personnel pour travailler dans le cadre établi pour avantager et aider les patients »;[13]
  2. « La conduite et le comportement de Dr Albert Kadri étaient de nature à perturber les efforts déployés pour mettre en œuvre le nouveau modèle de soins, et Dr Albert Kadri, en tant que membre expérimenté du personnel médical, aurait dû savoir que c’était le cas. Cela permettrait de conclure que ces actions visaient à discréditer les efforts déployés par l’Hôpital régional de Windsor et son personnel »;[14]
  3. « La présence de préjudice pour les patients, même potentielle, en raison du comportement de DrAlbert Kadri est évidente. Le stress et la confusion au sein du personnel mettent inévitablement les patients en danger, non seulement ceux de Dr Kadri, mais également tous les patients pris en charge par le personnel ».[15]

La Cour divisionnaire a conclu que : « à première vue, le comportement d’un médecin (membre du personnel médical) perturbant et discréditant la politique établie de l’hôpital, ou visant à la perturber et à la discréditer, doit suffire à lui retirer ses privilèges ».[16] La Cour a jugé que « pour qu’un médecin s’associe avec un hôpital, il est fondamental que ce médecin soit tenu d’adhérer aux « règles, aux règlements, à la vision et au plan stratégique » de l’hôpital », faute de quoi l’établissement ne pourrait pas fonctionner dans l’intérêt fondamental de ses patients.[17]

Conclusion

La décision fournit l’orientation la plus éclairée de la Cour divisionnaire à ce jour sur plusieurs questions clés en matière de privilèges des médecins, notamment sur les points suivants : (1) la portée appropriée de l’enquête est la conduite du médecin, et la motivation pour une telle conduite n’est pas pertinente; (2) perturber la politique de l’hôpital ou y résister est en soi suffisant pour justifier la révocation des privilèges; (3) si un médecin est en désaccord avec la politique de l’hôpital, il a le recours d’exercer ailleurs, et non de discréditer la politique; (4) lorsque l’on examine les préjudices causés aux patients, il convient de ne pas se concentrer sur les patients du médecin uniquement, mais sur tous les patients au sein du même système; (5) discréditer et perturber le personnel de l’hôpital suffit à justifier la décision de refuser le renouvellement des privilèges d’un médecin.

Osler a agi à titre d’avocat-conseil pour le WRH pour chacune des procédures mentionnées ci-dessus. Bien que Dr Kadri puisse demander à la Cour d’appel de l’Ontario l’autorisation d’interjeter appel de la décision, nous ne pensons pas que cette demande d’autorisation sera acceptée.


[1] Kadri v Windsor Regional Hospital, 2022 ONSC 4016 (C. div.) [Décision].

[2] Décision, paragr. 49, 58.

[3] Décision, paragr. 67.

[4] Décision, paragr. 127.

[5] Décision, paragr. 116.

[6] Décision, paragr. 29.

[7] Kadri v Windsor Regional Hospital, 2021 CanLII 57862 (CARPS) [Décision de la CARPS].

[8] Décision de la CARPS, paragr. 131 à 133.

[9] Décision, paragr. 59.

[10] Décision, paragr. 66 et 116.

[11] Décision, paragr. 58.

[12] Décision, paragr. 49.

[13] Décision, paragr. 49.

[14] Décision, paragr. 107.

[15] Décision, paragr. 128.

[16] Décision, paragr. 67.

[17] Décision, paragr. 67.