Auteurs(trice)
Associée, chef du groupe de pratique du droit de la concurrence et de l’investissement étranger, Toronto
Associée, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Droit de la concurrence et investissement étranger, Toronto
Associée, Droit de la concurrence et de l'investissement étranger, Calgary
Le 29 septembre 2023, Apotex Inc. (Apotex) a demandé au Tribunal de la concurrence (le Tribunal) la permission de présenter une demande d’ordonnance corrective en vertu des dispositions relatives à l’« abus de position dominante » de l’article 79 de la Loi sur la concurrence (la Loi). La demande de permission d’Apotex était la première demande de ce type. Les modifications apportées à la Loi en juin 2022 ont créé, pour les parties privées, un droit d’accès au Tribunal pour les agissements présumés contraires à l’article 79; avant juin 2022, seul le commissaire de la concurrence (le commissaire) avait compétence pour mettre en application cette disposition.
Il est à noter que, deux semaines seulement après avoir déposé sa demande de permission, Apotex a déposé un avis de désistement. La séquence des événements et, surtout, sa brièveté donnent à penser que les modifications de juin 2022 pourraient avoir l’effet escompté, à savoir forcer la mise en application de l’article 79 de manière efficace et efficiente par les parties privées.
Contexte
Pour qu’un fabricant de médicaments génériques puisse commercialiser une version générique d’un médicament de marque sans procéder à des essais cliniques redondants, il doit démontrer que sa version du médicament est bioéquivalente au produit de marque. Pour ce faire, il a besoin d’échantillons du produit de marque. Sans ces échantillons, il ne peut pas effectuer les tests requis et ne peut pas obtenir des autorités de réglementation l’autorisation dont il a besoin pour commercialiser sa version générique du produit de marque, dont le prix est sensiblement inférieur à celui du produit de marque.
Il arrive qu’un fabricant de médicaments de marque refuse ou tarde de donner au fabricant de médicaments génériques l’accès à des échantillons afin de retarder l’entrée du produit générique sur le marché. Le Bureau de la concurrence (le Bureau) a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations quant au fait que de telles tactiques soulèvent des questions aux termes de l’article 79, qui est une disposition civile interdisant aux entreprises en position dominante de se livrer à des agissements anticoncurrentiels qui ont ou auront vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché. Plus récemment, en avril 2020, le Bureau a annoncé l’abandon d’une enquête sur les pratiques d’Otsuka Canada Pharmaceuticals Inc. après que l’entreprise ait pris des mesures pour répondre aux préoccupations du Bureau. En janvier 2022, le Bureau et Santé Canada ont publié un avis conjoint à l’intention des intervenants soulignant l’importance de leur collaboration continue, y compris dans le cadre des mesures d’application de la loi liées au refus de fournir des échantillons de médicaments de marque aux fabricants de médicaments génériques.
Demande de mesures correctives présentée par Apotex en vertu des dispositions relatives à l’« abus de position dominante »
Apotex est un fabricant de médicaments génériques et de marque au Canada. Elle prévoit de fabriquer et de fournir du ponatinib, soit un traitement contre la leucémie produit par Takeda Pharmaceuticals U.S.A. Inc. (Takeda) et importé et distribué au Canada par Paladin Labs Inc. (Paladin) (Takeda et Paladin, ainsi que les membres de leur groupe respectif, Takeda Canada Inc. et Endo Pharmaceuticals Inc., les intimées).
Pour ce faire, Apotex a demandé aux intimées de lui fournir des échantillons de ponatinib afin qu’elle puisse effectuer les tests requis pour obtenir l’autorisation de Santé Canada. Apotex a affirmé qu’elle avait tenté d’obtenir des échantillons auprès des intimées depuis juin 2023, mais qu’elle s’était heurtée à des refus répétés, les intimées déclarant que les échantillons ne pouvaient être fournis en raison de la pénurie du médicament et qu’Apotex devait demander une ligne de crédit à Paladin. Apotex a soutenu que de telles tactiques avaient pour but d’exclure Apotex, de l’empêcher de lancer un produit générique moins cher qui concurrencerait la version de marque du ponatinib de Takeda, l’ICLUSIG, ou, à tout le moins, d’en retarder le lancement.
