La Cour d’appel fédérale apporte une plus grande certitude quant à l’essai « allant de soi » au Canada

23 Nov 2017 4 MIN DE LECTURE

Qu’est-ce qui est « inventif » aux fins de l’obtention d’un brevet? Depuis 2008, les tribunaux canadiens recourent à une analyse en quatre étapes connue sous le nom de cadre Windsurfing/Pozzoli afin de statuer sur la question de l’évidence. Toutefois, dans une décision rendue récemment, la Cour d’appel fédérale a laissé entendre que les tribunaux de première instance se seraient trop éloignés de l’application correcte du cadre relatif à l’analyse de l’évidence. On ignore encore l’incidence qu’auront les avertissements de la Cour d’appel sur les affaires futures, mais ils apporteront probablement une plus grande certitude en matière de droit relatif à l’évidence au Canada.

Dans l’affaire Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited v SNF Inc., 2017 CAF 225 (Ciba Specialty), la Cour d’appel fédérale était d’avis que le juge de première instance avait commis une erreur dans son application du cadre Windsurfing/Pozzoli, mais qu’il en était tout de même arrivé à la bonne conclusion quant au caractère évident du brevet en cause.

Voici les principaux points à retenir de la décision de la Cour d’appel fédérale :

  1. L’essai « allant de soi » devrait être axé sur l’interprétation de la revendication d’un brevet, au moins jusqu’à ce que la Cour suprême élabore une définition de « concept inventif ».
  2. La question de l’évidence devrait être évaluée à la lumière, à la fois des connaissances générales courantes et des antériorités.
  3. La revendication d’un brevet est évidente si l’écart entre l’interprétation de la revendication et les antériorités peut être comblé par des personnes versées dans l’art ne faisant appel qu’à leurs connaissances générales courantes et à tout autre renseignement trouvé à la suite d’une recherche raisonnablement diligente.

La Cour d’appel a noté que la définition de « concept inventif » est entourée de beaucoup d’incertitude. En revanche, cette incertitude, le cas échéant, peut être dissipée par l’interprétation des revendications de brevet, plutôt que par l’évaluation du concept inventif du mémoire descriptif, au sens large. En plaçant l’accent sur les revendications, les parties et les tribunaux éviteront des débats accessoires inutiles.

Par ailleurs, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé que les antériorités devraient être prises en compte au moment d’évaluer l’évidence du brevet (le troisième juge a reporté la question à plus tard). Les antériorités englobent non seulement les connaissances générales courantes (qui sont généralement connues et acceptées des personnes versées dans l’art), mais aussi les renseignements qui auraient pu être trouvés, à la suite d’une recherche raisonnablement diligente. Dans la mesure où des décisions antérieures de tribunaux laissaient entendre que les connaissances générales courantes présentaient une pertinence à l’égard de l’évidence, ces décisions étaient erronées.

La Cour d’appel a également conclu que l’évaluation du caractère évident ne se résume pas à déterminer si l’écart entre l’interprétation des revendications et les antériorités est évident en soi. La juste analyse consiste toujours à se demander si l’écart peut être comblé par des personnes versées dans l’art se fondant uniquement sur leurs connaissances générales courantes et sur d’autres renseignements disponibles dans les antériorités. Par conséquent, en l’espèce, où il était revendiqué l’utilisation d’une certaine quantité de polymère dans un processus industriel, la Cour d’appel a conclu que les personnes versées dans l’art avaient été en mesure de combler l’écart entre les revendications de brevet et les antériorités, en faisant appel à leurs connaissances générales courantes et aux essais courants.

La décision rendue dans Ciba Specialty apporte des éclaircissements en matière de droit relatif à l’évidence au Canada. Les affaires de brevets suscitent souvent des différends relatifs au concept inventif; le fait de se concentrer sur l’essai « allant de soi », dans le cadre de la revendication d’un brevet, devrait faciliter la résolution d’un bon nombre de ces différends. De plus, la conclusion de la Cour d’appel, selon laquelle la question de l’évidence ne se résume pas aux écarts évidents en soi, oblige les tribunaux et les avocats à considérer de plus près la façon dont des personnes versées dans l’art pouvaient, ou non, avoir comblé les écarts entre les antériorités et une revendication de brevet, en se fondant sur l’ensemble de leurs connaissances et sur l’expérimentation courante.