Dans une décision récente, J.P. Thomson Architects Ltd. v. Greater Essex County District School Board, la Cour d’appel de l’Ontario a clarifié l’interprétation d’une clause de règlement des différends qui prévoyait les délais à l’intérieur desquels les parties devaient produire leur demande de médiation ou d’arbitrage. Cette décision constitue un rappel utile que les délais prévus dans les clauses de règlement des différends peuvent parfois être contestés et que les parties doivent les surveiller de près afin de tirer le meilleur parti possible des mécanismes de règlement des différends prévus par contrat.
Faits pertinents
En 2016, J.P. Thomson Architects Ltd. (Thomson) a remporté deux contrats auprès de la Greater Essex County District School Board (la commission scolaire). Le premier faisait de Thomson un fournisseur agréé et le second l’engageait à fournir des services architecturaux pour deux nouvelles écoles. Les deux contrats comportaient une clause de règlement des différends qui prévoyait :
- la médiation, pour tout différend découlant des contrats « [traduction libre] qui ne peut être réglé par les parties dans les trente (30) jours suivant la naissance du différend »
- l’arbitrage, « [traduction libre] pour tout différend entre les parties qui n’a pas été réglé par voie de médiation dans les trente (30) jours suivant la sélection du médiateur »
Le 12 octobre 2021, Thomson a envoyé à la commission scolaire une lettre de demande de médiation à l’égard de deux différends :
- Le premier différend était lié à une lettre de la commission scolaire datant du mois d’août 2020 et faisant état de préoccupations concernant les travaux de Thomson. Thomson a répondu à ces préoccupations, mais, en mars 2021, la commission scolaire a envoyé à Thomson une deuxième lettre lui indiquant que sa réponse était inadéquate et lui interdisant de soumissionner pour des travaux futurs pendant deux ans.
- Le second différend concernait une demande de Thomson datant de juin 2021 et portant sur le calcul de ses honoraires. Le 28 juillet 2021, la commission scolaire a rejeté, en partie, cette demande. Thomson a produit une demande de réexamen, que la commission scolaire a refusée le 23 septembre 2021.
La commission scolaire a refusé de nommer un médiateur, parce que, selon elle, la clause de règlement des différends exigeait que la demande de médiation soit produite dans les 30 jours suivant la naissance du différend et que les différends soulevés par Thomson étaient hors délais. La commission scolaire a adopté la même position lorsque Thomson a ultérieurement envoyé un avis d’arbitrage. En conséquence, Thomson a demandé au tribunal d’ordonner la nomination d’un arbitre.
La décision de la Cour supérieure : la médiation est hors délais
La juge des requêtes a donné raison à la commission scolaire; elle a estimé que, en vertu de la clause de règlement des différends, Thomson était clairement obligée de produire sa demande de médiation dans les 30 jours suivant la naissance du différend. Pour parvenir à cette conclusion, la juge s’est appuyée sur son interprétation de l’objet de la clause : fournir un mécanisme de rechange pour le traitement rapide des différends entre les parties.
La juge des requêtes a ensuite formulé plusieurs conclusions sur la portée des différends soulevés par Thomson, estimant que ceux-ci avaient déjà été réglés par les parties. En particulier, la juge a conclu ce qui suit :
- Le premier différend a été réglé lorsque Thomson a accepté de prendre des mesures correctives. Même si la lettre de mars 2021 a donné naissance à un nouveau différend, Thomson n’a pas produit sa demande de médiation dans les 30 jours.
- La lettre de juillet 2021 a réglé le différend. La demande de réexamen de Thomson n’a pas eu pour effet de prolonger le délai de production de la demande de médiation.
Par conséquent, la juge a rejeté la demande de nomination d’un arbitre de Thomson.
La décision de la Cour d’appel : absence de délai
La Cour d’appel a annulé la décision de la juge des requêtes au motif que celle-ci avait commis une erreur dans son interprétation de la clause de règlement des différends et dans ses conclusions sur l’étendue du différend entre les parties. La Cour d’appel a fait droit à la demande, a ordonné que la médiation ait lieu dans un délai de 60 jours et a estimé que Thomson conservait le droit de demander l’arbitrage si les parties ne parvenaient pas à régler leur différend.
L’interprétation correcte de la clause de règlement des différends
Le tribunal a estimé que, si on l’interprétait correctement, la clause de règlement des différends n’obligeait pas les parties à recourir à la médiation dans les 30 jours suivant la naissance d’un différend. Elle fixait au contraire une période minimale de 30 jours pour que les parties tentent de régler le différend avant de recourir à la médiation. Cette interprétation est conforme au libellé de la clause de règlement des différends, aux conditions du contrat dans son ensemble et à la relation commerciale entre les parties.
En particulier, le tribunal a estimé qu’à la lumière de la relation complexe et de longue date entre les parties et du contexte du contrat dans son ensemble, il ne serait pas logique d’exiger des parties qu’elles signifient un avis de médiation chaque fois qu’elles ne parviennent pas à régler un différend dans les 30 jours.
L’arbitre détermine l’étendue du différend entre les parties
Le tribunal a également estimé que la juge des requêtes n’aurait pas dû déterminer l’étendue du différend entre les parties. Cette tâche aurait dû être laissée à l’arbitre, pour les raisons suivantes :
- La clause de règlement des différends donnait à l’arbitre compétence pour tout différend entre les parties « découlant des contrats ou s’y rapportant » (arising out of or relevant to the contracts).
- Le principe général veut que l’arbitre soit le mieux placé pour déterminer l’étendue du différend et sa compétence.
Principaux enseignements
Comme le souligne cette affaire, les clauses de règlement des différends sont essentielles pour définir les droits des parties en matière de règlement des différends contractuels. Les parties doivent faire preuve de prudence dans la rédaction et l’application de telles clauses. Dans cette affaire, la Cour d’appel n’était pas disposée à y lire des délais de règlement des différends qui ne s’y trouvaient pas. Si un contrat exige qu’une mesure soit prise dans un certain délai, il doit clairement le stipuler.