Si elle avait eu la permission de présenter une demande en vertu de l’article 79, Apotex avait l’intention de demander une instruction accélérée et une ordonnance corrective exigeant (1) la fourniture des échantillons de ponatinib; (2) une sanction administrative pécuniaire (SAP) d’un montant équivalant au triple des recettes de Paladin tirées de la vente d’ICLUSIG au Canada entre le 22 septembre 2023 et la date de l’ordonnance du Tribunal, ou de tout autre montant déterminé par le Tribunal; (3) l’interdiction pour les intimées, pendant dix ans, de se livrer à des pratiques qui entravent ou retardent l’approvisionnement d’Apotex en ICLUSIG ou en tout autre médicament de marque fourni par les intimées; et (4) une allocation des dépens associés à la demande. Il est à noter que la SAP serait payable au gouvernement fédéral, car les parties privées ne peuvent pas demander des dommages-intérêts pour violation des dispositions civiles de la Loi.
Demande de permission d’Apotex
En vertu de l’article 103.1 de la Loi, le Tribunal peut faire droit à une demande de permission de présenter une demande en vertu de l’article 79 s’il a des raisons de croire que l’auteur de la demande est « directement et sensiblement gêné » dans son entreprise en raison de l’agissement en cause. Jusqu’à présent, le Tribunal a toujours considéré que, pour établir la mesure dans laquelle une entreprise était « sensiblement gênée », il fallait considérer l’entreprise de l’auteur de la demande dans son ensemble, plutôt qu’un sous-segment, comme une gamme de produits ou un marché.
Comme l’indique la demande d’Apotex, le droit d’accès par les parties privées prévu à l’article 79 n’a été établi qu’en juin 2022; les décisions antérieures concernant des demandes de permission n’ont donc pas été rendues en application de l’article 79. Apotex a fait valoir que les demandes de permission présentées en application de l’article 79 devaient être interprétées d’une manière qui soit en harmonie avec le libellé de l’article 79, de sorte que l’analyse prévue à l’article 103.1 devait surtout porter sur l’effet de la pratique sur les activités de l’auteur de la demande sur le marché visé par la demande, plutôt que sur l’ensemble de son entreprise.
Dans le cadre du processus de demande de permission, le paragraphe 103.1(3) prévoit que le commissaire doit remettre au Tribunal un certificat établissant si les questions visées par la demande de permission font l’objet d’une enquête ou ont fait l’objet d’une telle enquête qui a été discontinuée à la suite d’une entente intervenue entre le commissaire et la personne à l’égard de laquelle une ordonnance pourrait être rendue. En ce qui concerne la demande d’Apotex, le commissaire a remis un certificat établissant qu’aucune enquête n’avait été ouverte et qu’aucune entente n’était intervenue avec les intimées. Il est à noter que le paragraphe 103.1(11) stipule qu’en statuant sur la demande, le Tribunal ne peut tirer quelque conclusion que ce soit du fait que le commissaire a accompli un geste on non.
Avis de désistement
Deux semaines après avoir présenté sa demande de permission, Apotex a déposé un avis de désistement. Cela signifie vraisemblablement qu’Apotex a réussi à s’approvisionner auprès d’une ou de plusieurs des intimées. La séquence des événements et sa brièveté (seulement trois mois se sont écoulés entre le moment où Apotex a demandé les échantillons pour la première fois et celui où elle a déposé la demande de permission ayant mené à l’obtention de l’approvisionnement souhaité) donnent à penser que les modifications apportées à la Loi en juin 2022 pourraient avoir l’effet escompté, à savoir obliger la mise en application de la Loi par les parties privées dans un délai raccourci par rapport à celui qu’une enquête du Bureau et des mesures d’application de la loi pourraient à elles seules donner lieu.
Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec les membres du groupe de droit de la concurrence et de l’investissement étranger d’Osler.