Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
Sociétaire, Litiges, Toronto
En 2021, six nations Wolastoqey[1] (les « nations Wolastoqey ») ont déposé une revendication territoriale visant à obtenir une déclaration de titre ancestral sur une partie importante des terres situées au Nouveau-Brunswick et d’autres mesures de redressement consécutives contre la province du Nouveau-Brunswick, le procureur général du Canada et plusieurs entreprises et entités privées (les « parties défenderesses du secteur industriel »).
En 2024, le gouvernement du Nouveau-Brunswick et les parties défenderesses du secteur industriel ont déposé des requêtes distinctes visant les arguments plaidés. Le 12 novembre 2024, dans l’arrêt Wolastoqey Nations c. New Brunswick and Canada, et.al., 2024 NBKB 203, la Cour du Banc du Roi du Nouveau-Brunswick a autorisé la revendication des nations Wolastoqey pour l’obtention d’une mesure de redressement déclaratoire contre la province et le Canada, mais a invalidé les arguments plaidés à l’encontre des parties défenderesses du secteur industriel.
La Cour a formulé plusieurs conclusions importantes au sujet des requêtes à des fins d’invalidation. En effet, la Cour a reconnu que les parties défenderesses du secteur industriel sont « innocentes » à cet égard, car elles n’ont pas de lien direct, juridique ou autre, avec les parties plaignantes. Toutefois, la Cour a estimé que le titre ancestral pouvait être déclaré sur les terres appartenant sous forme de propriété privée à ces personnes et à d’autres, car le titre de la Couronne sur ces terres, que celle-ci a concédé aux propriétaires privés, était grevé d’un titre ancestral. La revendication des nations Wolastoqey n’a pas encore été tranchée. Toutefois, la Cour a également reconnu en guise de compensation la possibilité qu’un tribunal ordonne à la Couronne des mesures d’expropriation sur les terres appartenant à des propriétaires privés.
Contexte
En 2021, les nations Wolastoqey ont déposé une revendication territoriale visant à obtenir une déclaration de titre ancestral sur plus de la moitié des terres situées au Nouveau-Brunswick, englobant 283 204 parcelles de terrain distinctes, notamment des terres appartenant aux parties défenderesses du secteur industriel ainsi qu’à d’autres entreprises et entités privées. Les nations Wolastoqey visent à obtenir une déclaration contre la province du Nouveau-Brunswick, le procureur général du Canada et les parties défenderesses du secteur industriel, alléguant que leur titre de propriété sur les terres traditionnelles n’a jamais été éteint, ni par cession ni au moyen d’une loi, et qu’il subsiste toujours.
Le gouvernement du Nouveau-Brunswick et les parties défenderesses du secteur industriel ont déposé des requêtes distinctes pour faire invalider les arguments plaidés. Entre autres, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a fait valoir que, dans leur formulation actuelle, les arguments plaidés amèneraient la Cour à outrepasser sa compétence en faisant une déclaration de titre ancestral sur des terres détenues en fief simple par des « personnes étrangères à la revendication », et a souligné que, selon ces fondements, les arguments devraient être invalidés. Les parties défenderesses du secteur industriel ont avancé que seule la Couronne était habilitée à délivrer la déclaration et à accorder le redressement et que, par conséquent, les arguments plaidés contre elles devaient être invalidés, car les probabilités qu’ils soient acceptés étaient nulles.
La décision de la Cour
Revendications contre les parties défenderesses du secteur industriel
La Cour a invalidé les arguments plaidés contre les parties défenderesses du secteur industriel et souligné que les droits ancestraux (y compris le titre ancestral), tout comme les droits garantis par la Charte, sont dirigés contre le gouvernement – en d’autres termes, contre la Couronne. La Cour a reconnu qu’une déclaration de titre ancestral a des répercussions sur tous : les intérêts gouvernementaux, non gouvernementaux et privés. Toutefois, la Cour a souligné que la déclaration juridique en elle-même n’est opposable qu’à la Couronne, et non aux parties privées, car celles-ci n’ont aucun lien avec la reconnaissance constitutionnelle des collectivités autochtones. À ce titre, la Cour a estimé que ce point ne pouvait servir de fondement aux arguments plaidés selon lesquels les parties privées devaient être mises en cause dans les procédures judiciaires entre deux entités constitutionnelles, comme la Couronne et les collectivités autochtones.
Tenant compte de ces principes, la Cour a conclu que les arguments plaidés contre les parties défenderesses privées du secteur industriel ne constituent pas une cause raisonnable d’action en justice et a rejeté les revendications contre celles-ci.
