Auteurs(trice)
Associée, Droit des sociétés, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Stagiaire en droit, Toronto
Le 10 octobre 2024, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») a publié le document de consultation 81-737 [PDF, en anglais] concernant sa proposition visant à améliorer l’accès des investisseurs individuels aux actifs illiquides à long terme (les actifs à long terme) au moyen de structures de produits de fonds d’investissement (la proposition). Les actifs à long terme sont considérés comme des actifs illiquides qui ne peuvent pas être facilement cédés, qui peuvent être difficiles à évaluer et qui ont généralement des horizons de placement plus longs que les autres types d’actifs. Le capital de risque, le capital-investissement, la dette privée, les hypothèques, l’immobilier, les infrastructures et les projets liés aux ressources naturelles font partie des actifs à long terme.
La CVMO a remarqué que les investisseurs individuels ne disposent actuellement que de peu de moyens d’investir dans des actifs à long terme (p. ex., en achetant les titres d’une société ouverte qui possède divers actifs à long terme). De nombreux actifs à long terme sont financés par des acteurs privés et ne sont pas disponibles pour les investisseurs individuels. Les émetteurs ont également de plus en plus tendance à demeurer privés pendant de plus longues périodes ou à renoncer complètement à faire un appel public à l’épargne. Constatant ces limites, la CVMO a proposé de créer une nouvelle catégorie de fonds d’investissement (appelée Fond d’actifs à long terme de l’Ontario, FALO) qui offrirait aux investisseurs individuels la possibilité d’investir dans des actifs à long terme. Cette proposition s’inscrit dans le cadre de l’objectif du gouvernement de l’Ontario de trouver des façons novatrices de financer le transport, le logement, l’énergie et les services municipaux.
Structure proposée pour le FALO
S’il voit le jour, le FALO aurait comme objectif principal d’investir les fonds apportés par les porteurs de titres (comme c’est le cas pour d’autres fonds d’investissement, et non pas d’exercer un contrôle sur un émetteur ou de participer activement à la gestion d’un émetteur) sans être soumis aux restrictions sur les actifs illiquides applicables aux autres fonds d’investissement. Les FALO deviendraient des émetteurs assujettis en Ontario par voie d’une offre visée par un prospectus, mais n’auraient pas de titres cotés et/ou négociés sur un marché au Canada, étant donné que, comme il est envisagé, ils ne seraient accessibles qu’aux investisseurs de l’Ontario. De plus, selon la proposition, les FALO seraient obligés de détenir un pourcentage minimal d’actifs à long terme, ainsi qu’un pourcentage maximal pour s’assurer qu’ils possèdent suffisamment d’actifs liquides pour honorer les demandes de rachat.
La proposition envisage également que les FALO puissent être soit à durée déterminée, ce qui pourrait convenir pour le financement d’infrastructures ou d’autres projets d’aménagement assortis de dates d’achèvement prévues, soit permanents. Tout risque de liquidité découlant de rachats et d’asymétries de financement devra être divulgué et géré efficacement.
D’après la proposition, les FALO devront investir dans des actifs à long terme au moyen de titres de véhicules de placement collectif (VPC) sous-jacents. Les VPC seront des émetteurs qui investissent dans des actifs à long terme et seront tenus d’avoir un investisseur principal averti (comme une caisse de retraite ou tout autre investisseur institutionnel). Les FALO devront également être gérés par un gestionnaire de fonds d’investissement (un GFI) inscrit, les actifs du portefeuille étant sélectionnés et surveillés par un gestionnaire de portefeuille (un GP) inscrit. La participation d’investisseurs principaux, de GFI et de GP a pour but d’atténuer les risques pour les investisseurs individuels grâce aux compétences et à l’expérience de ces acteurs.
La CVMO a déterminé ce qu’elle a considéré comme des enjeux relatifs aux seuils lorsqu’elle a défini les exigences qui devraient s’appliquer aux FALO, et a ensuite énoncé son avis actuel sur la façon dont ils devraient être traités :
- Rachats : Dans la proposition, il est reconnu que les restrictions de rachat peuvent être utiles pour aider les fonds à gérer la liquidité, mais que des restrictions trop strictes réduiront l’attrait des placements dans les FALO. Pour remédier à ce problème, la CVMO a proposé de préciser des restrictions de rachat selon plusieurs fréquences (mensuelle, trimestrielle, semestrielle ou annuelle) et de permettre aux FALO de choisir l’une de ces fréquences.
