Passer au contenu

L’économie, l’inflation et la COVID-19 selon Stephen Poloz, conseiller spécial d’Osler

Auteur(s) : Stephen Poloz

Sep 29 2020

Après six mois de perturbations extrêmes de l’économie nord-américaine causées par la pandémie mondiale, les entreprises canadiennes et les divers secteurs tentent de planifier l’avenir à un moment où celui-ci est encore très incertain. Composer avec l’incertitude est un impératif stratégique – notamment en tirant parti des nouvelles possibilités de croissance – qui continuera à s’imposer.

Au cours d’un événement pour les clients tenu le 10 septembre 2020, Stephen Poloz, conseiller spécial d’Osler, a fait part de ses réflexions sur la façon de composer avec l’« inconnaissable » et a abordé plusieurs sujets de l’heure, dont les effets de la pandémie de COVID-19 sur la mondialisation et l’économie canadienne ainsi que le lien entre de récentes dépenses gouvernementales et l’inflation.

Vous trouverez ci-dessous les principaux points abordés par Stephen, y compris les réponses qu’il a données à certaines questions qui lui ont fréquemment été posées au cours des derniers mois.

L’économie se remettra de la COVID-19 ou aura-t-elle subi des dommages irréparables?

Personne ne connaît la réponse à cette question. L’essentiel est de reconnaître cette incertitude, de recueillir plus de conseils que vous ne le feriez en temps normal et d’élaborer par la suite une série de scénarios plausibles – du meilleur au pire – pour votre entreprise. En gardant vos options ouvertes – plutôt que de vous concentrer sur un scénario entre les deux comme plusieurs conseils semblent faire –, vous serez plus en mesure de vous orienter vers celui qui se concrétisera dans les faits.

Les données du deuxième trimestre ont été publiées à la fin du mois d’août et la situation n’était pas aussi mauvaise que prévu. L’économie s’était, dans l’ensemble, replié de 13,6 % depuis le début de la COVID-19, mais cette baisse était de 2 % inférieure à ce qu’avait prédit la Banque du Canada le mois précédent. De plus, le revenu disponible de la population a connu une hausse de plus de 11 % – en partie grâce aux programmes d’aide du gouvernement – et les gens ont économisé plus de 25 % de leur revenu puisqu’ils n’avaient nulle part où dépenser en cette période marquée par la fermeture des commerces. Ces épargnes ont contribué à renforcer la résilience de l’économie. En outre, la production a continué d’augmenter après le creux atteint par l’économie en avril – vers la fin du mois de juillet, l’économie avait repris 95 % de la vigueur qu’elle avait connue en février. Bien que trois millions de personnes aient perdu leur emploi en raison de la pandémie, deux millions sont retournés sur le marché du travail. Ce sont les secteurs de l’hôtellerie et du voyage qui connaissent le plus haut taux de chômage. Certes, les gens ne vont plus au restaurant et ne partent pas en vacances, mais il est important de se demander ce qu’ils font plutôt avec leur argent. Par conséquent, je crois que les données témoignent d’une meilleure situation que celle que les plus pessimistes appréhendaient et, compte tenu de la résilience de l’économie, j’estime que cette tendance se maintiendra.

Est-ce vraiment la fin de la mondialisation?

En apparence, la réponse est oui – du moins telle que nous la connaissons actuellement. Considérant les guerres commerciales, les débats enflammés sur les réseaux 5G, la dissociation géopolitique de la Chine et le « choc COVID » – à la suite duquel personne ne veut dépendre d’un autre pays pour l’approvisionnement essentiel – certains pensent que la tendance à la mondialisation qui existe depuis 20 ans prendrait fin dès maintenant. D’autres prédisent une démondialisation, également appelée « délocalisation intérieure » ou « relocalisation ». J’en doute toutefois, car la mondialisation est une force de la nature et il pourrait être risqué de tenter de la restreindre.

Il est important de tenir compte de l’origine de la chaîne d’approvisionnement mondiale et de l’avantage de faire appel aux compétences extraterritoriales si cela permet de réduire les coûts. La mondialisation a été rendue possible d’une part grâce aux progrès de l’informatique qui ont permis un suivi logistique mondial et, d’autre part, avec l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001. La chaîne d’approvisionnement est en constante évolution. Elle demeure incertaine.

La pandémie a modifié la formule de la mondialisation. Pensez, par exemple, aux conséquences de la nécessité d’une distanciation sociale au travail. Les entreprises devront accélérer le déploiement de l’automatisation ou de l’intelligence artificielle (IA) en réponse à ce besoin – notamment en plaçant un robot entre les travailleurs pour que ces derniers soient à deux mètres l’un de l’autre. Une diminution du nombre de travailleurs en résulte et d’autres coûts liés à la chaîne d’approvisionnement mondiale gagneront en importance, comme le contrôle de la qualité, la surveillance à distance et le risque de perturbations dues aux politiques commerciales.

