Auteurs(trice)
Associée, Litiges, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
Associé, Droit du travail et de l’emploi, Toronto
Associé, Commercial, Toronto
Associé, Droit commercial, Toronto
Sociétaire, Construction, Infrastructure et Énergie, Toronto
Le 31 mars 2025, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa sixième et dernière décision dans l’affaire R v Greater Sudbury, une série de décisions établissant que le propriétaire d’un chantier de construction qui loue les services d’un entrepreneur général peut voir, en tant qu’« employeur », sa responsabilité engagée en vertu de la LSST, mais dispose comme protection de la défense de « diligence raisonnable ».
L’affaire R v. Greater Sudbury, qui portait sur des accusations découlant d’un accident mortel survenu sur un chantier de construction en 2016, a donné lieu à des décisions de la Cour de justice de l’Ontario, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour suprême du Canada. Dans la décision définitive, la Cour d’appel de l’Ontario a refusé à la Couronne l’autorisation d’interjeter appel de la décision rendue dans l’affaire R v Greater Sudbury (City), 2024 ONSC 3959 (l’arrêt Sudbury), une affaire concernant l’appel de la Couronne d’une décision concluant que la Ville disposait bel et bien, en tant qu’« employeur », de la défense de diligence raisonnable en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (la LSST) de l’Ontario. L’arrêt Sudbury porte sur un élément de la décision partagée de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Grand Sudbury (Ville), 2023 CSC 28, dont nous avons parlé dans notre billet de blogue du 22 novembre 2023 [en anglais seulement], où la question de la diligence raisonnable a été renvoyée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
L’arrêt Sudbury, lui-même désormais confirmé par la récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario, confirme la décision de première instance de 2018 selon laquelle la Ville avait fait preuve de diligence raisonnable et avait ainsi évité une condamnation en vertu de la LSST et, conjointement avec la décision de la Cour suprême du Canada, fournit sur les facteurs pertinents d’autres renseignements utiles aux propriétaires cherchant à atténuer toute exposition à la LSST qu’ils pourraient avoir en tant qu’« employeur » relativement à un chantier de construction.
Les faits
En mai 2015, la Ville a conclu avec Interpaving Limited (Interpaving), à titre d’entrepreneur général, un contrat prévoyant la réparation d’une conduite d’eau principale au centre-ville de Sudbury. Dans le contrat, Interpaving était désignée à titre d’entrepreneur général et de « constructeur », assumant ainsi le plein contrôle du chantier et les responsabilités connexes en matière de santé et de sécurité en vertu de la LSST. En septembre 2015, un piéton a été tué par une niveleuse conduite par un employé d’Interpaving à une intersection située dans la zone de construction. En violation des règlements d’application de la LSST, aucune clôture n’avait été aménagée entre le chantier et le passage public, et aucun signaleur n’était présent pour aider l’employé d’Interpaving. À la suite de cet incident, le ministère du Travail, de l’Immigration, de la Formation et du Développement des compétences (le Ministère) a accusé Interpaving et la Ville d’avoir enfreint les prétendus devoirs qui, en tant que « constructeur » et « employeur », leur incombaient en vertu de la LSST.
La LSST
La LSST est la loi ontarienne en matière de santé et de sécurité au travail. Certaines infractions prévues par la LSST sont des infractions de responsabilité stricte. Il incombe à la Couronne de prouver ces infractions, puis à la partie concernée (la Ville en l’occurrence) de prouver qu’elle a pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances (c’est-à-dire qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable).
La LSST établit les différents devoirs des parties à un chantier de construction. Les propriétaires d’un chantier peuvent voir leur responsabilité engagée en vertu de la LSST si leurs actions répondent aux définitions suivantes :
- « employeur » – personne qui emploie un ou plusieurs travailleurs ou loue les services d’un ou de plusieurs travailleurs. S’entend en outre de l’entrepreneur ou du sous-traitant qui exécute un travail ou fournit des services et de l’entrepreneur ou du sous-traitant qui entreprend, avec le propriétaire, le constructeur, l’entrepreneur ou le sous-traitant, d’exécuter un travail ou de fournir des services.
- « constructeur » – personne qui entreprend un chantier pour le compte d’un propriétaire. S’entend en outre du propriétaire qui entreprend lui-même la totalité ou une partie d’un chantier, soit seul ou avec l’aide de plus d’un employeur.
