Blogue sur la défense dans le cadre d’actions collectives intentées au Canada

La Cour d’appel adopte une approche téléologique pour confirmer la certification d’un recours collectif en matière de valeurs mobilières contre une plateforme de négociation de cryptoactifs La Cour d’appel adopte une approche téléologique pour confirmer la certification d’un recours collectif en matière de valeurs mobilières contre une plateforme de négociation de cryptoactifs

31 mars 2025 5 MIN DE LECTURE

La récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Lochan v. Binance Holdings Limited [1] donne un aperçu de l’approche adoptée par les tribunaux ontariens à l’égard des recours collectifs en matière de valeurs mobilières concernant des cryptomonnaies. La Cour a confirmé la certification d’un recours collectif pour les Canadiens et les Canadiennes qui ont acheté des produits dérivés de cryptomonnaies par l’intermédiaire d’une plateforme de négociation exploitée par Binance. Un litige concernant des questions d’ordre réglementaire soulevées dans le cadre du recours collectif est en cours entre la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et Binance.

Contexte

Binance ne s’est pas inscrite auprès de la CVMO en qualité de courtier en valeurs mobilières et n’a pas non plus déposé de prospectus ou remis de prospectus aux acheteurs. Les demandeurs allèguent que la vente de produits dérivés par l’intermédiaire de la plateforme de Binance constituait un placement de valeurs mobilières sans prospectus, en contravention des paragraphes 53(1) et 71(1) de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario[2] (la Loi). Les demandeurs demandent l’annulation de l’achat ou des dommages-intérêts.

Comme nous l’indiquions précédemment, Binance a présenté une motion en suspension du recours collectif au motif que ses conditions d’utilisation exigeaient l’arbitrage [3]. La motion en suspension de Binance et l’appel qui s’en est suivi ont été rejetés [4].

Le juge Morgan a ensuite certifié le recours collectif [5]. Il a estimé qu’il n’était pas clair et évident que la demande des demandeurs ne comportait aucune cause d’action et qu’il y avait « une certaine base factuelle » (some basis in fact) pour les autres critères de certification.

Motifs de la Cour d’appel

Les motifs de la Cour d’appel se concentrent principalement sur le critère de la cause d’action et comprennent l’analyse de la Cour d’appel sur les arguments concernant le champ d’application de la Loi, y compris : 

  • Binance a soutenu qu’il ne pouvait y avoir de contravention au titre du paragraphe 71(1) de la Loi (et par extension, aucun droit d’action au titre du paragraphe 133(1) de la Loi) à moins qu’un prospectus n’ait été déposé mais n’ait pas été remis à un acheteur. Binance s’appuie sur le libellé du paragraphe 71(1) : « Le courtier […] doit […] remettre [à l’acheteur] le dernier prospectus déposé et toute modification qui y a été apportée ». Étant donné qu’aucun prospectus n’a été déposé, Binance a soutenu que les paragraphes 71(1) et 133(1) ne s’appliquaient pas.

S’exprimant au nom d’une Cour d’appel unanime, le juge Monahan, a noté que « [traduction libre] compte tenu de l’utilisation du mot « déposé » à l’article 71 […] la demande de réparation [des demandeurs] en vertu de l’article 133 pourrait bien se révéler infructueuse au procès », mais il a conclu qu’à ce stade, la demande n’était pas « vouée à l’échec » (certain to fail) et qu’elle satisfaisait donc au critère de la cause d’action prévu à l’alinéa 5(1)(a). En outre, le juge Monahan a déclaré que l’interprétation de Binance semblait incompatible avec les objectifs de la Loi.

  • Binance a également fait valoir que la définition de « opération » à l’article 1 de la Loi englobait à la fois les acheteurs et les vendeurs et que, par conséquent, si les allégations des demandeurs étaient correctes, les membres du groupe auraient eux-mêmes illégalement effectué une opération sur valeurs mobilières (c’est-à-dire en omettant de déposer un prospectus). Binance a fait valoir que cela priverait les acheteurs de toute cause d’action en common law fondée sur une prétendue violation des dispositions de la Loi relatives aux prospectus.

La Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas clair et évident que le législateur avait l’intention d’abroger le droit de réparation en common law pour défaut de déposer un prospectus comme le prévoit le paragraphe 53(1) de la Loi. Le juge Monahan s’est également demandé « [traduction libre] comment […] des milliers d’investisseurs non avertis [auraient] entrepris la tâche complexe de préparer un prospectus avant de cliquer sur leur produit dérivé de cryptomonnaies de leur choix sur le site Web de Binance ».

Points à retenir

Comme la Cour d’appel l’a précisé tout au long de la procédure, cette décision était fondée sur les normes applicables au stade de la certification, y compris la norme de clarté et d’évidence (“plain and obvious” standard) applicable au critère de la cause d’action. Cependant, l’approche de la Cour peut également refléter – du moins en partie – le fait qu’il reste des questions d’ordre réglementaire à trancher dans le cadre de certaines procédures, et elle suggère une tendance à laisser les demandes concernant de telles questions non réglées dépasser le stade de la certification.

Nous continuerons à suivre cette action et d’autres litiges touchant les cryptomonnaies et à en rendre compte.


[1]      2025 ONCA 221.

[2]      L.R.O. 1990, ch. S.5.

[3]      2023 ONSC 6714.

[4]      2024 ONCA 784.

[5]      2024 ONSC 2302.