Il est essentiel de comprendre que les gouvernements qui obligent les entreprises à relocaliser leurs activités feront, en parallèle, inévitablement augmenter l’automatisation, ce qui signifie moins d’emplois dans le pays. La stratégie finit donc par se retourner contre eux. De plus, le fait d’accroître les coûts de production entraînera une hausse importante du prix du produit qui, à son tour, réduira la demande et mènera par conséquent à la perte d’emplois dans l’ensemble de l’entreprise, et ce, de l’usine de production à la direction.

Je m’attends à une réorganisation de la chaîne d’approvisionnement, sans doute accompagnée d’une certaine relocalisation, qui ferait par ailleurs appel à l’automatisation ou à l’IA, assurant une distanciation sociale et réduisant les risques, ainsi qu’à une multitude de fournisseurs, de sorte que les entreprises ne dépendent pas d’un seul pays pour obtenir leurs pièces, et enfin une « délocalisation à proximité » qui comporte de tirer profit des accords commerciaux entre pays rapprochés comme l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).

Ces dépenses du gouvernement préparent-elles le terrain pour une inflation à venir?

Les emprunts du gouvernement connaissent une augmentation considérable. Le Fonds monétaire international (FMI) s’attend à ce que la dette publique mondiale dépasse 100 % du produit intérieur brut (PIB) mondial cette année. Certains affirment qu’il est possible de gérer l’endettement parce que les taux d’intérêt sont bas et le resteront probablement – et je suis d’accord avec ce point de vue pour l’essentiel.

La viabilité de la dette publique interagit avec la croissance économique; le principal facteur à considérer est de savoir si le taux d’intérêt réel est inférieur au taux de croissance de l’économie. Il est possible de maintenir un niveau d’endettement élevé si le service de la dette gruge le niveau inférieur de l’endettement. De plus, si le gouvernement dépense de manière judicieuse – par exemple, en investissant dans la croissance économique future – cela contribue à la viabilité de la dette. Nous pouvons nous attendre à voir des investissements dans les infrastructures physiques, mais aussi à ce que l’accent soit mis sur les infrastructures sociales au moyen d’initiatives comme les garderies universelles. Bien que leur mise en place soit coûteuse pour les gouvernements, les garderies universelles peuvent être considérées comme un investissement dans l’utilisation de la main-d’œuvre qui, à son tour, stimulera le taux de croissance de l’économie et rendra la dette plus viable.

Les banques centrales et les gouvernements réagissent avec dynamisme pour combler le vide laissé par la bombe COVID. Elles le remplissent avec de l’argent ou des liquidités pour aider la population à survivre à la crise.

Des initiatives gouvernementales comme la prestation canadienne d’urgence (PCU) ont fourni le soutien dont les gens avaient besoin pour rester à flot. Entre temps, l’économie s’adapte, et une fois que nous aurons retrouvé une certaine forme d’équilibre, le gouvernement pourra cesser d’y injecter des liquidités.

Des signes avant-coureurs laissent croire que cette approche est efficace. Ces programmes d’aide contribuent à stabiliser les entreprises et l’économie et, de surcroît, le marché boursier est en bonne santé. Les prix du pétrole ont été quelque peu bas ces derniers temps, mais ils se sont autrement relativement bien maintenus, alors que d’autres produits de base comme le bois d’œuvre et le nickel ont la cote. On en a fait assez pour éviter la déflation et il est également peu probable qu’il y ait une flambée importante de l’inflation. Bien que personne ne sache vraiment comment tout cela se terminera, je crois que ce sera mieux que ce que les pessimistes prédisent.

Lors de la séance de questions et réponses qui a suivi sa présentation, Stephen a expliqué davantage le lien entre le déficit et l’inflation, puis a souligné le rôle de l’investissement dans les infrastructures dans la reprise post-COVID. Enfin, il a souligné que l’investissement canadien dans les ressources vertes et l’éducation était la voie de l’avenir.

Accéder à une rediffusion du webinaire (en anglais).

À titre d’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen doit respecter certaines restrictions qui lui sont imposées et qui s’appliquent à ses présentations et discussions. Ses remarques reflètent son point de vue personnel et ne représentent pas l’opinion de la Banque du Canada, de son ancien bureau, du gouvernement du Canada ou de l’un de ses ministères. Il a préparé sa présentation selon des données et des renseignements accessibles au public.