- La CVMO a suggéré que le total des rachats par période soit plafonné à 10 % par année (au minimum) afin de gérer la liquidité, et qu’un préavis de rachat maximal de 30 jours soit autorisé pour favoriser les préférences de liquidité des investisseurs. La CVMO envisage que les rachats puissent être effectués à un escompte de la valeur liquidative (la VL) et que le paiement du produit du rachat puisse être reporté jusqu’à 15 jours après la date de l’évaluation. La CVMO envisage également des suspensions périodiques temporaires des rachats afin de permettre aux FALO de corriger les asymétries de liquidité.
- La proposition envisage des restrictions de rachat potentiellement plus strictes pour les FALO à durée déterminée, comme des restrictions applicables à la période initiale de croissance (p. ex., pendant la première année, les deux premières années ou les trois premières années), l’obligation de rembourser tout produit de rachat après chaque sortie du VPC ou résiliation du fonds, ou peut-être même la possibilité d’autoriser la création de FALO à durée déterminée sans droits de rachat ou avec des droits de rachat très restrictifs.
- Évaluation (VL) : La proposition reconnaît qu’il serait probablement difficile de calculer la VL des FALO en continu, puisque les actifs à long terme ne seraient pas cotés en bourse. Pour remédier à ce problème, la CVMO a proposé d’exiger que les FALO soient évalués de manière indépendante au moins une fois par année.
- Surveillance, examen et gouvernance : En plus d’exiger que les FALO mettent en place un comité d’examen indépendant pour examiner les conflits d’intérêts (comme c’est le cas d’autres fonds d’investissement qui sont des émetteurs assujettis), la CVMO a proposé d’ajouter une exigence selon laquelle :
- les FALO doivent être structurés comme des sociétés et avoir un conseil d’administration indépendant
- les GFI doivent divulguer comment ils gèrent un portefeuille d’actifs à long terme dans l’intérêt d’un FALO et de ses porteurs de titres
- les GFI doivent divulguer comment ils déterminent si les actifs à long terme sont évalués à leur juste valeur dans le cadre du calcul de la VL
- les FALO doivent faire évaluer leurs actifs à long terme de manière indépendante
- Divulgation : La CVMO a proposé de mettre en place un nouveau formulaire de prospectus pour les FALO, un nouveau document de communication de l’information sommaire (semblable à un Aperçu du fonds) et un nouveau rapport de la direction sur le rendement du fonds, chacun adapté aux caractéristiques uniques des FALO. Les FALO seraient également tenus d’inclure la mention « Fonds à long terme de l’Ontario » dans leur nom. Seuls les fonds qui respectent toutes les exigences relatives aux FALO seraient autorisés à utiliser ce nom.
- Restrictions d’investissement : Pour que les FALO puissent investir dans des actifs à long terme, la partie 2 du Règlement 81-102 – Fonds d’investissement devra être modifiée. Plus précisément, la CVMO a proposé d’exiger des FALO qu’ils investissent entre 50 % et 90 % de leur VL dans des actifs à long terme, ce qui leur permettrait de gérer leurs besoins de liquidités sans entraîner une dilution importante des primes d’illiquidité ou des avantages de la diversification.
- Comme solution de rechange, la CVMO a demandé si, plutôt que d’imposer des pourcentages de liquidité minimum et maximum, les FALO pourraient être autorisés à se fixer eux-mêmes leurs propres paramètres de liquidité de manière souple, dans la mesure où ceux-ci tiennent compte des rachats prévus afin de minimiser les conséquences du risque de liquidité.
- Les FALO seraient également soumis à des restrictions de concentration (à savoir, ne pas investir plus de 10 % de la VL dans un même actif pour les FALO permanents, et pas plus de 20 %, après une période initiale de croissance, pour les FALO à durée déterminée) afin d’optimiser les avantages de la diversification liés à la détention d’actifs à long terme au moyen de structures de produits de fonds d’investissement.
- Enfin, la CVMO a estimé a priori que les dettes des FALO devraient être limitées à 10 % de leur plus récente VL au moment de faire un emprunt, sans effet de levier supplémentaire autorisé, sous réserve d’une exception pour gestion temporaire de la liquidité.
