Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Associé directeur du bureau de Calgary, Calgary
Associée, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Sociétaire, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Stagiaire en droit, Toronto
Le droit autochtone évolue rapidement. Au cours des prochaines semaines, nous examinerons la jurisprudence et l’évolution législative récentes sur un sujet de droit autochtone.
Dans le deuxième volet de notre série, nous discuterons de mises à jour récentes concernant les droits autochtones. Les prochains volets de cette série porteront sur l’obligation de consulter, les droits issus de traités et les nouvelles lois.
Droits autochtones
La doctrine des droits autochtones tente de concilier les lois et les intérêts préexistants des sociétés autochtones et la souveraineté de la Couronne sur le Canada. Avec l’adoption de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits des Autochtones ont été reconnus et sont désormais protégés par la Constitution. Pour être un droit autochtone et bénéficier d’une protection constitutionnelle, une activité « doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question » avant le contact avec les nations européennes[1]. Au cours des dernières années, les tribunaux ont rendu plusieurs décisions importantes sur les droits ancestraux, notamment des décisions marquantes rendues par la Cour suprême du Canada.
Quand les droits autochtones se font valoir
Dans R. c. Montour[2], deux membres de la Première Nation mohawk ont été accusés d’importation de tabac des États-Unis sans avoir payé les droits exigés en vertu de la Loi sur la taxe d’accise. Les défendeurs demandent à la Cour de surseoir définitivement aux accusations, en soutenant que les Mohawks avaient un droit ancestral de faire le commerce du tabac. La Cour supérieure du Québec a accordé le sursis. Fait important, elle a conclu que le critère établi dans l’affaire Van der Peet concernant les droits autochtones devait être réexaminé. Le juge de première instance a conclu que le critère établi dans l’affaire Van der Peet était plus adapté aux pratiques prémodernes comme la chasse et la pêche et était incompatible avec les droits généraux à l’autodétermination reconnus par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones [PDF] (DNUDPA).
Selon le critère reformulé par la Cour dans l’affaire Montour, les droits collectifs identifiables des groupes autochtones seront protégés en vertu de la Constitution s’ils sont également protégés par le système juridique traditionnel des Premières Nations. Les droits collectifs sont interprétés au sens large; en l’espèce, la Cour a conclu que le peuple mohawk avait un droit collectif de « poursuivre le développement économique » et que le commerce du tabac constituait un exercice de ce droit traditionnel. Si le critère établi dans Montour est confirmé en appel, il pourrait potentiellement élargir la portée des revendications de droits autochtones pour inclure les activités économiques modernes.
Les droits des Autochtones et la Charte
Dans l’affaire Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation[3], dont nous avons parlé dans un précédent bulletin d’actualités Osler, la Cour suprême du Canada a récemment tranché d’importantes questions concernant l’interaction entre les droits collectifs des peuples autochtones et les droits individuels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
La constitution de la Vuntut Gwitchin First Nation (« VGFN »), prévoit une obligation de résidence selon laquelle tous les chefs et les conseillers doivent résider sur les terres désignées de la VGFN. La demanderesse a cherché à se présenter à l’élection en tant que conseillère de la VGFN, mais elle réside à environ 800 kilomètres au sud des terres désignées de la VGFN. La demanderesse a soutenu que cette obligation de résidence était discriminatoire et violait l’article 15 de la Charte. La VGFN a soutenu qu’en tant que première nation autonome, elle est soustraite à l’application de la Charte. À titre subsidiaire, la VGFN a soutenu que l’article 25, qui prévoit que les droits garantis par la Charte ne peuvent être interprétés comme abrogeant les droits ancestraux ou issus de traités ou y dérogeant, protégeait l’exigence de résidence des autres dispositions de la Charte.
La Cour suprême du Canada a confirmé que la Charte peut s’appliquer directement aux gouvernements des Premières Nations. Pour la première fois, la Cour a également défini un cadre en quatre temps pour déterminer à quel moment les droits autochtones prévalent sur les droits individuels garantis par la Charte aux termes de l’article 25. Compte tenu des faits de cette affaire, la Cour a conclu, à la majorité, que la VFGN avait démontré que l’article 25 s’appliquait et que l’obligation de résidence était protégée contre les droits individuels garantis par la Charte, comme l’article 15.
Droits autochtones et délais de prescription
Dans trois affaires cette année, les tribunaux d’appel canadiens ont discuté de l’interaction entre les droits autochtones, les droits issus de traités et les délais de prescription, qui imposent des délais pour intenter des poursuites.