L’historique de l’affaire
S’appuyant sur le contrat conclu entre les parties et sur leurs rôles respectifs dans le cadre du chantier, le juge de première instance a estimé que la Ville n’était ni un « constructeur » ni un « employeur » au sens de la LSST. En outre, il a nuancé la décision du tribunal en déclarant que, même si la Ville était un employeur et qu’elle avait manqué à ses obligations, le tribunal était convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la Ville avait pris toutes les précautions raisonnables dans les circonstances et, ainsi, fait preuve de diligence raisonnable.
Le Ministère a ensuite fait appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, en vain. Le juge d’appel chargé des infractions provinciales a confirmé la décision du juge de première instance, sans toutefois aborder la question de la diligence raisonnable. À la suite d’un nouvel appel du Ministère, la Cour d’appel de l’Ontario a annulé la décision de la Cour supérieure de justice et déclaré la Ville responsable en vertu de l’alinéa 25(1)c) de la LSST en tant qu’« employeur » dans le cadre du chantier. Elle a conclu que, puisque la Ville employait des inspecteurs au contrôle de la qualité en tant que travailleurs sur le chantier au sens du terme « employeur » au paragraphe 1(1) de la LSST, la Ville était responsable des infractions aux règlements d’application de la LSST.
La Ville a ensuite fait appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario devant la Cour suprême du Canada, où les juges, dans une décision partagée à égalité, ont confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, selon laquelle la Ville était un « employeur », et ont fait remarquer que, étant un employeur du fait non seulement qu’elle avait engagé un entrepreneur général, mais aussi qu’elle employait des inspecteurs au contrôle de la qualité sur le chantier, la Ville avait donc manqué à ses devoirs en vertu de l’alinéa 25(1)c) de la LSST. Toutefois, la Cour suprême a confirmé que la diligence raisonnable était un moyen de défense légitime pour l’infraction dont la Ville avait été accusée et a renvoyé l’affaire devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour qu’elle examine l’appel du Ministère concernant la défense de diligence raisonnable de la Ville.
La défense de diligence raisonnable
La Cour suprême du Canada a déclaré que les facteurs pertinents dans le cadre d’une défense de diligence raisonnable pouvaient inclure les suivants, entre autres :
- Le degré de contrôle de l’accusé sur le lieu de travail ou les travailleurs;
- En démontrant le « manque de contrôle », l’accusé pourrait indiquer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances.
- La question de savoir si l’accusé a délégué le contrôle au « constructeur » pour pallier son propre manque de savoir-faire, de connaissance ou d’expertise pour mener à bien le chantier conformément aux règlements d’application de la LSST;
- Par exemple, un propriétaire peut faire valoir que c’est sa relative inexpérience de la sécurité au travail qui l’a mené à déléguer le contrôle du chantier à un constructeur plus expérimenté.
- La question de savoir si l’accusé a pris des mesures pour évaluer la capacité du constructeur d’assurer le respect des règlements d’application de la LSST avant de décider de louer ses services;
- Parmi les facteurs pertinents, on peut mentionner la question de savoir si le propriétaire a soumis le constructeur à un examen préalable avant de l’embaucher pour vérifier, par exemple, si ce dernier a une expertise supérieure, un dossier sans déclarations de culpabilité antérieures pour violation de la LSST et la capacité de faire respecter la LSST et ses règlements d’application.
- La question de savoir si l’accusé a bel et bien surveillé et supervisé efficacement le travail du constructeur sur le chantier pour veiller à ce que les prescriptions des règlements d’application de la LSST aient été observées dans le lieu de travail.
- On peut notamment examiner si le propriétaire a informé le constructeur de quelque danger que ce soit sur le lieu de travail et a vérifié la qualité du travail de ce dernier. Si le propriétaire est une municipalité, il peut également surveiller les activités du constructeur au moyen non seulement du contrat qui les lie, mais aussi de règlements municipaux.
En termes de politiques, la Cour suprême du Canada a déclaré que, en adoptant l’approche « de la ceinture et des bretelles », où les responsabilités des parties sont concurrentes et se chevauchent, et en faisant reposer sur les employeurs le fardeau d’établir l’existence d’une défense de diligence raisonnable, la LSST incite les employeurs à prendre toutes les mesures dont ils ont le contrôle pour assurer la sécurité au travail et éviter les préjudices futurs.
Retour devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario
À la suite de la décision de la Cour suprême, la seule question en appel était de savoir si le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que la Ville avait fait preuve de diligence raisonnable. Se fondant sur le critère de l’« erreur manifeste et dominante », la Cour supérieure de justice a confirmé la décision du juge de première instance et a rejeté l’appel du Ministère.
Ce faisant, le juge d’appel a cité les quatre facteurs de diligence raisonnable énoncés par la Cour suprême du Canada et a souligné les éléments de preuve qui étayaient la conclusion du juge de première instance, ainsi que l’affirmation de la Cour supérieure de justice selon laquelle la Ville avait fait preuve de diligence raisonnable.
