Auteurs(trice)
Associé, Propriété Intellectuelle, Toronto
Associé, Propriété intellectuelle, Ottawa
Les brevets jouent incontestablement un rôle important dans les secteurs des sciences de la vie et des logiciels. Le Canada a toujours été un territoire stratégique pour les litiges relatifs aux brevets dans le domaine des sciences de la vie, puisqu’il faut tenir compte des brevets avant de commercialiser des médicaments génériques ou biosimilaires. À l’inverse, les entreprises ont souvent renoncé à la protection et à l’application des brevets pour les logiciels au Canada, notamment en raison des obstacles à l’approbation de ces brevets par notre bureau des brevets ou, en dernier ressort, par les tribunaux.
En 2020, l’équipe de litige en matière de brevets d’Osler a contribué à faire progresser considérablement le droit des brevets dans les domaines des sciences de la vie et des logiciels, grâce à ses conseils sur le caractère brevetable d’objets litigieux et à sa stratégie de traitement des litiges. Ces progrès ont été réalisés en grande partie grâce aux efforts de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale du Canada, qui ont travaillé pendant la pandémie pour entendre d’importantes affaires portant sur des brevets au moyen de la plateforme Zoom et d’une plateforme d’audience électronique de la Cour fédérale.
La barre est haute pour valider un brevet visant à optimiser l’utilisation des médicaments connus
Il n’est pas rare que des titulaires de brevets pharmaceutiques tentent de prolonger la protection par brevet d’un médicament en demandant l’approbation de brevets pour une utilisation optimisée du médicament, même après que l’utilisation du médicament ait été établie. Dans l’affaire Eli Lilly c. Mylan, la Cour fédérale [1] a invalidé un tel brevet visant les faibles doses de tadalafil, l’ingrédient actif du célèbre médicament commercialisé par Eli Lilly sous le nom de CIALIS® en vue du traitement de la dysfonction érectile.
Eli Lilly a intenté plusieurs poursuites contre des fabricants de génériques, y compris Mylan, pour contrefaçon de son brevet visant les faibles doses de son médicament. Mylan et d’autres parties défenderesses ont soutenu que le brevet d’Eli Lilly était invalide compte tenu du précédent brevet sur le tadalafil qui indiquait que le médicament était utilisé pour traiter la dysfonction érectile sur une vaste gamme posologique. Mylan a soutenu que les faibles doses n’étaient pas « nouvelles » puisque le brevet antérieur indiquait que cette posologie était efficace. En outre selon Mylan, les doses revendiquées étaient « évidentes », car les doses ne faisaient pas l’objet d’une invention, compte tenu des brevets antérieurs sur le tadalafil et du caractère courant des activités menant au choix des doses. Mylan et les autres parties défenderesses ont eu gain de cause. Osler avait alors représenté Mylan.
Les titulaires de brevet font souvent valoir les avantages inattendus de l’optimisation des utilisations médicales, ainsi que les coûts élevés et les risques associés aux essais précliniques et cliniques qui ont été nécessaires pour réaliser cette optimisation. Eli Lilly a suivi cette approche, alléguant lors de l’audition que les faibles doses avaient l’avantage inattendu de réduire certains effets secondaires du médicament et que le travail qu’elle a dû faire pour obtenir ces doses était truffé d’embûches qui auraient poussé d’autres fabricants à abandonner complètement le projet. L’argument d’Eli Lilly n’a pas convaincu la Cour, qui a plutôt conclu que le brevet n’indiquait pas que certaines doses étaient particulièrement avantageuses et que, en tout état de cause, le choix des doses est une activité courante dans l’élaboration d’un médicament.
La décision dans l’affaire Eli Lilly c. Mylan donne des indications utiles concernant les brevets sur l’usage pharmaceutique. Lorsque l’invention consiste en une optimisation courante d’un médicament comportant des utilisations approuvées, la barre est haute pour établir la validité du brevet, qui pourra être difficile à justifier. L’approche adoptée par la Cour permet d’assurer l’équilibre entre deux intérêts importants : d’une part, récompenser l’innovation pour les nouveaux médicaments et, d’autre part, rendre l’accès aux médicaments abordable en limitant la protection du monopole aux innovations méritant d’être protégées.