Shot Both Sides c. Canada[4] portait sur une revendication initialement présentée par la tribu des Blood de l’Alberta en 1980, qui soutenait qu’elle s’était vu attribuer une réserve plus petite que celle prévue dans le Traité no 7. Ce problème a été découvert en 1971. À l’époque, la Limitation of Actions Act de l’Alberta, qui disposait qu’elle s’appliquait à toutes les causes d’action, quelle qu’en soit le motif, prévoyait que toutes les actions devaient être intentées dans les six ans suivant leur découverte. La Cour suprême du Canada a conclu que l’action intentée par la tribu des Blood était limitée dans le temps : le délai de prescription de six ans a commencé à courir en 1971 et a pris fin en 1977. Toutefois, la Cour a conclu que son pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement déclaratoire n’était pas assorti d’une prescription et a déclaré que le Canada avait violé ses obligations issues du traité conclu avec la tribu des Blood.
Dans l’affaire Ontario (Procureur général) c. Restoule[5], la Cour suprême du Canada a examiné des violations présumées des traités autochtones en Ontario remontant à plus de 100 ans. La loi qui s’appliquait à ces réclamations, la Loi sur la prescription des actions de 1990 de l’Ontario, interdisait d’intenter des « actions dans cette affaire » plus de six ans après que la cause d’action a pris naissance. La Cour a conclu que l’expression « actions pour atteinte indirecte » n’est pas une cause d’action fourre-tout ni une clause omnibus; elle ne fait référence qu’à des causes d’action précises en common law. La Cour a conclu qu’une réclamation relative aux droits autochtones issus de traités est fondamentalement différente d’une action pour atteinte indirecte, car les droits en jeu sont constitutionnels et soulèvent des questions de droit public par opposition à des questions de droit privé. Par conséquent, aucun délai de prescription prévu par la loi ne s’appliquait aux revendications dont la Cour était saisie.
Enfin, dans l’affaire Wesley c. Alberta[6], la Cour d’appel de l’Alberta a examiné si les délais de prescription étaient incompatibles avec les droits des Autochtones prévus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’affaire portait sur des revendications présentées par les nations Stoney Nakoda, qui alléguaient qu’il y avait eu des violations contre la Couronne dans les années 1870 pour l’exploitation de droits miniers en violation du Traité no 7. La Cour a conclu à l’unanimité que la période de prescription prévue par la loi en Alberta n’enfreignait pas l’article 35 et que les délais de prescription ne sont pas incompatibles avec l’honneur de la Couronne ou la réconciliation. Toutefois, les trois juges ont adopté une approche différente quant à l’existence d’une mesure de redressement déclaratoire. Une majorité de la Cour a conclu que les déclarations concernant l’existence et les violations des droits des Autochtones ne sont pas assorties d’une prescription. Les nations Stoney Nakoda ont demandé l’autorisation d’en appeler de cette décision devant la Cour suprême du Canada.
Trois grands principes se dégagent de ces décisions. Premièrement, les droits autochtones et les droits issus de traités créent des causes d’action uniques qui peuvent ou non être assujetties à des délais de prescription historiques. Pour déterminer si une prescription s’applique, il faut analyser le libellé utilisé dans la loi. Deuxièmement, les revendications de droits autochtones sont assujetties aux règles juridiques normales de la découvrabilité et n’ont pas « repris » après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Si un délai de prescription s’applique, les revendications de droits autochtones peuvent être assorties d’une prescription. Troisièmement, une mesure de redressement déclaratoire, comme une déclaration selon laquelle un droit existait et a été violé, ne sera généralement pas assujettie à un délai de prescription.
L’honneur de la Couronne et les contrats avec les Premières Nations
Dans l’affaire Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan[7], dont nous avons discuté dans un billet de blogue précédent, la Cour suprême du Canada a conclu pour la première fois que l’honneur de la Couronne pouvait être invoqué lorsque les gouvernements concluent des contrats avec des peuples autochtones. Dans cette affaire, la Première Nation de Pekuakamiulnuatsh a conclu une entente avec les gouvernements du Canada et du Québec, aux termes de laquelle les gouvernements ont convenu de financer un corps de police autochtone indépendant. Les coûts du corps de police ont dépassé le financement prévu dans les ententes.
