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Une rare victoire du bon sens pour les employeurs de l’Ontario : l’affaire Li v. Wayfair Une rare victoire du bon sens pour les employeurs de l’Ontario : l’affaire Li v. Wayfair

3 octobre 2025 8 MIN DE LECTURE

L’utilisation de l’expression apparemment anodine « à tout moment » (at any time) dans les contrats de travail a récemment fait l’objet d’un examen judiciaire et de nombreux commentaires dans le secteur. Dans l’affaire Li v. Wayfair Canada ULC, 2025 ONSC 2959 (l’affaire Wayfair), la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la Cour) a rétabli un peu de bon sens bien nécessaire en statuant que l’expression « à tout moment » en soi ne rendait pas automatiquement une clause de licenciement inapplicable[1].

Le contrat de travail

Avant de commencer à travailler en tant que chef de produit senior, le demandeur dans l’affaire Wayfair a signé un contrat de travail contenant la clause de licenciement suivante :

[Traduction libre] À l’issue de votre période d’essai, en l’absence de motif valable, la société peut mettre fin à votre emploi à tout moment et pour quelque raison que ce soit en vous remettant uniquement le préavis écrit minimal prévu par la LNE ou en vous versant l’indemnité de licenciement tenant lieu de préavis minimale prévue par la LNE, ou une combinaison des deux, ainsi qu’en vous versant l’indemnité de départ prévue par la LNE, en maintenant vos avantages sociaux pendant la période minimale prévue par la LNE et en vous versant toutes les autres rémunérations auxquelles vous avez droit et qui demeurent impayées en vertu de la LNE. [C’est nous qui soulignons.]

Mécontent de son rendement, l’employeur a licencié le demandeur sans motif valable neuf mois après son entrée en fonction et lui a versé une indemnité de licenciement d’une semaine conformément aux modalités de son contrat de travail et aux exigences minimales de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (Ontario) (la LNE).

Le demandeur a déposé en justice une déclaration réclamant des dommages-intérêts importants pour congédiement injustifié et a fait valoir qu’il n’était pas lié par le contrat de travail qu’il avait signé moins d’un an auparavant, entre autres parce que l’expression « à tout moment » contenue dans la clause de licenciement figurant dans son contrat de travail rendait celle-ci inapplicable. 

Le contexte et la décision

L’expression « à tout moment » est couramment utilisée depuis des dizaines d’années dans le vocabulaire du droit du travail, tant par les employeurs que par les législateurs et les tribunaux. Pour ne citer qu’un exemple : il y a près de 40 ans, dans l’affaire Jacmain c. Procureur général (Canada) et autre (1977 CanLII 200), la Cour suprême du Canada a été appelée à interpréter le paragraphe 28(3) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique,L.R.C. 1970, ch. P-32, qui prévoyait que « [à] tout moment au cours du stage, le sous-chef peut prévenir l’employé qu’il se propose de le renvoyer, et donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté […] ».

La Cour suprême a jugé que la disposition en question avait exactement le sens qui lui était donné :

À mon avis, l’article 28 vise entièrement à permettre à l’employeur d’apprécier l’aptitude d’un employé à occuper un emploi. Si l’employeur conclut durant cette période que l’employé ne présente pas les qualités requises, il peut alors le renvoyer sans que celui‑ci ait la possibilité de recourir à l’arbitrage. [C’est nous qui soulignons.]

En effet, pendant des années, l’avocat du demandeur a soutenu que l’absence de l’expression « à tout moment » dans une clause de licenciement figurant dans un contrat de travail militait en faveur d’une augmentation des dommages-intérêts pour congédiement injustifié, car un contrat de travail ne contenant pas cette expression était censé créer une attente (ou une « promesse implicite » [implied promise]) de maintien dans l’emploi pendant une période prolongée.

Plus récemment, cependant, l’hostilité des tribunaux de l’Ontario à l’égard des clauses de licenciement figurant dans les contrats de travail a renversé ces arguments. Le point de départ de cette rupture avec une pratique et une jurisprudence de longue date a été la décision que la Cour supérieure a rendue dans l’affaire Dufault v. The Township of Ignace, 2024 ONSC 1029 (l’affaire Dufault). En un seul paragraphe d’analyse, la Cour a jugé que la disposition contractuelle en question « déformait » (misstates) la LNE en accordant à l’employeur le « pouvoir discrétionnaire exclusif » (sole discretion) de licencier l’employé à tout moment. 