L’« avantage d’être la première à entrer sur le marché » est maintenu dans les litiges du domaine pharmaceutique
Comme les tribunaux cherchent à équilibrer l’innovation et l’accès aux génériques, les fabricants de médicaments génériques et biosimilaires peuvent être tentés de contester les brevets faibles ou invalides. Ces contestations favorisent la concurrence et permettent ainsi de réduire le prix du médicament à l’expiration de son brevet valide. Cependant, de telles contestations de brevets sont risquées et la procédure judiciaire est coûteuse. Les fabricants de médicaments génériques qui sont à l’origine des litiges portant sur ces types de brevets (et qui en supportent les frais) n’ont pas avantage à le faire si leur succès ne fait que s’accompagner d’un afflux de concurrence de la part d’autres fabricants de génériques.
En mai 2020, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question[2] et a infirmé la décision de la Cour fédérale[3], qui avait ordonné l’instruction conjointe des premières actions intentées par les fabricants de génériques (les « premiers à entrer sur le marché ») et des actions intentées plusieurs mois plus tard par d’autres fabricants de génériques. Grâce à cet arrêt, l’« avantage des premiers à entrer sur le marché » est dorénavant préservé dans le cadre de litiges concernant les brevets de médicaments en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) du Canada (le Règlement). Osler a représenté avec succès l’appelante, Teva, devant la Cour d’appel fédérale.
L’appel concernait quatre fabricants de médicaments génériques, chacun demandant l’approbation pour la production et la mise en marché de leur version générique du rivaroxaban. Teva et Apotex ont intenté leur contestation de brevet à un mois d’intervalle. Taro Pharmaceuticals et Sandoz Canada ont quant à elles signifié leur procédure plusieurs mois plus tard.
La question en litige dans cette affaire était de déterminer si l’action des nouvelles venues, Taro et Sandoz, devait être instruite conjointement avec l’action des premières à agir, Teva et Apotex. L’ajout de Taro et de Sandoz à l’instance initiale aurait empêché Teva et Apotex d’avoir l’avantage (si elles obtenaient gain de cause) d’être les premières à lancer leur version du rivaroxaban au Canada et ainsi d’avoir une chance d’occuper une part plus importante du marché.
La Cour d’appel fédérale a indiqué que les instances introduites plus tard ne devraient pas profiter d’une instruction conjointe avec celles intentées plus tôt. En vertu de l’interdiction de réunir des actions prévue par le Règlement, il est interdit d’entendre simultanément des affaires impliquant différents fabricants de médicaments génériques, même s’il s’agit de questions communes. Cette interdiction est importante. En effet, les premières sociétés à agir peuvent entrer sur le marché si elles ont gain de cause à l’issue du procès, tandis que les sociétés qui intentent des actions par la suite doivent régler séparément leur litige en vertu du Règlement. Ainsi, tant que le litige n’est pas résolu, il est peu probable que les sociétés ayant tardé à agir puissent tirer avantage d’une décision en faveur des premières à s’être manifestées avant que la décision devienne finale et sans appel (ce qui peut prendre plusieurs mois ou années).
Cette décision préserve donc l’avantage des fabricants de médicaments génériques et biosimilaires à réaliser l’investissement commercial et à absorber les frais de litige pour être les premiers à entrer sur le marché en vertu du Règlement. Le premier fabricant de médicaments génériques ou biosimilaires qui introduit un avis d’allégation au sujet d’un brevet contesté sera ainsi protégé de ceux qui agissent tardivement et qui essayent de profiter de leurs efforts. Les premiers à agir peuvent tirer un avantage légitime d’être les premiers à entrer sur le marché et profiter d’une période où la concurrence sera limitée. Le risque qu’ils ont pris en contestant les faibles brevets d’un médicament est ainsi récompensé.