Les nations Wolastoqey ont reconnu qu’aucune cause d’action de droit privé ne s’appliquait contre les parties défenderesses du secteur industriel, et qu’il n’y avait aucune revendication contre celles-ci en matière de contrat, de négligence ou de délit. La Cour a estimé que, dans cette revendication, le lien en cause sur le plan juridique se situait entre la Couronne et les nations Wolastoqey, et non entre les nations Wolastoqey et les parties défenderesses du secteur industriel. Ces dernières sont mises en cause dans le litige uniquement parce qu’elles détiennent un titre de propriété en fief simple sur des terres concédées par la Couronne susceptibles d’être grevées d’un titre ancestral.
La Cour a estimé que l’invalidation des arguments plaidés mettant en cause des parties privées dans le cadre d’une revendication constitutionnelle entre la Couronne et une collectivité autochtone n’empêchait pas ladite collectivité de potentiellement revendiquer des terres appartenant à des personnes privées. Comme, ultimement, le titre de propriété des terres est détenu par la Couronne, si un tribunal estime que la reprise de possession des terres est la mesure qui découle d’un jugement d’interprétation (si la réconciliation est un échec), la Couronne pourrait se voir ordonner d’utiliser ses pouvoirs d’expropriation et faire face à des revendications de la part des détenteurs d’un titre de propriété en fief simple, dans le but d’obtenir une compensation à la suite d’une telle expropriation.
La Cour a également reconnu qu’il pourrait y avoir un argument en faveur de l’intervention de certaines ou de l’ensemble des parties défenderesses du secteur industriel à un certain moment au cours du litige, mais a expliqué que ce ne serait pas la même chose que d’être contrainte de prendre part à la revendication à titre de partie défenderesse.
Requête du gouvernement du Nouveau-Brunswick et renvois aux « personnes étrangères à la revendication »
En ce qui concerne la requête du gouvernement du Nouveau-Brunswick, la Cour a convenu que tout renvoi à des « personnes étrangères à la revendication » devait être retiré de l’argument plaidé, mais a rejeté le fait qu’elle n’avait pas compétence pour émettre une déclaration de titre ancestral relativement aux terres déjà détenues en fief simple. La Cour a autorisé la poursuite du litige en mettant l’accent sur le rôle de la Couronne dans le traitement des revendications des nations Wolastoqey à l’égard du titre ancestral.
La Cour a estimé que tout renvoi aux « personnes étrangères à la revendication » dans les arguments plaidés n’était pas pertinent et qu’il n’y avait aucun fondement juridique pour cela. La Cour a qualifié l’utilisation par les deux parties des renvois à des personnes étrangères de « commentaire à connotation politique extérieur à la salle d’audience ». La Cour a conclu que tout renvoi à des personnes étrangères n’était pas pertinent et qu’il n’y avait aucun fondement pour cela, puisqu’une déclaration a été revendiquée ou pourrait l’être contre les personnes étrangères pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles une déclaration ne pouvait être invoquée contre les parties défenderesses du secteur industriel.
Intention du gouvernement du Nouveau-Brunswick d’entamer des négociations
La Cour a longuement discuté du rôle de la négociation et de la réconciliation dans les litiges portant sur les droits des Autochtones, et a déclaré que, dans les litiges de cette nature, une fois qu’un conflit est déterminé sur le plan factuel et juridique, un processus de réconciliation est déclenché à l’étape de la déclaration et des mesures correctives, ce qui sous-entend des considérations polycentriques de la part de la Couronne.
Possiblement en raison de cette stratégie, moins d’une semaine après, la Cour a publié sa décision et le cabinet du procureur général du Nouveau-Brunswick a demandé aux avocats représentant le gouvernement provincial de collaborer avec les avocats de la partie adverse et d’obtenir un accord dans le but de suspendre tout litige afin de permettre à la Couronne et aux Premières Nations de collaborer en vue de négocier le règlement de l’ensemble des revendications. Aucun règlement n’avait encore été annoncé publiquement au moment de la publication du présent article.
[1] Les nations Wolastoqey comprennent la Nation Wolastoqey à Welamukotuk (Première Nation d’Oromocto), Sitansisk (Première Nation de Saint Mary’s), Pilick (Première Nation de Kingsclear), Wotstak (Première Nation de Woodstock), Neqotkuk (Première Nation de Tobique) et Matawaskiye (Première Nation malécite de Madawaska).