Bien que la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Dufault ait été confirmée en appel, la Cour d’appel de l’Ontario a pris soin de préciser qu’elle statuait sur l’appel sur une base restrictive, qui n’incluait pas l’expression « à tout moment ». Malgré la mise en garde de la Cour d’appel, la portée du seul paragraphe d’analyse dans l’affaire Dufault a été considérablement élargie dans l’affaire Van Dolder’s Home Team Inc., 2025 ONSC 952 (l’affaire Baker), laquelle a invalidé une clause de licenciement uniquement sur la base de l’expression « à tout moment », même si, contrairement à l’affaire Dufault, le contrat de travail ne prétendait pas accorder à l’employeur un « pouvoir discrétionnaire exclusif » (sole discretion). (Pour plus de détails sur l’affaire Baker, voir notre billet de mai 2025 : Une autre clause de licenciement qui fait mordre la poussière : Baker c. Van Dolder’s Home Team Inc.)

Dans l’affaire Wayfair, la Cour a refusé de suivre le raisonnement suivi dans l’affaire Baker et a jugé que la clause de licenciement figurant dans le contrat de travail de M. Li était applicable. En particulier, et conformément à une jurisprudence bien établie par la cour d’appel, le juge Dow a lu la clause de licenciement dans son ensemble et a noté que celle-ci stipulait à plusieurs reprises que l’employeur verserait les sommes « prévues par la LNE » (required by the ESA) ou « en vertu de la LNE » (under the ESA). Dans son ensemble, la clause de licenciement faisait expressément et systématiquement référence au respect des exigences minimales de la LNE et ne pouvait donc pas être interprétée comme une tentative de déroger à la LNE. En conséquence, dans l’affaire Wayfair, le juge Dow a conclu que la clause de licenciement était applicable et a rejeté la demande de préavis raisonnable en common law du demandeur.

La conclusion

La décision dans l’affaire Wayfair constitue une évolution positive, car elle refuse de suivre le raisonnement novateur (et, à notre avis, erroné) des affaires Dufault et Baker. Comme de nombreuses lois traitant d’emploi (par exemple, les lois sur les droits de la personne, la santé et la sécurité au travail ou les accidents du travail), la LNE interdit depuis longtemps aux employeurs de licencier des employés ou de prendre des mesures de représailles à leur encontre pour certaines raisons, mais rien dans la LNE ou dans d’autres lois n’interdit à un employeur de licencier un employé « à tout moment » pour des raisons légitimes. Dans l’affaire Wayfair, la Cour n’a pas accepté la tentative du demandeur de confondre ces deux concepts distincts et a correctement interprété la clause de licenciement dans son ensemble pour conclure que l’utilisation de l’expression « à tout moment » en soi ne rendait pas inapplicable une clause de licenciement par ailleurs valide.

Les points à retenir

  • L’expression « à tout moment » n’invalide pas automatiquement une clause de licenciement : Dans l’affaire Wayfair, la Cour soutient la position selon laquelle l’inclusion de l’expression « à tout moment » ne rend pas automatiquement une clause de licenciement inapplicable; cependant, compte tenu de l’évolution rapide de la jurisprudence dans ce domaine et des conflits jurisprudentiels, les employeurs doivent rester prudents lorsqu’ils utilisent une telle expression.
  • Les contrats de travail doivent être lus dans leur ensemble : Les tribunaux continuent de confirmer que les contrats de travail doivent être lus et interprétés dans leur ensemble. La clause de licenciement faisant l’objet de l’affaire Wayfair a été confirmée en partie parce que le contrat de travail faisait clairement et systématiquement référence au respect des droits minimaux de l’employé prévus par la LNE. Les employeurs doivent continuer à garder cela à l’esprit et mettre en évidence le fait qu’ils entendent respecter la LNE dans les clauses de licenciement figurant dans leurs contrats de travail.
  • Jurisprudence en rapide évolution :La jurisprudence relative aux clauses de licenciement figurant dans les contrats de travail, en particulier en Ontario, évolue rapidement et fait l’objet d’un examen judiciaire constant. Les employeurs devraient revoir régulièrement leurs contrats de travail afin de s’assurer que leur libellé reflète les dernières évolutions de la jurisprudence. 

Si vous avez des questions au sujet des décisions évoquées dans ce billet ou si vous avez besoin d’aide pour rédiger ou revoir vos contrats de travail, veuillez communiquer avec un membre de l’équipe Droit du travail et de l’emploi d’Osler.


[1]      Le demandeur a déposé un avis d’appel de cette décision. Toutefois, puisque l’appel n’a toujours pas été entendu, le jugement rendu dans l’affaire Wayfair demeure valide.