Une procédure simplifiée pour obtenir l’approbation d’un brevet de logiciel
Par le passé, les sociétés de logiciels ont été confrontées à de grandes incertitudes lorsqu’elles présentaient des demandes de brevets canadiens, ne sachant pas à l’avance si elles seraient en mesure d’obtenir un brevet et les protections qui s’y rattachent pour ses inventions. Ces incertitudes ont été exacerbées au cours de la dernière décennie, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) ayant appliqué une politique de refus systématique des brevets pour les inventions mises en œuvre par ordinateur, fondée sur une évaluation scientifique et subjective de la solution à un problème qu’apporte le brevet. Les logiciels visant à résoudre des « problèmes informatiques », comme les logiciels de contrôle des puces qui permettent un traitement informatique plus rapide, ont été considérés comme plus brevetables que les logiciels visant à résoudre des problèmes commerciaux ou autres, comme la gestion du risque dans un portefeuille de placement.
L’approche de l’OPIC a semé la confusion à propos de l’accès aux brevets de logiciels canadiens, ce qui a poussé les entreprises à renoncer à la protection par brevet canadien, même lorsqu’une telle protection pouvait atténuer de façon significative les risques commerciaux. Le droit d’auteur pour les logiciels offre certes une protection résiduelle contre la copie non autorisée de codes sources. Toutefois, contrairement aux brevets, le droit d’auteur n’offre pas les protections élargies à l’égard des principales fonctionnalités des logiciels. Ainsi, la difficulté à obtenir la protection par brevet de la fonctionnalité des logiciels a eu un impact commercial négatif sur les entreprises au Canada.
Le 21 août 2020, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Choueifaty,[4], apportant alors des précisions dont le secteur avait grand besoin. La Cour a accueilli l’appel d’une décision du commissaire aux brevets rejetant une demande de brevet relative à une nouvelle méthode mise en œuvre par ordinateur pour la sélection et la gestion des actifs d’un portefeuille de placement. La Cour fédérale a rejeté l’approche « problème et solution » du commissaire, soulignant de nouveau que les revendications de brevet doivent être interprétées en ayant recours à la même méthode d’interprétation à toutes les fins, dont l’évaluation de l’admissibilité de l’objet.
L’affaire Choueifaty n’a pas été portée en appel. La décision de la Cour, qui souligne la primauté des mots et phrases que les demandeurs de brevet emploient pour définir le monopole qu’ils proposent, devrait renforcer la sécurité commerciale tant pour les demandeurs de brevets que pour les tiers qui cherchent à clarifier la portée des brevets dans leur domaine d’activité. L’OPIC a entamé la réécriture de sa politique administrative à la lumière de cette décision, qui comprend notamment de nouvelles directives au sujet de l’admissibilité à la protection par brevet des inventions mises en œuvre par ordinateur, des méthodes de diagnostic médical et des utilisations médicales.[5]
Dans le contexte de la pandémie mondiale, bon nombre des innovations les plus importantes ont vu le jour dans les domaines des sciences de la vie et des logiciels, qu’il s’agisse de nouvelles trousses de tests de dépistage, de médicaments antiviraux ou de logiciels permettant une connectivité à distance. La dernière année a jeté une nouvelle lumière sur les innovations dans ces domaines qui peuvent bénéficier d’une protection par brevet et sur la manière dont les litiges relatifs aux brevets sont susceptibles de se dérouler. Les décisions portant sur des brevets qui ont été rendues récemment par la Cour devraient guider les entreprises canadiennes dans l’élaboration de leur stratégie sur les brevets pour le Canada, tant pendant la pandémie que par la suite.
[1] Eli Lilly Canada Inc. et al. (Eli Lilly) v Mylan Pharmaceuticals ULC (Mylan), 2020 FC 816 (en anglais) [PDF]. Eli Lilly a porté la décision de la Cour fédérale en appel le 30 septembre 2020.
[2] Teva Canada Limited (Teva) v. Bayer Inc et al. (Bayer) and Apotex Inc. (Apotex) v. Bayer, 2020 FCA 86 (en anglais) [PDF].
[3] Bayer c. Teva et al., 2019 CF 1039 [PDF].
[4] Yves Choueifaty v. Attorney General of Canada, 2020 FC 837 (en anglais) [PDF].
[5] La directive de l’OPIC peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.ic.gc.ca/eic/site/cipointernet-internetopic.nsf/fra/wr04860.html.