En ce qui concerne le premier facteur, les inspections au contrôle de la qualité effectuées par la Ville faisaient partie des arguments du Ministère concernant le degré de contrôle et le facteur sur lequel la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour suprême du Canada se sont appuyées pour conclure que la Ville était un employeur. Néanmoins, le juge d’appel a statué que « [traduction libre] ces inspections ne constituaient pas un contrôle sur le lieu de travail et les travailleurs qui s’y trouvaient ». Pour ce faire, il a pris en considération un certain nombre d’arguments avancés par le Ministère, notamment, et c’est intéressant, l’existence de certains droits contractuels du propriétaire (dont il a été établi qu’ils n’avaient pas été exercés en l’espèce) et la participation du propriétaire à l’organisation de la circulation par la police, entre autres choses.
- En ce qui concerne les deuxième, troisième et quatrième facteurs, respectivement, le juge d’appel a conclu ce qui suit :
- le paiement d’une prime pour l’expertise d’un entrepreneur était une délégation implicite;
- l’utilisation des conditions générales municipales courantes pour les travaux routiers sous-traités, l’expérience antérieure avec cet entrepreneur et l’accomplissement d’une formation de sensibilisation à la sécurité pour ce type de travaux étaient des indicateurs suffisants pour évaluer les capacités et la conformité de l’entrepreneur;
- le fait que la Ville ait recueilli des plaintes, qu’elle ait fait part à l’entrepreneur de ses préoccupations en matière de sécurité et qu’elle ait assisté à des réunions périodiques sur l’état d’avancement des travaux ne constituait pas des exemples de contrôle, mais plutôt des exemples de suivi et de supervision faisant partie d’une diligence raisonnable.
Rejet de la demande d’autorisation de la Couronne d’interjeter appel
Dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, la Couronne a fait valoir que le juge de l’arrêt Sudbury avait commis une erreur en entérinant l’interprétation erronée de la défense de diligence raisonnable du juge de première instance 1) en concluant que les actes généraux de diligence, par opposition aux actes visant exclusivement les violations alléguées, satisfaisaient au critère, contrairement à la jurisprudence établie, et 2) en ne comprenant pas correctement l’interaction entre le concept de contrôle sur le lieu de travail et les éléments nécessaires de la défense de diligence raisonnable. En rejetant la demande d’autorisation, la Cour d’appel :
- admettant que la détermination de la diligence raisonnable était le fruit d’une analyse portant sur des actes précis et non des actes généraux, a estimé que l’on pouvait soutenir que le juge de première instance avait fait une telle analyse (et comme le droit est établi, il n’y a rien à gagner à répéter l’analyse);
- a estimé que les motifs du juge d’appel ne démontraient pas un manque de compréhension de l’interaction entre le concept de contrôle sur le lieu de travail et les éléments nécessaires de la défense de diligence raisonnable et qu’ils répondaient aux arguments de la Couronne concernant le contrôle;
- n’était pas convaincue que l’affaire soulevait des questions allant au-delà de l’application de la défense à l’ensemble des faits.
Points à retenir et conséquences
L’arrêt Sudbury est désormais cité dans un nombre croissant de décisions à travers le Canada, y compris en ce qui concerne, en matière de sécurité, l’approche « de la ceinture et des bretelles », où les responsabilités des parties se chevauchent.
En Ontario, les propriétaires d’un chantier doivent s’assurer que toutes les parties comprennent leurs obligations respectives en vertu de la LSST et qu’aucune d’entre elles ne sous-estime ses responsabilités ou ses obligations potentielles. Pour le propriétaire d’un chantier, il s’agit d’examiner attentivement, entre autres éléments :
- les rôles de constructeur et d’employeur;
- les facteurs expressément mentionnés dans l’arrêt Sudbury qui permettent d’étayer la défense de diligence raisonnable de l’employeur;
- le modèle de réalisation du chantier retenu, le rôle et le degré d’activité et de contrôle du propriétaire d’un chantier dans le cadre du modèle de réalisation retenu, y compris la nature du suivi, de la supervision et du degré de contrôle du propriétaire d’un chantier en matière de sécurité du chantier (que ce soit dans le cours normal des travaux ou lorsque des problèmes se posent). Les propriétaires d’un chantier doivent s’assurer qu’ils traduisent et reflètent correctement les rôles et responsabilités respectifs des parties au moyen de documents de qualification, de marchés publics, de conventions de consultation et de contrats de construction ainsi que de méthodes d’administration des contrats appropriés.