La Cour suprême du Canada a conclu que l’honneur de la Couronne entre en jeu lorsque le gouvernement conclut des contrats en fonction de la « différence autochtone » d’un groupe ou de ses philosophies, traditions et pratiques culturelles distinctes et en lien avec le droit autochtone à l’autonomie gouvernementale. Dans l’affaire Takuhikan, la Cour a conclu qu’en refusant de négocier de bonne foi pour augmenter le financement du corps policier des Premières Nations, le Québec a porté atteinte à l’honneur de la Couronne. La Cour a également conclu que les dommages-intérêts pour violation de l’honneur de la Couronne devraient être calculés conformément aux principes de la justice réconciliatrice plutôt que corrective, la Cour ayant le pouvoir discrétionnaire de concevoir un recours juste et équitable pour les deux sociétés. En l’espèce, la Cour a conclu que la meilleure façon de procéder à la réconciliation serait d’ordonner au Québec de payer la totalité du déficit budgétaire du corps de police, soit environ 700 000 $, plutôt que de renvoyer l’affaire à un nouveau procès.
Droits des Autochtones et nuisance
Une personne qui entrave l’utilisation et la jouissance d’un bien peut faire l’objet d’une réclamation pour nuisance. Toutefois, les réclamations pour nuisance peuvent être rejetées si l’atteinte aux droits de propriété est autorisée par la loi[8]. Dans l’affaire Thomas c. Rio Tinto Alcan Inc.[9], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a appliqué le droit de la nuisance aux revendications de droits autochtones. Dans les années 1950, la province a adopté une loi permettant à Rio Tinto Alcan Inc. (RTA) de construire un barrage sur la rivière Nechako. Deux groupes autochtones, les Premières Nations Saik’uz et Stellat’en, ont revendiqué les droits de pêche des Autochtones dans la rivière et ont déposé une plainte de nuisance contre RTA et la Couronne pour entrave à ces droits.
La Cour d’appel a conclu que l’atteinte aux droits autochtones qui est liée à un intérêt foncier, comme les droits de pêche en l’espèce, peut justifier une réclamation de nuisance. Toutefois, la réclamation demeure assujettie à la défense de l’autorisation législative, qui s’applique en l’espèce. La Cour d’appel a affirmé que les Premières nations détenaient un droit de pêche autochtone dans la rivière Nechako et a conclu que les gouvernements fédéral et provincial ont l’obligation fiduciaire de protéger ce droit. La Cour suprême du Canada a refusé d’entendre l’appel de cette décision. L’affaire est importante, car elle indique que les entreprises privées peuvent être tenues responsables de nuisance si elles ont porté atteinte à un droit autochtone lié à un intérêt foncier sans autorisation législative.
Droits autochtones et partage des compétences
En 2019, le gouvernement fédéral a édicté la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (la Loi), qui a créé un nouveau cadre pour les services à l’enfance et à la famille des peuples autochtones. Par le passé, les services à l’enfance et à la famille étaient principalement organisés par les gouvernements provinciaux. En vertu de la Loi, qui reconnaît un « droit inhérent à l’autonomie gouvernementale » pour les sociétés autochtones, les groupes des Premières Nations, des Inuits et des Métis peuvent adopter leurs propres lois et assumer la compétence à l’égard des services à l’enfance et à la famille.
Dans le Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis[10], la Cour suprême du Canada a conclu à l’unanimité que la Loi était constitutionnelle. La Cour a refusé de décider si les sociétés autochtones ont un droit à l’autonomie gouvernementale aux termes de l’article 35, mais a déclaré que le gouvernement fédéral a le droit de déclarer que ce droit existe et de s’engager à agir en conformité avec lui. La Cour a également conclu que la reconnaissance par la Loi de la compétence des Autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille était conforme au partage des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. La décision confirme que le gouvernement fédéral peut exercer sa compétence constitutionnelle sur les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » pour déléguer son pouvoir de décision aux sociétés autochtones.
Prochain volet
Dans le prochain volet de notre série, nous discuterons d’enjeux juridiques importants liés à l’obligation de consulter, aux droits issus de traités et aux nouvelles lois. Restez à l’affût.
[1] R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216, par. 46 (CSC).
[2] R. c. Montour, 2023 QCCS 4154.
[3] Dickson c. Première nation Vuntut Gwitchin, 2024 CSC 10.
[4] Shot Both Sides c. Canada, 2024 CSC 12.
[5] Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27.
[6] Wesley c. Alberta, 2024 ABCA 276.
[7] Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, 2024 CSC 39.
[8] Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, 1989 CanLII 15 (CSC).
[9] Thomas c. Rio Tinto Alcan Inc., 2024 BCCA 62. L’autorisation d’interjeter appel a été refusée : 2024 CanLII 96608 (CSC).
[10] Renvoi relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2024 CSC 5.