- VPC : La proposition exigerait que les FALO détiennent des actifs à long terme au moyen d’un ou de plusieurs VPC, c’est-à-dire tout émetteur dont l’objectif principal est d’investir dans un ou plusieurs actifs à long terme. Un FALO ne pourrait pas détenir plus de 10 % des fonds propres d’un VPC, et chaque VPC devrait avoir un investisseur principal ou des investisseurs principaux détenant au moins 10 % des fonds propres du VPC. Les droits de sortie des investisseurs principaux seraient proportionnels aux droits de sortie des FALO. La CVMO a reconnu que l’obligation de passer par des VPC pourrait être mieux adaptée aux FALO à durée déterminée.
- Distribution : La proposition prévoit que les titres du FALO soient offerts par l’entremise de courtiers en valeurs mobilières supervisés par l’Organisme canadien de réglementation des investissements et/ou de gestionnaires de portefeuille inscrits auprès d’organismes de réglementation des valeurs mobilières canadiens. De plus, si le FALO est un fonds de placement, les titres du FALO pourraient être distribués par des courtiers en fonds de placement qui distribuent des fonds de placement non traditionnels. Compte tenu des caractéristiques uniques des FALO, la CVMO a initialement déclaré qu’il serait approprié d’en restreindre l’accès par l’entremise de courtiers qui exécutent seulement des ordres.
La CVMO a sollicité des commentaires sur la proposition, et la date limite pour en soumettre a été fixée au 7 février 2025.
Réactions à la proposition
La proposition a suscité divers commentaires, certaines parties prenantes applaudissant la CVMO pour cette initiative et d’autres mettant en doute son utilité et son intérêt potentiel.
Certaines parties prenantes ont indiqué que la proposition constituait une étape importante vers la démocratisation des marchés de capitaux privés. Selon ces parties prenantes, de nombreux investisseurs individuels sont intéressés par des occasions d’investissement qui sont actuellement réservées aux investisseurs institutionnels, aux investisseurs qualifiés ou aux Canadiens qui adhèrent à des régimes de retraite, et la structure des FALO permettrait à un plus grand nombre de ces investisseurs individuels d’accéder à ce marché. D’après d’autres parties prenantes, les FALO pourraient constituer une nouvelle source de capitaux essentielle pour les entreprises, et soutenir la croissance des projets d’infrastructure et des projets liés aux ressources naturelles partout en Ontario.
Bien que de nombreuses parties prenantes aient manifesté un intérêt général pour la création de FALO, plusieurs modifications au règlement proposé ont été suggérées. Par exemple, certains commentateurs ont recommandé d’harmoniser davantage le règlement avec le cadre actuel des fonds de placement, de supprimer l’exigence relative à l’investisseur principal, et d’assouplir davantage le règlement proposé pour permettre aux GFI et aux GP de tenir compte des caractéristiques d’investissement uniques de certains actifs à long terme.
Un certain nombre de commentateurs se sont dits préoccupés par le fait que la proposition comportait des risques qui causeront plus de tort que de bien aux investisseurs individuels. De nombreux commentateurs se sont demandé si la demande des investisseurs individuels était suffisante pour ce type d’investissement et si cette demande limitée justifiait réellement les coûts et les ressources réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de la proposition. Dans le même ordre d’idées, certains commentateurs craignent que la complexité de la structure des FALO érode les primes d’illiquidité qui accompagnent les investissements dans les actifs à long terme étant donné les coûts excessifs requis pour développer les FALO et les rendre opérationnels.
D’autres ont exprimé des préoccupations quant à la façon dont les conflits d’intérêts qui pourraient se produire pour les parties participant à la gestion, à la prestation de conseils et à la distribution des FALO seraient identifiés, divulgués et gérés de façon appropriée, par exemple : les divergences d’opinions concernant les méthodologies d’évaluation ou la possibilité de rémunération des GFI dans les situations où un FALO suspend temporairement les rachats. De nombreuses parties prenantes ont préconisé un cadre de gestion des risques plus rigoureux afin de sensibiliser les investisseurs individuels et les conseillers aux avantages et aux risques des FALO.
Conclusion
Bien que la création des FALO pourrait constituer un nouveau moyen permettant aux investisseurs individuels d’investir plus facilement dans des actifs à long terme, les parties prenantes ont soulevé un certain nombre de préoccupations légitimes qui remettent en doute l’utilité de cette initiative et qui pourraient en compromettre la réussite. Il reste à voir quels changements, le cas échéant, la CVMO apportera à la proposition en réponse aux commentaires des parties prenantes. Les commentaires reçus devraient guider la CVMO au cours de la prochaine phase de la proposition, à savoir, la publication des propositions de modification des règles et de changement de politique aux fins de la consultation publique.