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Affaires récentes ayant une incidence sur les conventions entre actionnaires en Ontario

Auteur(s) : Kai Sheffield, Tina Mirzaei

Le 29 février 2024

Les conventions entre actionnaires constituent, pour les sociétés fermées en Ontario et dans la plupart des autres ressorts canadiens, un outil important permettant d’établir des mécanismes de gouvernance entre les actionnaires. Elles sont d’une importance cruciale pour les actionnaires majoritaires, tels que les sociétés de financement par capitaux propres, qui souhaitent exercer sur la gestion de leur société un contrôle efficace et pragmatique. À l’inverse, elles offrent aux actionnaires minoritaires la possibilité d’établir et de protéger leurs droits. Deux décisions récentes de la Cour d’appel de l’Ontario fournissent des directives importantes sur la manière dont certaines dispositions d’usage courant dans les conventions entre actionnaires peuvent être interprétées lorsque les intérêts de la majorité et ceux de la minorité divergent.

Renonciation aux protections accordées aux actionnaires minoritaires par la loi

Dans l’affaire Husack v. Husack, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision du tribunal de première instance selon laquelle un actionnaire minoritaire ne pouvait pas exercer le droit à la dissidence prévu par la loi relativement à la vente de la quasi-totalité des actifs de la société dont il était actionnaire. Le tribunal est parvenu à cette conclusion bien que la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (LSAO) prévoie un droit à la dissidence dans de telles circonstances et n’envisage pas expressément la possibilité que les actionnaires puissent le modifier ou y renoncer au moyen d’une convention entre actionnaires. L’affaire portait sur la liquidation des actifs d’une société contrôlée par une famille, conformément au testament d’un défunt membre de la famille. Dans ce cas, la convention entre actionnaires autorisait expressément l’actionnaire majoritaire à faire en sorte que la société procède à la vente de la quasi-totalité de ses actifs. En outre, elle contenait une clause rédigée de manière générale suivant laquelle les actionnaires renonçaient à tous les droits que la LSAO leur conférait et qui entraient en conflit avec la convention entre actionnaires, sans que le droit à la dissidence y soit mentionné expressément.

Bien que la clause de renonciation prévue dans la convention entre actionnaires ait été rédigée de manière générale et ne fasse pas référence à des dispositions ou à des droits particuliers prévus par la LSAO, le tribunal de première instance a estimé que l’intention de renoncer au droit à la dissidence était « claire et sans ambiguïté » (clear and unambiguous). L’octroi à l’actionnaire majoritaire du pouvoir exclusif de vendre la totalité ou la quasi-totalité des actifs de la société était suffisamment clair pour déposséder les actionnaires de leur droit d’approbation et de leur droit à la dissidence dans le cadre d’une telle vente en vertu de la LSAO. Le tribunal de première instance a noté que les clauses de renonciation portant sur des avantages conférés par la loi étaient généralement applicables lorsqu’il n’y a aucune raison liée à l’ordre public de ne pas les appliquer, et qu’aucune raison de ce type n’avait été établie en l’espèce. En confirmant la décision du tribunal de première instance, la Cour d’appel s’est également penchée sur la « raison d’être » (constituent purpose) de la société, qui, en l’occurrence, était de gérer et d’exploiter ses actifs conformément au testament du défunt.

L’affaire Husack indique qu’une convention entre actionnaires soigneusement rédigée peut bénéficier d’un degré important de retenue judiciaire, même lorsqu’elle comprend des dispositions portant renonciation à d’importantes protections accordées aux actionnaires minoritaires par la loi.

Respect des modalités des dispositions de rachat d’actions

Dans l’affaire Leeder Automotive Inc. v. Warwick, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé qu’une société qui avait prétendu exercer, à l’égard des actions d’un actionnaire minoritaire, un droit de rachat prévu par la convention entre actionnaires (appelé « droit de première considération » (right of first consideration)) avait répudié les dispositions d’achat-vente de la convention entre actionnaires en faisant une offre d’achat non conforme aux dispositions relatives aux évaluations de la convention entre actionnaires. L’affaire portait sur une convention entre actionnaires prévoyant un « mécanisme d’achat-vente » (buy-sell mechanism) suivant lequel tout actionnaire qui souhaitait vendre ses actions devait d’abord remettre un avis en ce sens à la société. La société avait le droit d’acheter les actions, moyennant remise d’un avis à l’actionnaire vendeur, à un prix établi conformément à la procédure d’évaluation prévue dans la convention entre actionnaires.

La Cour d’appel a confirmé la conclusion du tribunal de première instance selon laquelle la société avait violé de façon substantielle les modalités des dispositions d’achat-vente. Elle a estimé que l’actionnaire, en remettant son avis à la société, et la société, en acceptant l’offre de vente de l’actionnaire, avaient conclu un contrat indépendant. Toutefois, en ne respectant pas les modalités essentielles de la convention entre actionnaires, la société a répudié le contrat indépendant. La société a violé de façon substantielle la convention entre actionnaires de la façon suivante :

  1. elle a choisi de manière unilatérale un évaluateur non indépendant, alors que la convention entre actionnaires exigeait que les parties choisissent d’un commun accord un évaluateur indépendant
  2. elle a réalisé l’évaluation requise avant la date prévue pour celle-ci dans la convention entre actionnaires
  3. elle s’est fondée sur une évaluation non vérifiée établie sur la base d’un « avis au lecteur » non conforme aux PCGR, contrairement à ce que la convention entre actionnaires exigeait expressément

En tant que partie non défaillante, l’actionnaire minoritaire avait le droit de choisir de donner suite au contrat malgré le fait qu’il avait été violé ou de le résilier. Il a choisi de mettre fin à l’opération d’achat d’actions et de rester actionnaire minoritaire au sein de la société. Les motifs du tribunal n’abordent pas la question du statut des dispositions d’achat-vente de la convention entre actionnaires dans l’éventualité où l’actionnaire déciderait de vendre ses actions un jour prochain. Ils suggèrent que seul le contrat indépendant découlant des dispositions d’achat-vente a été répudié, et non les dispositions sous-jacentes de la convention entre actionnaires.

L’affaire Warwick démontre qu’il est important de respecter à la lettre les modalités de la convention entre actionnaires lorsque l’on exerce des droits d’achat en vertu de celle-ci, et que les actionnaires minoritaires disposent de certains recours en cas de non-respect de ces modalités. Elle souligne également l’importance d’examiner attentivement les modalités des dispositions d’achat-vente au moment de leur rédaction.